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Quand la république opprime, il y a une tendance monarchique; quand la monarchie opprime, il y a une tendance républicaine. Voyez laquelle de ces deux tendances vous voulez favoriser.......

Pour l'intérêt des nobles, laissez-les se confondre dans la nation; qu'ils méritent d'être adoptés par elle, c'est une assez grande et une assez noble famille. BENJ. CONSTANT.

L'Éducation politique.

Dès ses jeunes années, le fils du patricien, c'est-à-dire de l'homme public, envisage avec passion l'avenir qui l'attend en face de ses concitoyens. Il ne dédaigne pas les lettres; car les lettres, il le sait, c'est la suprématie de l'esprit, c'est, avec l'éloquence et le goût, l'histoire du monde, la science des tyrannies et des libertés, la lumière reçue des temps, l'ombre de tous les grands hommes descendant de leur gloire dans l'âme qui veut leur ressembler, et lui apportant, avec la majesté de leur souvenir, le courage de faire comme eux. Chez les peuples vivants, la culture des lettres est, après la religion, le premier trésor public, l'arome de la jeunesse et l'épée de l'âge viril. Le jeune patricien s'y plaît et s'y donne; il s'y plaît comme Démosthène, il s'y donne comme Cicéron; et toutes ces images du beau, en le préparant au devoir de la cité, lui font déjà une arme présente contre les erreurs trop précoces de ses sens. Ainsi se forme, en de hautes méditations et de magnanimes habitudes, l'élite nationaie d'un pays. Si la richesse y produit encore des voluptueux, elle y produit aussi des citoyens; si elle énerve des åmes, elle en fortifie d'autres. Mais là où la patrie est un temple vide, qui n'attend rien de nous que le silence et le passage, il se crée une oisiveté formidable, où la force des âmes, s'il leur en reste, se dépense à se flétrir. LACORDAIRE 1.

1. CONFÉRENCES. (Poussielgue-Rusand édit.)

QUATRIÈME PARTIE

GENRE DIDACTIQUE GENRE CRITIQUE.

Parabole merveilleuse.

Dieu réveille en ce moment dans mon esprit le souvenir d'une histoire édifiante, dont vous avez tous autant besoin que moi, pour soulager votre piété du récit et du poids de ces horribles profanations. Il y avait donc, mes frères, trèsloin d'ici, dans une ville que je ne dois point nommer, pour ne pas vous faire connaître les parties intéressées; il y avait, dis-je, un jeune homme d'une très-grande famille, d'une parfaite conduite, de la plus belle espérance, et qui jouissait dans tout le pays de la meilleure réputation. C'était un fils unique connu par son excellent cœur, et qui faisait la gloire et les délices de ses parents. Il arriva que d'autres jeunes gens de son âge, avec lesquels il n'avait aucune liaison, se compromirent, de la manière la plus grave, dans une très-mauvaise affaire avec sa propre famille, qui voulut absolument en avoir justice. On leur fit donc leur procès, qui fournit bientôt assez de preuves pour les pouvoir tous condamner à mort. La désolation était universelle dans la ville, où ils devaient subir, leur triste sort au milieu de la place publique. Notre charitable jeune homme en fut touché; et ne voyant pas d'autre moyen d'obtenir leur grâce, poussé par son bon naturel, il sut si bien s'y prendre, que, par un effort de la générosité la plus extraordinaire, il intervint comme partie principale dans ce procès criminel, en se substituant lui-même à cette troupe de malheureux. Ce n'est pas tout il faut vous dire encore qu'il était fils du seigneur du lieu; il poussa donc la charité jusqu'à se faire charger juridiquement, et à se charger par son propre fait de toute la responsabilité du crime qu'ils avaient commis, paraissant ainsi l'unique criminel aux yeux de la justice. De sorte que les juges ne virent plus et ne durent effectivement plus voir que lui seul à poursuivre et à punir.

On l'admira, on le plaignit. Mais la rigueur des formes et

la lettre de la loi obligèrent les magistrats de prononcer contre lui, quoiqu'à regret, un arrêt de mort. Ce fut une consternation générale. Le jour de l'exécution est fixé au lendemain. Par une disposition de la Providence, au moment où le bourreau arrive sur la place pour préparer l'échafaud, il est frappé lui-même de mort subite en présence de tout le peuple. On s'écrie sur-le-champ de tous les côtés que c'est une déclaration manifeste du ciel, et qu'il faut absolument faire grâce au pauvre patient, victime volontaire du dévouement le plus héroïque. Tous les cœurs déchirés poussent à la fois le même cri en sa faveur. Mais, tout à coup, un autre jeune homme fait entendre sa voix au milieu de la multitude : c'était précisément l'un des complices impliqués dans le même procès criminel, et auquel un si beau sacrifice venait de sauver la vie. « Personne ne se présente, dit-il, pour dresser l'échafaud; eh bien! je prends sur moi ce soin. Il n'y a point de bourreau! j'en ferai les fonctions, et je me charge du supplice. » Tout le monde frissonna d'horreur, comme nous tous tant que nous sommes ici présents, en entendant une proposition si barbare, que les juges n'étaient pas en droit de rejeter. Il se mit donc à l'œuvre, et la sentence fut exécutée.

