L'Aveugle et le Paralytique. Aidons-nous mutuellement : La charge des malheurs en sera plus légère; Pour le mal que l'on souffre est un soulagement. Dans une ville de l'Asie, Il existait deux malheureux : L'un perclus, l'autre aveugle, et pauvres tous les deux. Ils demandaient au ciel de terminer leur vie; Mais leurs cris étaient superflus; Ils ne pouvaient mourir. Notre paralytique, Que l'aveugle, à tâtons, au détour d'une rue, Il entendit ses cris, son âme en fut émue. Pour se plaindre les uns les autres. « J'ai mes maux, lui dit-il, et vous avez les vôtres : : A quoi! répond l'aveugle; écoutez à nous deux Nous possédons le bien à chacun nécessaire; J'ai des jambes, et vous des yeux. Moi, je vais vous porter; vous, vous serez mon guide : Mes jambes, à leur tour, iront où vous voudrez; Je marcherai pour vous, vous y verrez pour moi. » FLORIAN. Le Renard et l'Ours. Un fin renard, disciple ou descendant Dans les pattes d'un ours tomba par accident. Le plus dur, le plus loup-garou, De Calisto jamais eût enfanté la race. Il s'était en travers étendu tout entier. Il se met à flatter son terrible geôlier. Le cerbère au long poil qu'il veut amadouer. De sa large poitrine il en sort un second. Monseigneur grogne encor plus fort. Le voilà qui se met à conter des histoires: « Et ces deux héros, ces deux gloires, D'où leur venait, dit-il, cette faveur des dieux? Le grognement s'apaise; et, la tête penchée, << Borgnes, s'écria-t-il, mais quel œil vif et noir! » Il relève à ces mots ses pattes de devant. « Non, poursuit le renard, notre commune mère - Je le crois bien, dit l'ours tout fier et tout joyeux. Mais toi, mon bon ami, j'en aurais du chagrin, Va-t'en. » Et le renard est parti de la main. Il n'est pas de tyran, fût-il des plus brutaux, VIENNET. Conseils aux grands. Pour entrer dans la véritable connaissance de votre condition, considérez-la dans cette image. Un homme est jeté par la tempête dans une île inconnue, dont les habitants étaient en peine de trouver leur roi, qui s'était perdu; et ayant beaucoup de ressemblance de corps et de visage avec ce roi, il est pris pour lui, et reconnu en cette qualité par tout ce peuple. D'abord il ne savait quel parti prendre: mais il résolut enfin de se prêter à sa bonne fortune. Il reçut tous les respects qu'on lui voulut rendre, et il se laissa traiter de roi. Mais comme il ne pouvait oublier sa condition naturelle, il songeait, en même temps qu'il recevait ces respects, qu'il n'était pas ce roi que ce peuple cherchait, et que ce royaume ne lui appartenait pas. Ainsi il avait une double pensée · l'une par laquelle il agissait en roi, l'autre par laquelle il reconnaissait son état véritable, et que ce n'était que le hasard qui l'avait mis en la place où il était. Il cachait cette dernière pensée, et il découvrait l'autre. C'était par la première qu'il traitait avec le peuple, et par la dernière qu'il traitait avec soi-même. Ne vous imaginez pas que ce soit par un moindre hasard que vous possédez les richesses dont vous vous trouvez maître, que celui par lequel cet homme se trouvait roi. Vous n'y avez aucun droit de vous-même et par votre nature, non plus que lui; et non-seulement vous ne vous trouvez fils d'un duc, mais vous ne vous trouvez au monde que par une infinité de hasards. Que s'ensuit-il de là? Que vous devez avoir, comme cet homme dont nous avons parlé, une double pensée, et que si vous agissez extérieurement avec les hommes selon votre rang, vous devez reconnaître, par une pensée plus cachée et plus véritable, que vous n'avez rien naturellement au-dessus d'eux. Si la pensée publique vous élève au-dessus du commun des hommes, que l'autre vous abaisse et vous tienne dans une parfaite égalité avec tous les hommes; car c'est votre état naturel. PASCAL. Epitaphe du licencié Garcias. Deux écoliers allaient ensemble de Pennafiel à Salamanque Se sentant las et altérés, ils s'arrêtèrent au bord d'une fon taine qu'ils rencontrèrent sur leur chemin. Là, tandis qu'il: se délassaient après s'être désaltérés, ils aperçurent par hasard auprès d'eux, sur une pierre à fleur de terre, quel ques mots déjà un peu effacés par le temps, et par les pieds des troupeaux qu'on venait abreuver à cette fontaine. Ils jetèrent de l'eau sur la pierre pour la laver et ils lurent ces paroles castillanes: « Aqui està encerrada el alma del licenciado Pedro Garcias. Ici est enfermée l'âme du licencié Pierre Garcias. » Le plus jeune de ces écoliers, qui était vif et étourdi, n'eut pas achevé de lire l'inscription qu'il dit en riant de toute sa force «Rien n'est plus plaisant ici est enfermée l'âme; une âme enfermée, je voudrais savoir quel original a pu faire une si ridicule épitaphe. » En achevant ces paroles, il se leva pour s'en aller. Son compagnon, plus judicieux, dit en luimème : « Il y a là-dessous quelque mystère; je veux demeurer ici pour l'éclaircir. » Celui-ci laissa donc partir l'autre, et sans perdre de temps se mit à creuser avec son couteau tout autour de la pierre. Il fit si bien qu'il l'enleva. Il trouva dessous une bourse de cuir qu'il ouvrit. Il y avait dedans deux cents ducats, avec une carte sur laquelle étaient écrites ces paroles en latin: Sois mon héritier, toi qui as eu assez d'esprit pour démêler le sens de l'inscription, et fais un meilleur usage que moi de mon argent. L'écolier, ravi de cette découverte, remit la pierre comme elle était auparavant, et reprit le chemin de Salamanque avec l'âme du licencié. LESAGE. L'Esprit du peuple. Deux citoyens haranguaient sur la place, L'un vend force poisons, distillés dans une eau L'autre, ami des humains, jaloux de leur bonheur, Mais il est simple, brusque et mauvais orateur; DORAT. Châtiment du méchant. O vous qui dédaignez un chimérique honneur, CLASSE DE 30. 13 |