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J'ai tout calomnié pour apaiser ma faim.
Malheureux avec moi qui jouait au plus fin!
Courait-il dans Paris une histoire secrète,
Vite je l'imprimais le soir dans ma gazette,
Et rien ne m'échappait. De la rue au salon,
Les graviers, en marchant, me restaient au talon.
De ce temps scandaleux j'ai su tous les scandales,
Et les ai racontés. Ni plaintes ni cabales
Ne m'eussent fait fléchir, sois-en bien convaincu...
Mais tu rêves, Dupont; à quoi donc penses-tu?

ALFRED DE MUSSET'.

Les Journalistes.

Moi, j'irais caresser, jusqu'en son tribunal,
Quelque arbitre du goût dont là feuille éphémère
Distille les poisons d'une censure amère,

Au bon sens, au bon droit donne un plat démenti,
Pour juger un auteur consulte son parti,
Aigrit nos passions et dénonce à la France
L'écrit qu'il n'a pas lu, mais qu'il flétrit d'avance !
Voilà donc les faux dieux que je dois encenser!
Ah! croyez-moi, leurs traits ne peuvent m'offenser.

Qu'ils soient mes ennemis, que leur courroux m'accable,
Qu'ils me déchirent, soit : leur haine est honorable.
Il est, n'en doutez pas, il est d'autres censeurs,
Du talent méconnu courageux défenseurs,
Qui lui prêtent leur voix avant qu'il la réclame,
Qui ne trafiquent point de l'éloge ou du blâme,
Et, gardant pour le vice une juste fureur,
Des travers de l'esprit se moquent sans aigreur.
Je rends trop de justice à ces rares mérites
Pour les importuner de mes lâches visites.
Si je cueille un laurier par la gloire avoué,
Je ne connaîtrai point celui qui m'a loué,
Au moins je pourrai dire : « Il écrit ce qu'il pense. »
Est-il quelques chagrins que ce mot ne compense,
Qu'il ne fasse oublier, qu'il ne change en plaisirs ?
Tel est le but constant qu'embrassent mes désirs :

1. POÉSIES. (Charpentier édit.)

Inestimable bien, honneur digne d'envie,

Que je paîrai trop peu du repos de ma vie 1.

C. DELAVIGNE 2.

Deux Types parisiens.

Soixante badauds, assis au large, composent l'auditoire de Florimond; les trois quarts sont des femmes. D'où viennent ces visages-là? Personne ne peut le dire. On les a évoqués, et ils sont sortis de terre. Florimond a cédé aux instances de ses nombreux et indiscrets amis, et il consent. à ébaucher à ses heures perdues un cours d'histoire philosophique, fantastique et pittoresque. Mais il annonce que, parlant au beau sexe, il ne s'astreindra pas à une méthode aride, et il voltige, comme un papillon, de Pharamond à la Pompadour, et de Gengis-Khan à Moïse. Les uns se pâment, d'autres tendent le cou pour se donner un air d'attention; quelques gens graves froncent le sourcil et regardent si on croit qu'ils réfléchissent; les petites filles écarquillent leurs yeux et poussent de profonds soupirs. Florimond soulève son verre d'eau sucrée, se recueille une seconde, déroule sa péripétie, lance le trait, et avale le verre d'eau. On se lève, on l'entoure, il est épuisé. La foule s'écoule avec respect, et un petit nombre d'élus accompagne l'orateur au logis. Là, étendu sur un sofa, passant son mouchoir sur ses lèvres, il tend le nez aux encensoirs, et se couronne de palmes inconnues. « Vous avez parlé comme Bossuet, comme Fénelon, comme Jean-Jacques, comme Quintilien, comme Mirabeau. » Cependant le pauvre diable, assommé d'éloges, conserve encore une lueur de bon sens; il soulève le rideau, regarde les passants dans la rue; à l'aspect de cette ville immense, il sent que sa coterie s'agite au fond d'un puits, et que personne ne se doute à Paris de son triomphe d'entre-sol.

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Ce n'est pas l'habileté qui manque à Isidore; il parle bien, il écrit mieux; les hommes en font cas et il plaît aux femmes; il a tout ce qu'il faut pour réussir, mais il ne réussira

1. C'est sa propre existence que dépeint ici C. Delavigne : sa vie a été une lutte douloureuse contre l'esprit de coterie. Le poète a triomphé avec éclat devant le parterre sa cause n'est point encore gagnée devant le public qui se laisse faire ses opinions par son journal et donne trop volontiers raison à qui parle le plus fort et le plus longtemps: « Calomniez, disait Basile; il en restera toujours quelque chose. 2. THEATRE. (Didier édit.)

jamais. En tout ce qu'il fait, il fait un peu trop, il veut toujours être un peu plus que lui-même. Le cardinal de Retz disait du grand Condé, qu'il ne remplissait pas son mérite. Isidore déborde le sien; c'est un verre de vin de Champagne qui mousse si bien qu'il n'est plus que mousse, et qu'il ne reste plus rien au fond. Il rencontrera un bon mot, et il en voudra faire quatre, moyennant quoi le seul bon n'y sera plus. D'une idée longue comme un sonnet, il composera un poème épique. Vous a-t-il vu trois fois au bal? vous êtes son ami intime. A-t-il lu un livre qui lui a plu? c'est la plus belle chose qu'il y ait en aucune langue. A-t-il une piqûre au doigt? il souffre un martyre sans égal. Et ne croyez pas qu'il joue une comédie : il parle ainsi de bonne foi, tant l'habitude a de puissance. A force de se tendre de tous les côtés, il s'est allongé et élargi, mais aux dépens de l'étoffe première qui craque et se rompt à tout moment.

