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théâtral: il faut qu'on sente qu'un homme est bien mis, sans se rappeler plus tard aucun détail de son vêtement. La finesse du drap, la perfection de la coupe, le fini de la façon, et surtout le bien porté de tout cela, constituent la distinction....

« Qu'un grand peintre comme Véronèse peigne l'escalier de l'Opéra ou le vestibule des Italiens, quand les duchesses du monde ou du demi-monde attendent leurs voitures, drapées de burnous blancs, de rubans rayés, de camails d'hermine, de sorties de bal capitonnées et bordées de cygne, d'étoffes merveilleuses de tous les pays; la tête étoilée de fleurs et de diamants, le bout du gant posé sur la manche du cavalier, dans toute l'insolence de leur beauté, de leur jeunesse et de leur luxe, et vous verrez si, devant son tableau, on parlera de la pauvreté du costume. »

Et n'est-il pas vrai que certains portraits, entre autres ceux du poète Stéphen Liégeard, du baron Sipière, par Benjamin Constant, du comte Jean de Sabran-Pontevès, du général des Garets, par le comte Mniszech, démontrent superbement la thèse de Théophile Gautier ?

IV.

Les mouches, le masque, l'éventail, les fards jouent un rôle important dans la toilette féminine sous l'ancien régime.

Le masque contre le soleil naît sous François Ier, dure cent cinquante ans et plus. Une petite tige d'argent, munie d'un bouton, entre dans la bouche de la femme, rend la voix méconnaissable. Beaucoup le gardent dans les promenades publiques, en voyage,

áu bal, même à l'église : il est fort à la mode pendant la Fronde, partout où l'on veut n'être pas vu. Et puis il sert d'ombrelle. Charles II d'Angleterre, la reine et toute la cour, se promènent masqués et pénètrent incognito dans les maisons des particuliers. « A l'égard des dames, dit un Traité de la civilité publié au xvi siècle, il est bon de savoir qu'outre la révérence qu'elles font pour saluer, il y a le masque, les coiffes et la robe, avec quoi elles peuvent témoigner leur respect; car c'est incivilité aux dames d'entrer dans la chambre d'une personne à qui elles doivent du respect, la robe troussée, le masque au visage, et les coiffes sur la tête, si ce n'est une coiffure claire. C'est incivilité aussi d'avoir son masque sur le visage, en un endroit où se trouve une personne d'éminente qualité, et où on peut en être aperçu, si ce n'est que l'on fût en carrosse avec elle. C'en est une autre d'avoir le masque au visage en saluant quelqu'un, si ce n'était de loin; encore l’ôte-t-on pour les personnes royales. »

Ainsi les dames ont trois visages: leur visage naturel, qu'elles ne montrent guère si l'on en croit les satiristes, deux visages artificiels, l'un de peinture, l'autre de carton ou de velours.

Pierre Clément rapporte que, la femme du procureur général des monnaies étant entrée masquée dans une église, la Reynie proposa de lui infliger une amende, mais que, le marquis de Seignelay ayant pris les ordres de son père, on décida qu'il n'y avait pas lieu de punir cette irrévérence. Seulement la Reynie fut invité à rendre pour l'avenir une ordonnance prononçant la peine de l'amende; en 1683, aucune ordonnance ne défendait d'aller masqué à l'église.

Les danseurs de l'Opéra perpétuent jusqu'en 1773 l'usage du masque; aux partisans de la réforme, certains dilettanti objectaient que le masque dérobe à la vue la laideur de l'artiste, ou ses tics nerveux. Au contraire, les femmes, qui comprennent mieux les intérêts de leur beauté, dansaient à visage découvert, avec les hommes masqués, ce qui était une autre absurdité. Noverre fit la guerre à cette coutume, et finit par triompher.

Les mouches en taffetas noir sont en vogue depuis la Fronde pour rien au monde une femme de qualité ne serait sortie sans ses mouches et sans son rouge; elle a sa boîte à mouches dont le couvercle à l'intérieur est garni d'un miroir.

