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Monsieur, ils sont à vous.

Vraiment, dit le seigneur,

Je les reçois, et de bon cœur.

Il déjeune très bien; aussi fait sa famille,

Chiens, chevaux et valets, tous gens bien endentés1:
Il commande chez l'hôte, y prend des libertés,
Boit son vin, caresse sa fille.

L'embarras des chasseurs succède au déjeuné,
Chacun s'anime et se prépare:

Les trompes et les cors font un tel tintamarre
Que le bon homme est étonné.

Le pis fut que l'on mit en piteux équipage
Le pauvre potager: adieu planches, carreaux;
Adieu chicorée et porreaux;

Adieu de quoi mettre au potage.

Le lièvre était gîté dessous un maître chou.
On le quête; on le lance: il s'enfuit par un trou,
Non pas trou, mais trouée, horrible et large plaie
Que l'on fit à la pauvre haie

Par ordre du seigneur; car il eût été mal

Qu'on n'eût pu du jardin sortir tout à cheval.
Le bon homme disait : Ce sont là jeux de prince2.
Mais on le laissait dire: et les chiens et les gens
Firent plus de dégât en une heure de temps
Que n'en auraient fait en cent ans
Tous les lièvres de la province.

Petits princes, videz vos débats entre vous:
De recourir aux rois vous seriez de grands fous.
Il ne les faut jamais engager dans vos guerres,
Ni les faire entrer sur vos terres.

(1) Qui ont les dents longues, qui ont grand appétit.

(2) Le proverbe dit : ce sont jeux de prince; ils plaisent à ceux qui les font.

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FABLE V.

L'Ane et le petit Chien.

Ne forçons point notre talent;
Nous ne ferions rien avec grâce:
Jamais un lourdaud, quoi qu'il fasse,
Ne saurait passer pour galant.
Peu de gens, que le ciel chérit et gratifie,
Ont le don d'agréer infus avec la vie1.

C'est un point qu'il leur faut laisser,
Et ne pas ressembler à l'âne de la fable,

Qui, pour se rendre plus aimable
Et plus cher à son maître, alla le caresser.
Comment, disait-il en son âme,
Ce chien, parce qu'il est mignon,
Vivra de pair à compagnon
Avec monsieur, avec madame,
Et j'aurai des coups de bâton!

Que fait-il? il donne la patte;
Puis aussitôt il est baisé :

S'il en faut faire autant afin que l'on me flatte

Cela n'est pas bien malaisé.

Dans cette admirable pensée,

Voyant son maître en joie, il s'en vient lourdement,
Lève une corne tout usée,

La lui porte au menton fort amoureusement,
Non sans accompagner, pour plus grand ornement,
De son chant gracieux cette action hardie.

Oh! oh! quelle caresse! et quelle mélodie!

(1) Ce mot ne s'emploic guère au masculin; on dit proverbialement: avoir la science infuse.

Dit le maître aussitôt. Holà, Martin-bâton'!
Martin-bâton accourt; l'âne change de ton.
Ainsi finit la comédie.

FABLE VI.

Le Combat des Rats et des Belettes.

La nation des belettes,

Non plus que celle des chats,
Ne veut aucun bien aux rats;
Et, sans les portes étrétes?
De leurs habitations,
L'animal à longue échine
En ferait, je m'imagine,
De grandes destructions.
Or, une certaine année
Qu'il en était à foison,
Leur roi, nommé Ratapon,
Mit en campagne une armée.
Les belettes, de leur part,
Déployèrent l'étendart.

Si l'on croit la renommée,
La victoire balança :
Plus d'un guéret s'engraissa
Du sang de plus d'une bande.
Mais la perte la plus grande

Tomba presque en tous endroits

(1) Un valet armé d'un bâton. Cette expression est empruntée à Rabelais.

(2) Au lieu d'étroites, à cause de la rime. Voyez la note de la fable VIII du livre III.

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