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LA REPRÉSENTATION PROVINCIALE

EN BRETAGNE,

APRÈS L'UNION DE CETTE PROVINCE A LA FRANCE.

La nécessité d'une administration provinciale émanant directement de la volonté du roi dut se faire sentir dès les premiers moments de la réunion de la Bretagne à la couronne; mais son organisation et sa mise en activité offraient des obstacles qu'il était très-difficile de surmonter, et il n'eût pas été possible, au début de cette réunion, de vaincre les répugnances qui se seraient manifestées, non plus que les oppositions que la noblesse et le clergé, jaloux de leurs droits, n'auraient pas manqué de présenter. A la fin de la Ligue, peut-être y songea-t-on cependant, et la création du parlement et de certaines juridictions nous en semblent une preuve peu récusable; mais la chose ne devait évidemment s'accomplir qu'un peu plus tard, et il fallait à la royauté le temps de se remettre des longues agitations des règnes précédents, pour reprendre l'autorité et la prépondérance qui pouvaient seules faire admettre sa volonté, même pour le bien de tous. Aussi ne fût-ce qu'en côtoyant en quelque sorte les usages et les traditions du régime féodal comune autant d'obstacles à surmonter, que le pouvoir royal put espérer de parvenir à constituer une administration qui lui fût propre et qui pût enfin compléter l'assimilation d'une province qui eut si longtemps une existence nominale et indépendante.

Si la présence d'un gouverneur pourvu de pleins pouvoirs, fut regardée avec raison comme le moyen le plus efficace de s'emparer de la direction des grands intérêts du pays, on dut aussitôt reconnaître que ce même gouverneur, sans le concours des institutions provinciales, serait d'un médiocre résultat et d'une efficacité peu certaine.

Mais comment s'immiscer à l'action toute locale des juridictions ct des seigneuries, qui étaient presque sans exception dans la main des familles nobles et riches, qui avaient eu déjà tant à perdre aux entreprises de la royauté et de l'union de la Bretagne à la couronne de France?

Après l'établissement des gouverneurs, la suppression d'un certain nombre de juridictions et la mobilisation en quelque sorte des forces vives du pays, par l'obligation faite aux bannerets et à leurs hommes de se rendre partout où besoin serait dès le premier appel du roi, il restait encore les communautés politiques et la représentation provinciale, qui durent naturellement attirer toute l'attention des conseillers de la couronne.

Voyons ce qui se passa pour les États, première et grande représentation du pays.

On ne peut d'abord se dissimuler que tout le temps que la province, séparée de la France, forma un État distinct et nominal, ayant ses chefs, ses armées, sa politique et toute l'existence d'un État indépendant, on ne peut, dis-je, se dissimuler que le rôle et l'action des Etats furent tout autres que depuis l'acte d'union qui réunit la Bretagne à la France. Pendant l'existence de la maison ducale de Bretagne, les États formèrent une grande réunion politique, qui, intimement unie à la fortune des souverains de la province, eut à s'occuper de toutes choses important à son existence tant intérieure qu'extérieure. A ce titre, la politique générale du pays, les traités d'alliance et de commerce, les mariages de la maison régnante, les levées d'hommes et de deniers, les impôts, la défense des places et de la frontière, toutes affaires relatives à la condition des citoyens et des classes entre elles, la validation des coutumes et des usements locaux, furent autant de sujets rentrant dans le cadre de leurs délibérations; et, poursuivant eux-mêmes l'exécution de leurs propres décisions, souvent les États eurent à la fois des ambassadeurs au dehors et des délégués au dedans, pour surveiller l'accomplissement des mesures jugées utiles. Tous les actes importants relatifs à l'existence politique de la province, étaient signés par les évêques, par les barons et les seigneurs les plus considérables du pays.

Mais quand une fois la province n'eut plus ses ducs, plus sa politique, plus ses armées propres, ni ses deniers à elle seule, à quels changements, dans la pensée comme dans la forme, la représentation

des États ne fut-elle pas soumise : Plus d'avis à donner sur la marche propre du gouvernement, sur sa politique générale ni ses affaires extérieures; au dedans, le seul examen de quelques faits administratifs, et le simple concours de son action pour la levée de quelques impôts et la régie de quelques faits administratifs, comme routes, ports, casernements, étapes et réparations de places fortes, intérêts commerciaux et agricoles.

C'est ainsi que, d'assemblée politique, les États tombèrent au simple rang de chambre administrative.

Cette chambre et cette représentation conservèrent bien encore quelque temps le souvenir de leur autorité, et ce ne fut pas sans peine qu'elles se réduisirent au simple rôle que les rois de France leur laissèrent. Il resta même dans la formie plusieurs choses de leur passé, et probablement le maintien de cette tradition parlementaire fut un calcul de la part de la cour; mais, an fond, tout fut changé, tout fut réduit et amoindri dans des proportions qu'on ne peut bien saisir qu'en remontant jusqu'au règlement de 1687, qui parut presqu'en même temps que la création des intendances et qui fut en quelque sorte comme la charte nouvelle et administrative du pays.

Mais, avant d'examiner plus au long le résultat de ces profonds changements, suivons dans leur ordre chronologique quelques-unes des modifications que subirent les États dans leur propre constitution, du xv au XVIIe siècle.

Il paraît d'abord que jusqu'au règne des derniers ducs de Bretagne, les princes alliés de la maison ducale, les comtes, les barons, les bannerets, les chevaliers, les bacheliers et les écuyers, c'est-à-dire la noblesse titrée eut seule entrée aux États et put en faire partie. C'était encore le fief et la seigneurie féodale qui décidaient de cette entrée et de ce droit.

Mais dès que les troubles de la religion commencèrent, dans le XVIe siècle, à dessiner les partis, l'entrée aux États devint beaucoup moins difficile; et dès que la Ligue eut levé le masque et que le pays entier se fut partagé en deux camps, il y eut aussi deux représentations provinciales: l'une à Rennes, sous la direction des hommes. restés fidèles au roi; l'autre à Nantes, sous la direction du duc de Mercœur et de sa femme, prétendue héritière de la couronne ducale de Bretagne dès lors, les admissions ne se calculant que sur le zèle et l'empressement des gentilshommes qui s'offraient à la défense

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