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EXCURSION A CHAUMONT ET A AMBOISE

10 juillet 1882.

Cette année, la Société archéologique, étendant le cercle de ses excursions ordinaires, a dépassé, de quelques kilomètres, . les limites de la Touraine. Mais on ne peut l'en blâmer, car Chaumont a tant de liens avec notre pays, il en est si proche, qu'il nous a bien été permis de le considérer un peu comme nôtre. Du reste, si empiètement il y a, n'avons-nous pas pour excuse le témoignage d'un vieil auteur, dont la science géographique laisse, à la vérité, beaucoup à désirer, mais dont le nom cependant jouit d'une grande autorité? Voici ce que dit André Duchesne dans ses Antiquitez et recherches des villes, chasteaux et places plus remarquables de France : « La pre« mière (du duché de Touraine) et principale est la ville de. « Tours, de laquelle ressortissent, tant en premier qu'en « second appel, Chastillon-sur-Indre, Amboise.... Loudun, « Moutrichard, Chaumont, Corméry..... et autres, desquelles « je marqueray ici par ordre des plus rares singularitez. » A la table même, le Chaumont qui nous occupe, est appelé, pour le distinguer de plusieurs autres, Chaumont en Touraine.

Du reste, l'article qui lui est consacré est fort court et ainsi conçu : « Il y a aussi Chaumont, autre place, belle et

d'agréable assiète, possédée longuement par la maison « d'Amboise avec Montrichard. »

Quoi qu'il en soit de l'opinion d’André Duchesne, qui n'est confirmée par aucun monument authentique, n'est-il pas toujours permis, quand on est riche, d'emprunter au voisin, surtout lorsqu'on a l'intention de rendre à chacun ce qui lui est dů !

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A l'heure indiquée nous nous pressions tous dans le wagon, que la sollicitude empressée de notre excellent président nous avait obtenu, beureux de revoir au milieu de nous nos chers collègues de Loches, fidèles aux liens d'amitié que notre première excursion dans leur antique cité avait renoués entre leur groupe studieux et savant et notre Société. A eux s'étaient joints M. d'Espinay, aussi docte jurisconsulte qu'archéologue distingué, et M. Gillet, juge au tribunal de Chinon, dont l'heureuse bonne fortune, aidée d'un grand amour de la science, lui a fait trouver, comme M. Gauthier à Loches, ces chartes antérieures au ro siècle qui ont été dernièrement l'objet d'une communication à l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres.

Entraînés par un express inexorable, c'est à peine si nous avions le temps d'évoquer quelques souvenirs en passant devant ces gracieux et coquets villages éparpillés dans la vallée ou accrochés, comme des nids d'oiseaux, aux flancs des coteaux. Et, cependant, que d'événements se sont déroulés dans ces champs, actuellement si tranquilles, depuis les invasions des Danois et des Normands, dont les barques de guerre remontaient les fleuves après avoir bravé les eaux de l'Océan, jusqu'à ces jours troublés où, naguère, nous avons vu d'autres ennemis trainer leurs canons et déployer leurs bataillons innombrables sur nos routes et sur nos levées.

Qu'il me soit permis, néanmoins, de signaler brièvement les localités en vue desquelles nous avons passé ou que nous avons traversées. Leur histoire fait partie de notre domaine et doit entrer, j'en suis sûr, parmi les fleurs d'archéologie que plus d'un a rapportées de notre excursion.

I

C'est d'abord Saint-Pierre-des-Corps, avec sa ricbe varenne dont la vue ne suscite plus que des idées de prospérité et de richesse, et qui, autrefois, était un ustrinum, où les Romains brûlaient leurs morts. Primitivement désolé et désert à cause du respect et de la crainte qu'a inspiré en tout temps et par. tout le lieu de repos suprême, il finit par recevoir quelques habitations lorsque le christianisme, en abolissant la crémation des corps, eut choisi d'autres endroits pour les inhumations.

Au x siècle, sur les bords de la Loire et non loin de la route d'Amboise, s'élevait une abbaye de femmes, connue sous le nom de Saint-Loup. Humbles et amies de l'obscurité, ces religieuses n'ont laissé d'autres traces que le nom de leur abbaye, connu seulement des savants, et aussi celui de la Ville-aus-Dames, dont le territoire leur appartenait en partie.

Continuellement menacé par les crues de la Loire, ce derpier village n'a jamais pu rien fonder de durable et de digne d'attention. Cependant on peut y signaler le charmant portail septentrional de l'église, orné des culptures délicates, qui date de la fin du XV° siècle.

Mais le monument qui attire le plus les regards et excite davantage la curiosité du voyageur est ce singulier pilier quadrangulaire qu'il aperçoit, de l'autre côté du fleuve, au sommet des roches calcaires de Rochecorbon. Quelques débris d'antiques murailles viennent s'y rattacher, tandis qu'en dessous, grâce aux éboulements, on voit s'ouvrir dans le coteau maint couloir mystérieux et maint escalier débouchant maintenant sur l'abime. Bien des hypothèses ont été hasardées sur l'usage de cette tour, dont la solidité a défié jusqu'à prégent et les ans et les orages, quoiqu'elle surplombe d'une façon effrayante sur la vallée. Il y a tout lieu de croire qu'elle servait de fanal pour avertir, en cas de danger, la garnison d'Amboise.

