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par avarice, un lavement qu'on lui avait apporté la veille, ne voulant point avoir à faire une dépense inutile.

L'amuseur en titre, le boute-en-train des Rochers, c'est le marquis de Pomenars, le divin Pomenars, le plus plaisant étourdi de la terre, un singulier criminel, poursuivi pour crime un peu hypothétique de fausse monnaie, pour enlèvement plus réel, mais déjà fort ancien, de Mile de Bouillé, fille du comte de Créance. Absous du premier chef, il paie les épices de son arrêt en fausses espèces. Quelqu'un lui demande pourquoi il ne fait pas raser sa grande barbe : « Mais, dit-il, je serais bien fou de prendre de la peine après ma tête, sans savoir à qui elle doit être. Le roi me la dispute; quand on saura à qui elle doit demeurer, si c'est à moi, j'en aurai soin. » Un jour, il tombe dans une assemblée populaire, interroge ses voisins : « C'est que l'on pend en effigie un gentilhomme qui a enlevé la fille du comte de Créance. » Il approuve, trouve que le peintre l'a mal habillé, s'en plaint, va souper et coucher chez le juge qui l'a condamné. « Il est si hardi qu'il se rend aux États de la province, et journellement il fait quitter la place au premier président, dont il est l'ennemi, aussi bien qu'au procureur général. »

Sa gaieté ne le quitte jamais. Quelques années plus tard, il supporte de fort bonne grâce l'opération de la pierre. Mine de Sévigné écrit à sa fille : «Mme de Chaulnes m'a donné l'exemple de l'aller voir. Sa pierre est grosse comme un petit œuf; il caquette comme une accouchée; il a plus de joie qu'il n'a eu de douleur, et pour accomplir la prophétie de M. de Maillé, qui dit à Pomenars qu'il ne mourrait jamais sans confession, il a été, avant l'opération, à confesse au grand Bourdaloue. Ah! c'était

une belle confession que celle-là! Il y fut quatre heures. Je lui ai demandé s'il avait tout dit; il m'a juré que oui, et qu'il ne pesait pas un grain. Il n'a point langui du tout après l'absolution, et la chose s'est fort bien passée. II y avait huit ou dix ans qu'il ne s'était confessé, et c'était le mieux. Il me parla de vous, et ne pouvait se taire, tant il est gaillard. »

Revient-elle à Paris, Mme de Sévigné trouve ses amis. ordinaires, ravis de la revoir après ses longues villégiatures: les Lesdiguières, la princesse Palatine, le comte du Lude, la Grande Mademoiselle, la société des du Plessis-Guénégaud, Mme de la Fayette 1,la Rochefoucauld, d'Hacqueville, Corbinelli, les Coulanges, le cardinal de Retz, les Renaud de Sévigné, la marquise du Blé d'Huxelles, la marquise du Plessis-Bellièvre, la marquise de Vins, surnommée à la fois « le fagot d'épines révolté » et « le fagot de plumes. »

1. Me de la Fayette la célébrait en 1659 dans une de ces lettresportraits qui étaient fort à la mode au XVIIe siècle : « Sachez, Madame, si par hasard vous ne le savez pas, que votre esprit pare et embellit si fort votre personne, qu'il n'y en a point sur la terre d'aussi charmante, lorsque vous êtes animée dans une conversation dont la contrainte est bannie.... Votre âme est grande, noble, propre à dispenser (répandre) des trésors, et incapable de s'abaisser aux soins d'en amasser. Vous êtes sensible à la gloire et à l'ambition, et vous ne l'êtes pas moins aux plaisirs; vous paraissez née pour eux, et il semble qu'ils soient faits pour vous; votre présence augmente les divertissements, et les divertissements augmentent votre beauté, lorsqu'ils vous environnent. Enfin la joie est l'état véritable de votre âme, et le chagrin vous est plus contraire qu'à qui que ce soit.... Vous êtes la plus civile et la plus obligeante personne qui ait jamais été, et, par un air libre et doux, qui est dans toutes vos actions, les plus simples compliments de bienséance paraissent en votre bouche des protestations d'amitié........ »

Les du Plessis-Guénégaud donnent des fêtes brillantes à l'hôtel de Nevers, dans leur château de Fresnes, où la marquise passait une partie de l'été avec sa fille. Les hôtes habituels de Fresnes s'appellent les Quiquoix, et ont emprunté à l'hôtel de Rambouillet la coutume de se désigner par des noms de fantaisie. Mme de Guénégaud est Amalthée, M. de Pomponne Clidamant, M. du Plessis-Guénégaud Alexandre, la Rochefoucauld Timanes; hommes et femmes se considèrent aussi comme les Nymphes et les Tritons de la Beuvronne. Lorsque, en 1665, Mlle de Guénégaud épouse le duc de Caderousse, ses amis exécutent un ballet-mascarade intitulé les Muets du grand seigneur, où des démons fort galamment travestis font irruption dans le palais d'Amalthée et lui adressent mille compliments.

