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Et quant à goûter la premiere

De ce qu'on sert devant les dieux,
Croyez-vous qu'il en vaille mieux ?

Si vous entrez par-tout, aussi font les profanes.
Sur la tête des rois, et sur celle des ânes,
Vous allez vous planter, je n'en disconviens pas;
Et je sais que d'un prompt trépas

Cette importunité bien souvent est punie.
Certain ajustement, dites-vous, rend jolie;
J'en conviens: il est noir ainsi que vous et moi.
Je veux qu'il ait nom mouche; est-ce un sujet pourquoi
Vous fassiez sonner vos mérites?

Nomme-t-on pas aussi mouches les parasites ?
Cessez donc de tenir un langage si vain:
N'ayez plus ces hautes pensées.

Les mouches de cour sont chassées;

Les mouchards sont pendus: et vous mourrez de faim,
De froid, de langueur, de misere,

Quand Phébus régnera sur un autre hémisphere.
Alors je jouirai du fruit de mes travaux :
Je n'irai, par monts ni par vaux,
M'exposer au vent, à la pluie ;

Je vivrai sans mélancolie:

Le soin que j'aurai pris de soin m'exemptera.
Je vous enseignerai par-là

Ce que c'est qu'une fausse ou véritable gloire.
Adieu; je perds le temps: laissez-moi travailler ;
Ni mon grenier, ni mon armoire,
Ne se remplit à babiller.

IV. Le Jardinier et son Seigneur.
Ux amateur du jardinage,

1.

Demi-bourgeois, demi-manant,

Possédoit en certain village

Un jardin assez propre, et le clos attenant.
Il avoit de plant vif fermé cette étendue :
Là croissoit à plaisir l'oseille et la laitue,

De quoi faire à Margot pour sa fête un bouquet,
Peu de jasmin d'Espagne, et force serpolet.
Cette félicité par un lievre troublée

Fit qu'au seigneur du bourg notre homme se plaignit.
Ce maudit animal vient prendre sa goulée
Soir et matin, dit-il, et des pieges se rit;
Les pierres, les bâtons, y perdent leur crédit:
Il est sorcier, je crois. Sorcier! je l'en défie,
Repartit le seigneur : fût-il diable, Miraut,
En dépit de ses tours, l'attrapera bientôt.
Je vous en déferai, bon homme, sur ma vie ;
Et quand? et dès demain, sans tarder plus long-temps.
La partie ainsi faite, il vient avec ses gens.

Cà, déjeûnons, dit-il : vos poulets sont-ils tendres?
La fille du logis, qu'on vous voie, approchez:
Quand la marirons = nous ? quand aurons-nous des
gendres ?

Ron homme, c'est ce coup qu'il faut, vous m'entendez,
Qu'il faut fouiller à l'escarcelle.

Disant ces mots, il fait connoissance avec elle
Auprès de lui la fait asseoir,

Prend une main, un bras, leve un coin du mouchoir;
Toutes sottises dont la belle

Se défend avec grand respect:

Tant qu'au pere à la fin cela devient suspect.
Cependant on fricasse, on se rue en cuisine.

De quand sont vos jambons? ils ont fort bonne mine.
Monsieur, ils sont à vous. Vraiment, dit le seigneur,
Je les reçois, et de bon cœur.

Il déjeûne très bien; aussi fait sa famille,

Chiens, chevaux et valets, tous gens bien endentés : Il commande chez l'hôte, y prend des libertés,

Boit son vin, caresse sa fille.
L'embarras des chasseurs succede au déjeuné.
Chacun s'anime et se prépare:

Les trompes et les cors font un tel tintamarre,
Que le bon homme est étonné.

Le pis fut que l'on mit en piteux équipage
Le pauvre potager: adieu planches, carreaux,
Adieu chicorée et poireaux,

Adieu de quoi mettre au potage.

Le lievre étoit gîté dessous un maître chou.
On le quête, on le lance: il s'enfuit par un trou,
Non pas trou, mais trouée, horrible et large plaie
Que l'on fit à la pauvre haie

Par ordre du seigneur; car il eût été mal
Qu'on n'eût pu du jardin sortir tout à cheval.
Le bon homme disoit : Ce sont là jeux de prince.
Mais on le laissoit dire; et les chiens et les gens
Firent plus de dégât en une heure de temps,
Que n'en auroient fait en cent ans
Tous les lievres de la province.

Petits princes, vuidez vos débats entre vous :
De recourir aux rois vous seriez de grands fous.
Il ne les faut jamais engager dans vos guerres,
Ni les faire entrer sur vos terres.

V. L'Ane et le petit Chien.

NE forçons point notre talent;

Nous ne ferions rien avec grace:
Jamais un lourdaud, quoi qu'il fasse,
Ne sauroit passer pour galant.

Peu de gens, que le ciel chérit et gratifie,

Ont le don d'agréer infus avec la vie.

C'est un point qu'il leur faut laisser
Et ne pas ressembler à l'âne de la fable,

Qui, pour se rendre plus aimable
Et plus cher à son maître, alla le caresser.
Comment! disoit-il en son ame,
Ce chien, parcequ'il est mignoa,
Vivra de pair à compagnon
Avec monsieur, avec madame :
Et j'aurai des coups de bâton!
Que fait-il? il donne la patte,
Puis aussitôt il est baisé :

S'il en faut faire autant afin que l'on me flatte,
Cela n'est pas bien mal-aisé.

Dans cette admirable pensée,

Voyant son maître en jcie, il s'en vient lourdement,
Leve une corne tout usée,

La lui porte au menton fort amoureusement,
Non sans accompagner, pour plus grand ornement,
De son chant gracieux cette action hardie.
Oh! oh' quelle caresse ! et quelle mélodie !
Dit le maître aussitôt. Holà, Martin-bâton!
Martin-bâton accourt: l'âne change de ton.
Ainsi finit la comédie.

VI. Le combat des Rats et des Belettes.

LA nation des belettes,

Non plus que celle des chats,
Ne veut aucun bien aux rats:
Et sans les portes étroites
De leurs habitations,
L'animal à longue échine
En feroit, je m'imagine,
De grandes destructions.

Or, une certaine année
Qu'il en étoit à foison,
Leur roi, nommé Ratapon,
Mit en campagne une armée.
Les belettes, de leur part,
Déployerent l'étendard.
Si l'on croit la renommée,
La victoire balança:
Plus d'un guéret s'engraissa
Du
sang de plus d'une bande.
Mais la perte la plus grande
Tomba presque en tous endroits
Sur le peuple souriquois.
Sa déroute fut entiere,

Quoi que pût faire Artarpax,
Psicarpax, Méridarpax,

Qui, tout couverts de poussiere,
Soutinrent assez long-temps
Les efforts des combattants.
Leur résistance fut vaine,
Il fallut céder au sort:
Chacun s'enfuit au plus fort,
Tant soldat que capitaine.
Les princes périrent tous.
La racaille, dans des trous
Trouvant sa retraite prête,
Se sauva sans grand travail :
Mais les seigneurs sur leur tête
Ayant chacun un plumail,
Des cornes ou des aigrettes,
Soit comme marques d'honneur,
Soit afin
que les belettes

En conçussent plus de peur,
Cela causa leur malheur.
Trou, ni fente, ni crevasse,

Ne fut large assez pour eux :

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