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L'A

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843

STACKS
GIFT

man & Cooley

13

NOTICE SUR LA VIE

DE

LA FONTAINE,

AVEC QUELQUES OBSERVATIONS SUR SES FABLES.

JEAN

EAN DE LA FONTAINE naquit à Château= Thierry le 8 juillet 1621 (1). Les premieres années de sa vie n'eurent rien de remarquable, rien qui parût annoncer ce qu'il devoit être un jour. Elevé par des maîtres qui n'avoient pas, comme Socrate, l'art de faire enfanter les esprits, et d'en deviner, par une finesse de tact et d'instinct très difficile à acquérir, le caractere propre et particulier, il resta vingt= deux ans dans une espece d'inertie qui, s'il eût été moins heureusement né, auroit éteint

(1) Son pere, qui s'appeloit aussi Jean de La Fontaine, étoit un ancien bourgeois de Château-Thierry, où il avoit été maitre des eaux et forêts; et sa mere (Françoise Pidoux) étoit fille du bailli de Coulom= miers. Voy. l'hist. de l'Acad. françoise.

le feu de son imagination, et peut-être en= tièrement brisé les ressorts les plus utiles, les plus actifs et les plus puissants de l'ame, l'in= térêt et les passions (1). Mais il est des hommes privilégiés que les préjugés, le pédantisme (2) et les vues étroites de ceux auxquels on confie ordinairement l'institution de la jeunesse, ne peuvent point abrutir: la société offre quel= ques exemples de ce fait, et La Fontaine en

est un.

Montaigne dit que « nos ames sont des= << nouées à vingt ans ce qu'elles doivent estre, « et qu'elles promettent tout ce qu'elles pour

(1) La Fontaine étoit tellement convaincu de cette vérité, que c'est même la morale qu'il tire d'une de ses fables, où il introduit un philosophe scythe qui coupe et taille à toute heure les arbres de son verger, Sans observer temps ni saison,

Lunes ni vieilles ni nouvelles.

Tout languit et tout meurt. Ce Scythe exprime bien Un indiscret stoïcien:

Celui-ci retranche de l'ame

Desirs et passions, le bon et le mauvais,
Jusqu'aux plus innocents souhaits.

Contre de telles gens, quant à moi, je réclame:
Ils ôtent à nos cœurs le principal ressort;
Ils font cesser de vivre avant que l'on soit mort.
Liv. XII, fab. 20.

(2) Le mépris de La Fontaine pour les pédants perce dans plusieurs endroits de ses fables. Il leur fait même un reproche très grave, et malheureusement très fondé :

«ront ». Il ajoute que « jamais ame qui n'ait << donné en cet aage-là arrhe bien évidente de << sa force, n'en donna depuis la preuve ». Cette observation est souvent vraie; mais elle est, comme toutes les regles générales, sujette à plusieurs exceptions, dont La Fontaine n'est pas, sans doute, une des moins remarquables. A l'âge de vingt-deux ans il étoit encore igno= ré dans la république des lettres, et l'on étoit même bien éloigné de prévoir qu'il dùt un jour en faire un des principaux ornements, lors= qu'une harmonie (3), dont le charme lui étoit inconnu, vint frapper son oreille étonnée, et

Certain enfant qui sentoit son college,
Doublement sot et doublement frippon
Par le jeune âge et par le privilege
Qu'ont les pédants de gâter la raison, etc.

Liv. IX, fab. 5. Voy. aussi liv. XII, fab. 15.

(3) « Un officier qui étoit à Château-Thierry en quartier d'hiver, lut devant lui, par occasion et << avec emphase, cette ode de Malherbe:

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Que direz-vous, races futures, etc.

« Il écouta cette ode avec des transports mécaniques << de joie, d'admiration et d'étonnement, etc. ». Hist. de l'Acad. franç. par l'abbé d'Olivet.

Observons ici qu'aucune des circonstances de cet évènement si imprévu ne fut inutile, pas même l'emphase du lecteur, qui auroit dû détruire l'effet de cette ode sur une oreille plus exercée, et qui en rendit l'impression plus forte sur celle de La Fon= taine.

lui apprendre qu'il étoit né poète. Ces sortes de hasards ne sont que pour les hommes de génie, ils n'agissent point sur les esprits vul= gaires: c'est l'étincelle qui embrase la poudre, et qui s'éteint sur la pierre ou dans l'eau.

Ses premiers essais, dans un art où il devoit bientôt surpasser ses modeles, furent au= tant d'imitations fideles des beautés, des dé= fauts même, de celui qu'il avoit pris pour maitre, et sur les traces duquel il fut près de s'égarer (1).

Il lut ensuite nos vieux poëtes françois pour se familiariser avec leur langue et s'en appro= prier les tours les plus heureux. Marot le charma par la naïveté de son style (2); et ce mérite réel, joint à quelques bonnes épigram= mes que celles de Rousseau n'ont pas fait né= gliger, a préservé jusqu'à présent ses ouvrages de l'oubli auquel les changements arrivés de=

(1) C'est lui-même qui nous l'apprend dans son épître à M. Huet, en lui envoyant un Quintilien de Toscanella:

Je pris certain auteur autrefois pour mon maître; Il pensa me gâter: à la fin, grace aux dieux, Horace, par bonheur, me dessilla les yeux, etc.

(2) Boileau dit que, pour trouver l'air naïf en fran= çois, on a encore quelquefois recours au style de Marot et de Saint-Gelais; « et c'est, ajoute-t-il, ce qui « a si bien réussi au célebre M. de La Fontaine ». Réflexion VII sur Longin.

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