Vous frémissez, mes frères! A la bonne heure! Mais je suppose que vous me comprenez. Ce jeune homme si intéressant qui vient de mourir en quelque sorte devant vous pour le salut de ses frères, savez-vous qui c'est? C'est JésusChrist en son état de victime toujours vivante dans le sacrement de l'Eucharistie ! Et ce bourreau d'office, ce bourreau volontaire, qui est-il ? C'est vous tous, pécheurs sacriléges qui m'écoutez. Jésus-Christ, votre rédempteur et le mien, s'était donné pour vous une seconde vie par le testament et par le prodige de son amour. Il semblait pour toujours à l'abri d'une nouvelle mort dans ce tabernacle. C'est vous tous, malheureux Judas, c'est vous qui avez renouvelé son supplice après sa résurrection; c'est vous qui, par vos communions en état de péché mortel, avez dit, sinon en paroles, au moins par le fait, ce qui est pis encore : « Tirez Jésus-Christ du fond de ce sanctuaire où il est caché sous les voiles eucharistiques : livrez-le-moi sur cette table sainte : c'est moi qui vais le crucifier de nouveau : c'est moi qui veux élever de mes propres mains sa croix sur un autre calvaire c'est moi qui me charge d'être son bourreau! » BRIDAINE.

Le Tartare.

Télémaque aperçoit bientôt le noir Tartare : il en sortait une fumée épaisse, dont l'odeur empestée donnerait la mort, si elle se répandait dans la demeure des vivants. Cette fumée couvrait un fleuve de feu et des tourbillons de flammes, dont le bruit, semblable à celui des torrents les plus impétueux quand ils s'élancent des plus hauts rochers dans le fond des abîmes, faisait qu'on ne pouvait rien entendre distinctement dans ces tristes lieux.

Télémaque entra sans crainte dans ce gouffre. D'abord il aperçut un grand nombre d'hommes qui avaient vécu dans les plus basses conditions, et qui étaient punis pour avoir cherché les richesses par des fraudes, des trahisons et des cruautés. Il remarqua beaucoup d'impies hypocrites qui, faisant semblant d'aimer la religion, s'en étaient servis comme d'un beau prétexte pour contenter leur ambition et pour se jouer des hommes crédules: ces hommes, qui avaient abusé de la vertu même, quoiqu'elle soit le plus grand don des dieux, étaient punis comme les plus scélérats de tous les hommes. Les enfants qui avaient égorgé leurs pères et leurs mères, les épouses qui avaient trempé leurs mains dans le sang de leurs époux, les traîtres qui avaient livré leur patrie après avoir violé tous les serments, souffraient des peines moins cruelles que ces hypocrites. Les trois juges des enfers l'avaient ainsi voulu; et voici leur raison : c'est que les hypocrites ne se contentent pas d'être méchants comme le reste des impies; ils veulent encore passer pour bons, et font, par leur fausse vertu, que les hommes n'osent plus se fier à la véritable.

Mais parmi toutes les ingratitudes, celle qui était punie comme la plus noire, c'est celle où l'on tombe contre les dieux. « Quoi donc ! disait Minos, on passe pour un monstre quand on manque de reconnaissance pour son père, ou pour un ami de qui on a reçu quelque secours et on fait gloire d'être ingrat envers les dieux, de qui on tient la vie et tous les biens qu'elle renferme! Ne leur doit-on pas sa naissance plus qu'au père même de qui on est né! Plus tous ces crimes sont impunis et excusés sur la terre, plus ils sont dans les enfers l'objet d'une vengeance implacable à qui rien n'échappe. >>

Là Télémaque aperçut des visages pâles, hideux et consternés. C'est une tristesse noire qui ronge ces criminels : ils

ont horreur d'eux-mêmes, et ils ne peuvent non plus se délivrer de cette horreur que de leur propre nature; ils n'ont point besoin d'autre châtiment de leur faute que leurs fautes mêmes; ils les voient sans cesse dans toute leur énormité; elles se présentent à eux comme des spectres horribles, elles les poursuivent. Pour s'en garantir, ils cherchent une mort qui puisse éteindre tout sentiment et toute connaissance en eux; ils demandent aux abîmes de les engloutir, pour se dérober aux rayons vengeurs de la vérité qui les persécute; mais ils sont réservés à la vengeance qui distille sur eux goutte à goutte, et qui ne tarira jamais. La vérité qu'ils ont craint de voir fait leur supplice; ils la voient, et n'ont des yeux que pour la voir s'élever contre eux; sa vue les perce, les déchire, les arrache à eux-mêmes. FÉNELON.

L'Hirondelle et les petits Oiseaux.

Une hirondelle en ses voyages

Avait beaucoup appris. Quiconque a beaucoup vu
Peut avoir beaucoup retenu.

Celle-ci prévoyait jusqu'aux moindres orages,
Et, devant qu'ils fussent éclos,

Les annonçait aux matelots.

1

Il arriva qu'au temps que la chanvre 1 se sème,
Elle vit un manant en couvrir maints sillons.
<< Ceci ne me plaît pas, dit-elle aux oisillons :
Je vous plains; car pour moi, dans ce péril extrême,
Je saurai m'éloigner ou vivre en quelque coin.
Voyez-vous cette main qui par les airs chemine?
Un jour viendra, qui n'est pas loin,

Que ce qu'elle répand sera votre ruine,
De là naîtront engins à vous envelopper
Et lacets pour vous attraper,
Enfin mainte et mainte machine
Qui causera dans la saison

Votre mort ou votre prison :

Gare la cage ou le chaudron!

1. L'E muet étant la figurative du féminin, les substantifs terminés par un e muet ont été souvent considérés comme féminins. C'est l'application logique de cette règle qui explique l'usage populaire de faire incendie et emplâtre du féminin. Voyez mon Essai intitulé: LA LANGUE FRANCAISE depuis son origine jusqu'à nos jours. (Didier édit.)

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