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Il faudrait, disaient-ils, sans nous qu'il vécût d'air.
Nous suons, nous peinons comme bêtes de somme;
Et pour qui? pour lui seul : nous n'en profitons pas;
Notre soin n'aboutit qu'à fournir ses repas.

Chômons1, c'est un métier qu'il veut nous faire apprendre. Ainsi dit, ainsi fait. Les mains cessent de prendre,

Les bras d'agir, les jambes de marcher :

Tous dirent à Gaster qu'il en allât chercher.
Ce leur fut une erreur dont ils se repentirent:
Bientôt les pauvres gens tombèrent en langueur;
Il ne se forma plus de nouveau sang au cœur;
Chaque membre en souffrit; les forces se perdirent.
Par ce moyen, les mutins virent

Que celui qu'ils croyaient oisif et paresseux
A l'intérêt commun contribuait plus qu'eux.

Ceci peut s'appliquer à la grandeur royale.
Elle reçoit et donne, et la chose est égale.
Tout travaille pour elle, et réciproquement
Tout tire d'elle l'aliment.

Elle fait subsister l'artisan de ses peines,
Enrichit le marchand, gage le magistrat,
Maintient le laboureur, donne paie au soldat,
Distribue en cent lieux ses grâces souveraines,
Entretient seule tout l'État.

Ménénius le sut bien dire.

La commune s'allait séparer du sénat.

Les mécontents disaient qu'il avait tout l'empire,
Le pouvoir, les trésors, l'honneur, la dignité;

déroger, à l'exception des armes. La Fontaine met dans l'expression de ce fait une intention satirique.

(1) Ne travaillons pas, comme on le fait aux jours de fête.

Au lieu que tout le mal était de leur côté,

Les tributs, les impôts, les fatigues de guerre.
Le peuple hors des murs était déjà posté,
La plupart s'en allaient chercher une autre terre,
Quand Ménénius1 leur fit voir

Qu'ils étaient aux membres semblables,

Et par cet apologue, insigne entre les fables,
Les ramena dans leur devoir.

FABLE III.

Le Loup devenu berger.

Un loup qui commençait d'avoir petite part
Aux brebis de son voisinage,

Crut qu'il fallait s'aider de la peau du renard2,
Et faire un nouveau personnage.

Il s'habille en berger, endosse un hoqueton 3,
Fait sa houlette d'un bâton,

Sans oublier la cornemuse.

Pour pousser jusqu'au bout la ruse,

Il aurait volontiers écrit sur son chapeau :

« C'est moi qui suis Guillot, berger de ce troupeau.
Sa personne étant ainsi faite,

Et ses pieds de devant posés sur sa houlette,
Guillot le sycophante approche doucement.
Guillot, le vrai Guillot, étendu sur l'herbette,
Dormait alors profondément;

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(1) Menenius Agrippa. Voyez ce trait dans Tite-Live et les autres historiens romains.

(2) Expression proverbiale qui signifie : user de ruse.

(3) Sorte de casaque.

(4) Mot emprunté du grec, trompeur, fripon.

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Son chien dormait aussi, comme aussi sa musette:
La plupart des brebis dormaient pareillement.
L'hypocrite les laissa faire;

Et, pour pouvoir mener vers son fort les brebis,
Il voulut ajouter la parole aux habits,
Chose qu'il croyait nécessaire.

Mais cela gâta son affaire :

Il ne put du pasteur contrefaire la voix;
Le ton dont il parla fit retentir les bois,
Et découvrit tout le mystère.

Chacun se réveille à ce son,
Les brebis, le chien, le garçon.

Le pauvre loup, dans cet esclandre,

Empêché par son hoqueton,

Ne put ni fuir ni se défendre.

Toujours par quelque endroit fourbes se laissent prendre.

Quiconque est loup agisse en loup';

C'est le plus certain de beaucoup.

FABLE IV.

Les Grenouilles qui demandent un Roi.

Les grenouilles, se lassant

De l'état démocratique 2,

(1) On a blåmé la morale de la fable en disant qu'elle n'est faite que pour les loups, c'est-à-dire pour les méchants. En cela, du moins, elle n'est pas dangereuse, puisqu'il faudrait d'abord s'avouer loup pour se l'appliquer, ce que personne n'est tenté de faire. Ce qui est bon pour tous, c'est la recommandation d'agir selon sa nature et de ne point employer les moyens opposés à notre caractère, sous peine de ne pas réussir.

(2) Celui où le peuple gouverne, la république.

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