CRITIQUES SUR LE LIVRE DE M. L'ABBÉ COCHET INTITULÉ SEPULTURES GAULOISES, ROMAINES, FRANQUES ET NORMANDES ("). Tandis que je suivais les cours de l'école de droit de Paris, il y a une vingtaine d'années, un pauvre vieux bouquiniste et marchand de bric-a-brac, établi dans un recoin obscur près de la Sorbonne, me vendit un dessin intéressant par l'étrangeté de sa composition. Une jeune et grande femme, aux traits austères, vêtue d'une robe longue et montante, la tête ceinte d'une bandelette, tenant un mors et une lanterne allumée de la main gauche, montrait de la droite, à un homme décoré de l'habit de docteur, auquel elle semblait parler, un squelette couché, entre deux bouteilles carrées et deux piles de monnaies, dans un tombeau de pierre, dont un petit génie soulevait le couvercle avec effort. L'enfant avait la mine sérieuse, les ailes liées ensemble, à leur naissance, par une corde à nœuds, et un petit sablier pendu à la ceinture. Derrière le docteur, accroupi presque sur ses talons, ronflait un gros moine ventru, en compagnie d'un porc, d'un mouton, d'un dogue et d'un bouc à la face hébétée; tandis qu'un hibou, perché sur l'une des aspérités supérieures du rocher encadrant cette scène, en contemplait silencieusement les divers acteurs. (1) Cet ouvrage, qui fait suite à la Normandie souterraine du même auteur, forme un vol. grand in-8° de xvI-452 pp., orné d'un très-grand nombre de gravures sur bois; Paris, Derache, rue du Bouloi, 7, 1857.. Ce dessin, fait sans doute pour être gravé et servir de frontispice à un livre sur les antiquités, dû à quelque savant, précurseur ignoré d'une science alors dans les langes, mais entrevue déjà par les hommes de la Renaissance, qui ont remué tant de choses, ce dessin était très-habilement exécuté à la plume sur une belle feuille de vélin. Il était lavé à l'encre de Chine et rehaussé de blanc avec beaucoup d'intelligence et de goût. Son auteur, graveur de l'école de Lucas de Leyde, avait inscrit dans un coin, sur un petit cartouche, les lettres S. N., initiales de son nom, et la date 1534. A côté du cartouche se voyait aussi un burin, indiquant la profession de l'artiste. Je déplore fort aujourd'hui la perte de cette œuvre remarquable, sortie il y a déjà bien longtemps de mes mains, pour retomber dans le courant du brocantage. Lorsque je m'en défis, afin de satisfaire une nouvelle fantaisie de collectionneur, j'étais loin de comprendre la pensée entière du maître. Ce fut plus tard, en relisant la description du dessin sur mon catalogue, que sa véritable valeur pour un antiquaire me fut révélée, et que je sentis un grand regret de ne pouvoir plus étudier avec fruit cette composition protestante, naïve et railleuse, à laquelle l'épigraphe du livre qui va faire le sujet de cet article, servirait si bien de commentaire. «< Aperiam tumulos vestros et educam vos de sepulchris vestris (Ézéchiel, c. 37, v. 12), » me dirait, en effet, de sa voix grave et pénétrante, la chaste jeune femme, qui m'apprendrait maintenant pourquoi les ailes de son petit compagnon sont liées, comme si le génie des recherches archéologiques devait avant tout être patient et cloué à la terre, et, si je ne le savais déjà par expérience, ce que font à ses pieds ces quatre bêtes stupides, avant-garde bruyante de la grande armée des sots, qui obstruent le chemin, et troublent, du bruit de leur pénible digestion, le cours de ces enseignements suivis avec tant d'intérêt par le docteur. Mais la belle institutrice du XVI° siècle est sans doute à jamais perdue pour nous. Elle est allée s'enfouir dans la poussière de quelque collection lointaine, ou faire pendant peut-être à je ne sais quelle fade composition de Boucher, ou bien à la gravure du Décameron de Winterhalter, le peintre chéri des amateurs de Falaise et des boudoirs du quartier Bréda. Par bonheur, le germe qu'elle a semé, mort en maint endroit faute de nourriture, s'est conservé intact ailleurs, comme ces grains de blé ensevelis dans les sépultures égyptiennes. C'est ce qui est arrivé en un canton de |