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les arts, en un mot un homme de génie poëte ou philosophe, géometre ou mécanicien, est une espece de phénomene auquel il importe beaucoup de se produire dans certain temps et dans certaines circonstances: s'il se montre avant que les esprits soient préparés, il ne fait aucune sensation, et est à peine apperçu: c'est un rayon de lumiere qui perce l'intérieur d'une caverne, l'éclaire un moment, et s'éteint. La seconde, c'est qu'à l'époque où La Fon= taine publia ses fables on connoissoit, il est vrai, celles d'Esope et de Phedre; mais per= sonne alors n'avoit réfléchi sur le caractere, la forme et le but de l'apologue, sur le style propre à cette espece de poëme, sur la marche qu'il faut donner au dialogue, sur les orne= ments qui lui conviennent, sur les moyens de perfectionner ce nouveau genre; on n'avoit même aucune idée de la variété des talents

L'inconstance d'une ame en ses plaisirs légere,
Inquiete, et par-tout hôtesse passagere,

il ajoute:

Je m'avoue, il est vrai, s'il faut parler ainsi,
Papillon du Parnasse, et semblable aux abeilles,
A qui le bon Platon compare nos merveilles.
Je suis chose légere, et vole à tout sujet ;
Je vais de fleur en fleur, et d'objet en objet;
A beaucoup de plaisirs je mêle un peu de gloire.
J'irois plus haut peut-être au temple de mémoire,
Si dans un genre seul j'avois usé mes jours:
Mais quoi! je suis volage en vers comme en amours.

qu'il exige, et qu'il est si rare de voir rassem= blés dans un seul homme. Or, pour juger sai nement d'un ouvrage de littérature, il faut avoir des objets de comparaison, c'est-à-dire des modeles de beauté qui aient ou une existence idéale et abstraite dans l'entende= ment (1) ou réelle dans la nature et dans l'art: il faut, d'après des réflexions fondées sur l'expérience et l'observation, avoir établi les prin= cipes, les regles, la théorie, en un mot la poé tique du genre, et qu'avant de devenir la mesure exacte, générale, et connue, de tout ce qu'on écrira dans la suite sur la même ma= tiere, ces principes et ces regles aient été exa= minés, discutés, attaqués, contredits par des philosophes, et exposés long-temps aux objec= tions; car, selon la remarque d'un savant mo= derne, ce sont elles qui fortifient les bons systêmes, elles font sentir la nécessité de les admettre. Sans toutes ces précautions, sans la réunion de tous ces moyens, on court ris= que de s'éloigner de la vérité, dont le centre,

(1) Voyez dans le supplément de l'Encyclopédie, premiere édition, un excellent article de M. le mar= quis de Ch. sur le beau idéal. Cette question, l'une des plus abstraites et des plus difficiles à résoudre que puisse offrir la théorie des arts qui ont l'imitation pour objet, n'avoit pas été jusqu'alors aussi bien éclaircie. L'auteur, qui joint à des connoissances très étendues dans les sciences et dans les arts le talent de généraliser ses idées et de penser en grand, a em= ployé dans la discussion de cette matiere une analyse

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qu'il exige, et qu'il est si rare de voir rassem= blés dans un seul homme. Or, pour juger sai= nement d'un ouvrage de littérature, il faut avoir des objets de comparaison, c'est-à-dire des modeles de beauté qui aient ou une existence idéale et abstraite dans l'entendement (1) ou réelle dans la nature et dans l'art: il faut, d'après des réflexions fondées sur l'expérience et l'observation, avoir établi les prin= cipes, les regles, la théorie, en un mot la poé tique du genre, et qu'avant de devenir la mesure exacte, générale, et connue, de tout ce qu'on écrira dans la suite sur la même ma= tiere, ces principes et ces regles aient été exa= minés, discutés, attaqués, contredits par des philosophes, et exposés long-temps aux objec= tions; car, selon la remarque d'un savant mo= derne, ce sont elles qui fortifient les bons systêmes, elles font sentir la nécessité de les admettre. Sans toutes ces précautions, sans la réunion de tous ces moyens, on court ris= que de s'éloigner de la vérité, dont le centre,

(1) Voyez dans le supplément de l'Encyclopédie, premiere édition, un excellent article de M. le mar= quis de Ch. sur le beau idéal. Cette question, l'une des plus abstraites et des plus difficiles à résoudre que puisse offrir la théorie des arts qui ont l'imitation pour objet, n'avoit pas été jusqu'alors aussi bien éclaircie. L'auteur, qui joint à des connoissances très étendues dans les sciences et dans les arts le talent de généraliser ses idées et de penser en grand, a em= ployé dans la discussion de cette matiere une analyse

sur-tout dans des questions de goût, est quel= quefois si mobile: c'est ce qui est arrivé aux écrivains du siecle de Louis XIV, qui, à l'ex= ception de Moliere, de Racine, de la Roche-= foucauld, de Fontenelle, de Bayle, et de quel ques autres esprits de cet ordre, n'ont pas rendu justice à La Fontaine, et ne paroissent pas en général avoir tourné leurs vues et leurs études vers des spéculations assez utiles, assez philosophiques pour appercevoir le but sou= vent très éloigné qu'il s'est proposé dans ses fables, et pour en étendre eux-mêmes la mora= lité en l'appliquant à des objets plus voisins d'eux, et qui les touchassent de plus près.

Suivant le compilateur du Bolæana, Des= préaux disoit que la belle nature et tous ses agréments ne se sont fait sentir que depuis que Moliere et La Fontaine ont écrit. Pourquoi donc le nom de ce dernier ne se trouve= t-il dans aucun des ouvrages de ce fameux sa= tyrique? Pourquoi sur-tout son Art poétique, qui devoit renfermer des préceptes sur tous

très fine et très profonde. J'invite ceux qui se plaisent à ces méditations utiles, et qui ont sur-tout l'in= struction qu'elles supposent, à lire cet article avec attention; car il en faut pour suivre les raisonnements serrés et précis de l'auteur, qui dit beaucoup en peu de mots. Il est du petit nombre de ceux auxquels on peut appliquer ce que Montaigne dit de quelques an= ciens: « C'est dommage que les gens d'entendement << aiment tant la brièveté ; sans doute leur réputation en - vaut mieux, mais nous en valons moins. »

J.

b

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