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Mais

Thésaurisant pour les voleurs,

Pour ses parents, ou pour la terre.

que dire du troc que la Fortune fit?

Ce sont là de ses traits; elle s'en divertit :

Plus le tour est bizarre, et plus elle est contente.
Cette déesse inconstante

Se mit alors en l'esprit

De voir un homme se pendre;

Et celui qui se pendit

S'y devait le moins attendre.

FABLE XVII.

Le Singe et le Chat.

Bertrand avec Raton, l'un singe et l'autre chat,
Commensaux d'un logis, avaient un commun maître.
D'animaux malfaisants c'était un très bon plat:

Ils n'y craignaient tous deux aucun, quel qu'il pût être.
Trouvait-on quelque chose au logis de gâté,
L'on ne s'en prenait point aux gens du voisinage :
Bertrand dérobait tout; Raton, de son côté,

Était moins attentif aux souris qu'au fromage.

Un jour, au coin du feu, nos deux maîtres fripons
Regardaient rôtir des marrons.

Les escroquer était une très bonne affaire :
Nos galants y voyaient double profit à faire;
Leur bien premièrement, et puis le mal d'autrui.
Bertrand dit à Raton : Frère, il faut aujourd'hui

(1) Amassant.

(2) Voyez la note de la fable XII du livre III.

Que tu fasses un coup de maître ;

Tire-moi ces marrons. Si Dieu m'avait fait naître
Propre à tirer marrons du feu,

Certes, marrons verraient beau jeu.
Aussitôt fait que dit: Raton, avec sa patte,
D'une manière délicate,

Écarte un peu la cendre, et retire les doigts;
Puis les reporte à plusieurs fois;

Tire un marron, puis deux, et puis trois en escroque.
Et cependant Bertrand les croque.
Une servante vient: adieu mes gens. Raton
N'était pas content, ce dit-on..

Aussi ne le sont pas la plupart de ces princes
Qui, flattés d'un pareil emploi,
Vont s'échauder en des provinces
Pour le profit de quelque roi.

FABLE XVIII.

Le Milan et le Rossignol.

Après que le milan, manifeste voleur,
Eut répandu l'alarme en tout le voisinage,
Et fait crier sur lui les enfants du village,
Un rossignol tomba dans ses mains par malheur.
Le héraut du printemps1 lui demande la vie.
Aussi bien, que manger en qui n'a que le son?
Écoutez plutôt ma chanson:

(1) Celui qui annonce le printemps. Parce que c'était les hérauts qui annonçaient les grands événements publics.

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Je vous raconterai Térée1 et son envie.

Qui, Térée? est-ce un mets propre pour les milans?

Non pas; c'était un roi dont les feux violents

Me firent ressentir leur ardeur criminelle.

Je m'en vais vous en dire une chanson si belle
Qu'elle vous ravira: mon chant plaît à chacun.
Le milan alors lui réplique :

Vraiment, nous voici bien ! lorsque je suis à jeun,
Tu me viens parler de musique!

J'en parle bien aux rois. - Quand un roi te prendra, Tu peux lui conter ces merveilles :

Pour un milan, il s'en rira.

Ventre affamé n'a point d'oreilles 2.

FABLE XIX.

Le Berger et son Troupeau.

Quoi! toujours il me manquera
Quelqu'un de ce peuple imbécile !

Toujours le loup m'en gobera!
J'aurai beau les compter! Ils étaient plus de mille,
Et m'ont laissé ravir notre pauvre Robin 3!
Robin mouton, qui par la ville

Me suivait pour un peu de pain,

Et qui m'aurait suivi jusques au bout du monde !
Hélas! de ma musette il entendait le son;

Il me sentait venir de cent pas à la ronde.

(1) Voyez la fable de Philomèle et Progné. Fable XV, livre III. (2) Proverbe très ancien qui servit d'exorde à un discours de Caton le Censeur, sur la loi agraire.

(5) Nom de mouton employé par Rabelais.

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