Mais depuis quelque temps déjà, nous avons dépassé la pointe de Rochepinard, où Louis XIV, dit-on, charmé du panorama, songea un instant à bâtir son Versailles.

Un peu plus loin, nous entrons sur le pont de Montlouis, dont les ages futurs rediront les fortunes adverses dans la funeste guerre de 1870-71,

Le touriste rencontrera rarement un paysage plus pittoresque que celui qui se déroule en cet endroit, sous ses yeux. La Loire est là avec ses eaux tranquilles et transparentes, réfléchissant comme un miroir, les maisons du village qui, sur le versant taillé en pente abrupte, se dressent ou mieux s'entassent les unes au-dessus des autres, tandis que l'église, avec ses toits aigus et son élégant clocher, couronne le tout de la manière la plus gracieuse.

On salue, en même temps et de loin, les restes de l'ancien prieuré de Bon-Désir, dont nous admirerons tantôt un des joyaux, transporté à Amboise, le tombeau de Philibert Babou. Mais si ce nom rappelle à la pensée celui de Gabrielle d'Estrée, le coeur chrétien, à Montlouis, ne peut s'empêcher de battre en songeant que c'est également là qu'eut lieu, près de l'église fondée par saint Perpet, cette réconciliation impie que simula, en 1174, Henri Il de Plantagenet avec saint Thomas Becket, archevêque de Cantorbéry, qu'il fit assassiner quelque temps après.

A Vouvray, dont on aperçoit, au milieu des arbres, la tour de l'église, si l'archéologue n'a rien à regretter, le gourmet, du moins, ne peut s'empêcher de se souvenir que les vins célèbres qui s'y récoltent faisaient déjà, dès le xvr siècle, comme encore aujourd'hui, les délices des Flamands.

Un peu plus loin voici Vernou, l'ancien Vernadum des Gallo-Romains. Ici l'amateur du vieux temps trouve riche moisson, depuis l'église, où le XI° siècle se marie avec le xno et même le xvio; le palais de Pépin le Bref, belle ruine gallo-romaine ou mérovingienne, dont la maçonnerie, composée de petites pierres cubiques, est coupée, de distance en distance, par quelques arcades à plein cintre, formées de briques accolées, séparées d'espace en espace par des claveaux

de pierre; jusqu'à l'ormeau de Sully, vieux tronc décrépit, que le puissant ministre avait fait planter, dit-on, en com

mémoration de la promulgation de l'édit de Nantes

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A Noizay, quoique la récolte soit moins abondante, on peut cependant voir l'église, intéressante pas ses murs en petit appareil et ses stalles, finement sculptées, provenant de l'abbaye de Fontaine-les-Blanches. C'est au château de Noizay, bien différent de ce qu'il était autrefois, que Jacques de Savoie, duc de Nemours, surprit, en 1560, Castelnau, l'un des chefs de la conspiration connue sous le nom de Tumulte d'Amboise, et qui fut décapité, plus tard, par l'ordre du duc de Guise, à Amboise, dont la vue de la pagode, s'élevant au-dessus des bois, nous annonce l'approche.

Après avoir jeté un coup d'æil rapide sur un petit castel de briques et de pierres, qui se dresse à quelques pas de Négron, et où vécut pendant quelque temps le poète Scarron, et sur un autre modeste manoir du xv° siècle, situé près de la gare et connu sous le nom du Sauvage, il nous fallut nous contenter de saluer de loin le splendide château de nos anciens rois et continuer notre route.

A Limeray, le touriste peut visiter avec intérêt les restes d'un ancien monument du XII° siècle, appelé le Palais de justice, ainsi que le Jeu de paume, le Mail, et plusieurs maisons portant le cachet d'une grande antiquité. Sur son territoire s'élevait autrefois le monastère de Moncé, habité

par

les filles de l'ordre de Citeaux. Fondé en 1216, par Payen Hermengard, de Tours, il fut doté, en 1268, par Jean de Berrie, seigneur d'Amboise et de Chaumont, d'une rente annuelle et perpétuelle de 50 livres, sur la terre de Chaumont. Cette rente fut renouvelée pour la dernière fois, en 1780, par le chevalier Le Ray de Chaumont (1).

La station suivante, Veuves, nous rappelle un passage de saint Grégoire de Tours, où il est question d'un évèque pèlerin, nommé Bénigne, mort non loin de Tours, et dont ce petit pays aurait possédé les reliques au xo siècle. D'après un ancien manuscrit conservé à Utrecht, et cité par les Bollan

(1) Notice historique et chronologique sur le château de Chaumont, par A. Storolli, 1880.

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