A. DE MUSSET1.

Le Rêve d'un ami des lettres.

Quelle est l'âme sensible aux lettres qui n'ait pas fait ce rêve d'une vie toute plongée dans l'étude et dans la lecture? Qui ne s'est figuré, avec délices, une petite retraite bien sûre, bien modeste, où l'on n'aurait plus à s'occuper que du beau et du vrai en eux-mêmes, où l'on ne verrait plus les hommes et leurs passions, les affaires et leurs ennuis, l'histoire et ses terribles agitations, qu'à travers ce rayon de pure lumière que le génie des grands écrivains a répandu sur tout ce qu'il représente? Quelles charmantės matinées que celles qu'on passerait, par un beau soleil, dans une allée bien sombre, au milieu de ce bruit des champs, immense, confus, et pourtant si harmonieux et si doux, à relire tantôt une tragédie de Racine, tantôt l'histoire des origines du monde, racontées par Bossuet avec une grâce si majestueuse!

Quel plaisir de ne se sentir pas tiraillé, au milieu de ces enivrantes études, par l'affaire qui vous rappelle à la maison, de ne pas porter au fond de l'âme l'idée importune de l'ennui qui vous a donné rendez-vous pour ce soir ou pour demain, et qui ne sera, hélas! que trop exact à l'heure; de ne rentrer chez soi que pour changer de livres et de mé1. OEUVRES COMPLÈTES. (Charpentier édit.)

ditations, ou pour se livrer à ce repos absolu qui est doux comme le sentiment d'une bonne conscience! Aujourd'hui, c'est Montesquieu qui fera les frais de la journée; demain, ce sera Tacite. On se crée des semblants d'étude, on se ménage des récréations. Le fond de la vie, ce serait ur abandon complet aux lettres, sans ambition personnelle sans autre passion que celle d'embellir et d'épurer son intel ligence. Une vie formée sur ce modèle ne finirait-elle pas cependant par fatiguer? N'enfanterait-elle pas à la longue le dégoût, la paresse, la folie peut-être? C'est possible. Il vaul mieux l'imaginer que la posséder; mais on avouera au moins que l'idée en est délicieuse. S. DE SACY 1.

Port-Royal des Champs.

Il n'y eut jamais d'asile où l'innocence et la pureté fussent plus à couvert de l'air contagieux du siècle, ni d'école où les vérités du christianisme fussent plus solidement enseignées les leçons de piété qu'on y donnait aux jeunes filles faisaient d'autant plus d'impression sur leur esprit, qu'elles les voyaient appuyées, non-seulement de l'exemple de leurs maîtresses, mais encore de l'exemple de toute une grande communauté, uniquement occupée à louer et à servir Dicu. Mais on ne se contentait point de les élever à la piété, on prenait aussi un très-grand soin de leur former l'esprit et la raison, et on travaillait à les rendre également capables d'être un jour ou de parfaites religieuses, ou d'excellentes mères de famille. On pourrait citer un grand nombre de filles élevées dans ce monastère, qui ont depuis édifié le monde par leur sagesse et par leur vertu. On sait avec quels sentiments d'admiration et de reconnaissance elles ont toujours parlé de l'éducation qu'elles y avaient reçue; et il y en a encore qui conservent, au milieu du monde et de la cour, pour les restes de cette maison affligée, le même amour que les anciens Juifs conservaient, dans leur captivité, pour les ruines de Jérusalem. RACINE.

1. VARIÉTÉS LITTÉRAIRES. (Didier édit.)

CINQUIÈME PARTIE

GENRE ÉPISTOLAIRE

GENRE ANECDOTIQUE

A M. de Priėzac.

Monsieur, la demoiselle qui vous rendra cette lettre m'a issuré que je suis votre favori et qu'elle se promet les plus grandes choses, si je vous recommande son procès. Pour noi, je crois volontiers ce que je désire, et il ne faut pas beaucoup d'éloquence à me persuader que vous me faites 'honneur de m'aimer. Si cela est, monsieur, je vous prie de émoigner à cette pauvre plaideuse que notre amitié n'est pas un bien inutile, et que ma recommandation ne gâte pas non plus une bonne cause.

Elle est tourmentée par le plus fameux chicaneur de notre province, et je ne pense pas que la Normandie en ait jamais porté un si redoutable. Son nom seul fait trembler toutes les veuves et met en fuite les orphelins. Il n'y a pièce de pré ni le vigne à trois lieues de lui qui soit assurée à celui qui la possède. Il pense faire grâce aux enfants, quand il se contente de vouloir partager avec eux la succession de leur père. Il habite les parquets et les autres lieux destinés à l'exercice de la discorde; et, s'il vous plaît que je me serve les termes de notre bon Plaute, on le voit en ces lieux-là plus souvent que le préteur. Voulez-vous que j'achève son éloge? c'est Attila en petit, c'est le fléau de Dieu dans son voisinage.

Vous ferez une œuvre méritoire, ou plutôt une action de charité héroïque, si vous contribuez en quelque chose au châtiment de cet ennemi public. Vous obligerez en une seule personne mille personnes intéressées. Mais je ne laisserai pas de vous en avoir autant d'obligation que si vous ne considériez que moi, qui vous en supplie et qui suis passionnément votre tout dévoué.

BALZAC.

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