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A l'entour de son héritage,
Apperçut un serpent sur la neige étendu,
Transi, gelé, perclus, immobile rendu,

N'ayant pas à vivre un quart d'heure.
Le villageois le prend, l'emporte en sa demeure ·
Et, sans considérer quel sera le loyer
D'une action de ce mérite,

Il l'étend le long du foyer,
Le réchauffe, le ressuscite.

L'animal engourdi sent à peine le chaud,
Que l'ame lui revient avecque la colere.
Il leve un peu la tête, et puis siffle aussitôt,
Puis fait un long repli, puis tâche à faire un saut
Contre son bienfaiteur, son sauveur et son pere.
Ingrat, dit le manant, voilà donc mon salaire!
Tu mourras! A ces mots, plein d'un juste courroux,
Il vous prend sa cognée, il vous tranche la bête,
Il fait trois serpents de deux coups,

Un tronçon, la queue, et la tête.
L'insecte, sautillant, cherche à se réunir;
Mais il ne put y parvenir.

Il est bon d'être charitable:

Mais envers qui? c'est là le point.

Quant aux ingrats, il n'en est point
Qui ne meure enfin misérable.

XIV. Le Lion malade, et le Renard.

DE par le roi des animaux,

Qui dans son antre étoit malade,
Fut fait savoir à ses vassaux

Que chaque espece en ambassade
Envoyȧt gens le visiter;

Sous promesse de bien traiter
Les députés, eux et leur suite,
Foi de lion, très bien écrite :
Bon passe-port contre la dent,
Contre la griffe tout autant.
L'édit du prince s'exécute :
De chaque espece on lui députe.
Les renards gardant la maison,
Un d'eux en dit cette raison:

Les

pas empreints sur la poussiere

Par ceux qui s'en vont faire au malade leur cour,
Tous, sans exception, regardent sa taniere;
Pas un ne marque de retour.
Cela nous met en méfiance.
Que sa majesté nous dispense:
Grand merci de son passe-port.
Je le crois bon: mais dans cet antre
Je vois fort bien comme l'on entre,
Et ne vois pas comme on en sort.

XV. L'Oiseleur, l'Autour et l'Alouette.

Les injustices des pervers

Servent souvent d'excuse aux nôtres.
Telle est la loi de l'univers :

Si tu veux qu'on t'épargne, épargne aussi les autres.

Un manant au miroir prenoit des oisillons.
Le fantôme brillant attire une alouette:

Aussitôt un autour, planant sur les sillons,
Descend des airs, fond et se jette

Sur celle qui chantoit, quoique près du tombeau.
Elle avoit évité la perfide machine,

Lorsque, se rencontrant sous la main de l'oiseau,

Elle sent son ongle maligne.

Pendant qu'à la plumer l'autour est occupé,
Lui-même sous les rets demeure enveloppé :
Oiseleur, laisse-moi, dit-il en son langage,
Je ne t'ai jamais fait de mal.
L'oiseleur repartit: Ce petit animal
T'en avoit-il fait davantage ?

XVI. Le Cheval et l'Ane.

En ce monde il se faut l'un l'autre secourir :

Si ton voisin vient à mourir,

C'est sur toi que le fardeau tombe.

Un âne accompagnoit un cheval peu courtois,
Celui-ci ne portant que son simple harnois,
Et le pauvre baudet si chargé qu'il succombe.
Il pria le cheval de l'aider quelque peu;
Autrement il mourroit devant qu'être à la ville.
La priere, dit-il, n'en est pas incivile :
Moitié de ce fardeau ne vous sera que jeu.
Le cheval refusa, fit une pétarade;

Tant qu'il vit sous le faix mourir son camarade,

Et reconnut qu'il avoit tort.

Du baudet en cette aventure
On lui fit porter la voiture,
Et la peau ar-dessus encor.

XVII. Le Chien qui láche sa proie pour l'ombre

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Tant de fous, qu'on n'en sait pas,
La plupart du temps, le nombre.
Au chien dont parle Esope il faut les renvoyer.

Ce chien voyant sa proie en l'eau représentée
La quitta pour l'image, et pensa se noyer:
La riviere devint tout d'un coup agitée ;
A toute peine il regagna les bords,
Et n'eut ni l'ombre ni le corps,

XVIII. Le Chartier embourbé.

LE Phaeton d'une voiture à foin

Vit son char embourbé. Le pauvre homme étoit loin
De tout humain secours : c'étoit à la campagne,
Près d'un certain canton de la basse-Bretagne
Appelé Quimper-Corentin.

On sait assez que le Destin

Adresse là les gens quand il veut qu'on enrage.
Dieu nous préserve du voyage!

Pour venir au chartier embourbé dans ces lieux
Le voilà qui déteste et jure de son mieux,
Pestant en sa fureur extrême,

Tantôt contre les trous, puis contre ses chevaux,
Contre son char, contre lui-même.
Il invoque à la fin le dieu dont les travaux
Sont si célebres dans le monde :
Hercule, lui dit-il, aide-moi; si ton dos
A porté la machine ronde,

Ton bras peut me tirer d'ici.

Sa priere étant faite, il entend dans la nue
Une voix qui lui parle ainsi :

Hercule veut qu'on se remue;

Puis il aide les gens. Regarde d'où provient

L'achoppement qui te retient ;
Ote d'autour de chaque roue

Ce malheureux mor, cette maudite boue
Qui jusqu'à l'aissieu les enduit ;

Prends ton pic, et me romps ce caillou qui te nuit ;
Comble-moi cette orniere. As-tu fait? Oui, dit l'homme.
Or bien je vais t'aider, dit la voix : prends ton fouet.
Je l'ai pris... Qu'est-ce ci! mon char marche à souhait !
Hercule en soit loué! Lors la voix: Tu vois comme
Tes chevaux aisément se sont tirés de là.

Aide-toi, le ciel t'aidera.

XIX. Le Charlatan.

Le monde n'a jamais manqué de charlatans:

E

Cette science, de tout temps,

Fut en professeurs très fertile.

Tantôt l'un en théâtre affronte l'Acheron ;
Et l'autre affiche par la ville
Qu'il est un passe-Cicéron.

Un des derniers se vantoit d'être
En éloquence si grand maître,
Qu'il rendroit disert un badaud,

Un manant, un rustre, un lourdaud;

Oui, messieurs, un lourdaud, un animal, un âne:
Que l'on m'amene un âne, un âne renforcé,
Je le rendrai maître passé,

Et veux qu'il porte la soutane.

Le prince sut la chose: il manda le rhéteur.
J'ai, dit-il, en mon écurie

Un fort beau roussin d'Arcadie;

J'en voudrois faire un orateur.

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