Sous mille formes différentes,

Nos ombres, vos humbles servantes,
D'un vol prompt quittant les enfers,
Vont droit à l'hôtel de Nevers.

On joue la comédie à Fresnes, et Mme de Sévigné, qui était bonne actrice, prend sans doute une part active à ce qu'elle appelle les magies d'Amalthée. Dans une lettre à M. de Pomponne, nommé ministre du roi à Stockholm, elle trace un tableau animé de l'aimable compagnie rassemblée dans le grand salon du château: « N'en déplaise au service du roi, je crois, Monsieur l'ambassadeur, que vous seriez tout aussi aise d'être ici avec nous que d'être à Stockholm, à ne regarder le soleil que du coin de l'œil. Il faut que je vous dise comme je suis présentement. J'ai M. d'Andilly (père de Pomponne) à ma gauche, c'est-à-dire du côté de mon cœur ; j'ai Mme de la Fayette à ma droite; Mme du Plessis devant

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moi qui s'amuse à barbouiller de petites images; Mme de Motteville un peu plus loin, qui rêve profondément; notre oncle de Cessac, que je crains, parce que je ne le connais guère; Mme de Caderousse, mademoiselle sa sœur, qui est un fruit nouveau que vous ne connaissez pas; et Mile de Sévigné, allant et venant par le petit cabinet, comme de petits frelons. Je suis assurée, Monsieur, que cette compagnie vous plairait fort. »

C'est Bussy-Rabutin lui-même, qui, dans l'Histoire amoureuse des Gaules, nous peint un de ses rivaux, le comte du Lude, et voici quelques lignes du portrait; je supprime les passages trop salés.

« Il a le visage petit et laid, beaucoup de cheveux, la taille belle; il était né pour être fort gras; mais la crainte d'être incommodé et désagréable lui a fait prendre tant de soins si extraordinaires pour s'amaigrir, qu'enfin il en est venu à bout. Véritablement sa belle taille lui a coûté quelque chose de sa santé; il s'est gâté l'estomac par les diètes qu'il a faites et le vinaigre dont il a usé. Il est adroit à cheval, il danse bien, il fait bien des armes, il est brave...., mais il est paresseux et aime ses plaisirs, il a du courage et n'a point d'ambition; il a l'esprit doux, il est agréable avec les femmes ; il en a toujours été bien traité, et il ne les aime pas longtemps.... Ce qui le fait réussir partout sûrement, c'est qu'il pleure quand il veut, et que rien ne persuade tant les femmes qu'on aime que les larmes.... Mme de Sévigné est une de celles pour qui il a eu de l'amour ; mais sa passion finissait lorsque cette belle commençait d'y répondre; ces contre-temps l'ont sauvée, et ils ne se sont pas rencontrés; et comme il l'a toujours vue depuis, quoique sans attachement, on n'a pas laissé

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de dire qu'elle l'avait aimé, et, bien que cela ne soit pas vrai, c'était toujours le plus vraisemblable à dire........ »

La comtesse du Lude préside un des grands salons aristocratiques de Paris vers 1670: c'est ce qu'on appelle plus spécialement la société de l'Arsenal, composée surtout des personnages qui habitent ce quartier. Quant à la société du Faubourg, elle se réunit en particulier chez le duc de la Rochefoucauld 1 et Mme de la Fayette. Une autre coterie moins nombreuse se groupe autour de la marquise d'Huxelles, épistolière infatigable, tenant une sorte de bureau de nouvelles, fort liée avec Mme de Longueville, Messieurs de Port-Royal et les Carmélites. Mme de Sévigné dine très souvent chez Mme d'Huxelles : elle y trouve Mme de Pomponne, les Coulanges, la marquise de Villars, Bezons, l'abbé de Pontcarré, l'abbé de la Victoire, Mme de Lavardin, la marquise de Moucy, Mile de la Rochefoucauld, Mme de Lillebonne. Mme d'Huxelles est encore l'âme d'une autre coterie, celle des sages veuves, qui méritent plus ou moins l'épithète. Pendant fort longtemps les deux marquises se voient sans cesse, faisant des visites ensemble, allant ensemble à la messe du grand monde, celle des

1. « Il y a là, dans ce salon du duc de la Rochefoucauld, où le cardinal de Retz, rendu sage par l'âge et l'expérience, raconte à demivoix les Mémoires qu'il écrit; où M. de la Rochefoucauld, cet homme aux écrits si amers et à l'âme si douce, cause discrètement de morale et de lettres; où Me de la Fayette, toujours souffrante et toujours résignée, rêve et sourit en écoutant; où Me de Sévigné apporte la gaieté toujours prête, la verve intarissable de ses saillies sans fiel et de son enjouement de bonne compagnie, un coin charmant du grand siècle, une retraite entr'ouverte où pénètrent les bruits du monde, sans l'envahir ni la troubler; où l'intimité de nobles âmes fait une atmosphère tiède, un air pur, délicat et reposant» (E. Faguet: Grands maîtres du XVIIe siècle, p. 199).

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