La Fontaine nous explique le pourquoi de cette mode, le secret de sa durée :

Je rehausse d'un teint la blancheur naturelle,

Et la dernière main que met à sa beauté

Une femme allant en conquête,

C'est un ajustement des mouches emprunté.

On comptait sept principales espèces de mouches : Au coin de l'œil, la passionnée;

Au milieu de la joue, la galante;

Au coin de la bouche, la baiseuse;
Sur un bouton, la recéleuse;

Sur le nez, l'effrontée;

Sur les lèvres, la coquette;

Une mouche ronde, l'assassine;

Viennent ensuite la sympathique, l'amoureuse, l'enchanteresse, la majestueuse, etc.

Massillon, parlant contre les mouches, s'avise de demander ironiquement pourquoi les dames ne s'en mettent point sur les épaules. Ce fut un trait de lumière,

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et aussitôt les dames d'obéir à ce conseil à rebours, et de les appeler : les mouches à la Massillon.

Le maréchal de Tessé décrit, dans une de ses lettres, les mouches qui constellent le visage de la marquise Zenobio. « Elle avait autant de mouches qu'elle avait d'enlevures (petites ampoules sur la peau), et, comme le matin il s'en était trouvé seize sur son grand et long visage, son long et grand visage était porteur de seize mouches, dont celles de dessus le front représentaient des croissants; celles des environs des yeux, des cœurs; celles du menton et des environs de la bouche, des fleurs; et, entre l'oreille gauche et la tempe, se trouvait une grande mouche, sans comparaison plus grande que les autres, qui représentait un arbre sur lequel je remarquai deux petits oiseaux qui se becquetaient.... >>

Pendant la campagne de 1757, la marquise de Pompadour envoie au maréchal d'Estrées des plans stratégiques où sont marqués avec des mouches les endroits qu'elle conseille d'attaquer ou de défendre.

Au xvшe siècle, les mouches reçoivent le surnom d'amorces de l'amour; elles ont la réputation de rajeunir et d'attirer les admirateurs.

Tel galant qui vous fait la nique,

S'il n'est pris aujourd'hui, s'y trouve pris demain;
Qu'il soit indifférent ou qu'il fasse le vain,

A la fin la mouche le pique.

V.

L'éventail remonte à la plus haute antiquité. Il arrive

d'Orient, nous le trouvons dans l'Inde, la Chine, le Ja

pon, l'Égypte, la Grèce, à Rome, au Mexique ; il a ses poètes, ses historiens, ses collectionneurs comme Mme Duruy, la duchesse de Mouchy, la comtesse de Granville, la comtesse d'Armaillé, la vicomtesse Aguado, Mme Riant, la baronne Alphonse de Rothschild, Mmes Heine, Cazalis, G. Fouquier, M. Lucien Doucet, la comtesse de Chambrun, etc. Il sert à tout, à punir, à rêver, à faire l'aumône, à correspondre, à saluer, à prendre des notes, pénètre toutes les classes de la société; les soldats chinois le maniaient sous le feu de l'ennemi, et, dans l'Inde, le chasse-mouche est, avec le parasol, un des attributs du commandement; dans la cosmogonie égyptienne, il devient l'emblème du bonheur et du repos célestes. Les païens emploient l'éventail pour activer le feu des sacrifices; l'Église chrétienne des premiers siècles l'adopte dans sa liturgie. Pendant la célébration des saints mystères, deux diacres placés aux deux extrémités de l'autel agitent des éventails en plumes de paon, soit pour tempérer la chaleur, soit pour chasser les mouches et autres insectes qui pourraient se poser sur les pains, ou tomber dans le calice. D'après l'ouvrage de Duranti, saint Hildebert envoie un flabellum ou éventail en présent à un de ses amis. Le flabellum figure au nombre des objets précieux qu'on exposait aux jours de fête dans les églises. On l'emploie encore chez les Grecs et les Arméniens, mais il a presque disparu de l'Église romaine dès le xive siècle : il ne se porte plus qu'à Rome, dans les cérémonies papales.

Ce papillon de la femme est par excellence une arme de coquetterie, le sceptre et le bouclier de la beauté, le confident de toutes les pudeurs et de toutes les malices féminines.

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