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ET

L'ACADÉMIE DES JEUX FLORAUX.

Chaque année, l'Académie de Toulouse célèbre, au mois de mai, la Fête des Fleurs. Cette solennité poétique et religieuse s'ouvre par l'éloge de Clémence Isaure. Ensuite, des commissaires vont chercher, avec pompe, les Fleurs d'or et d'argent exposées, dès le matin, sur le maître autel de l'église de la Daurade, où furent ensevelis les restes de la femme illustre en l'honneur de laquelle, il y a plus de quatre siècles, se célébraient déjà les Jeux Floraux. Le secrétaire perpétuel fait un rapport sur le concours, et on proclame les vainqueurs, qui peuvent, s'ils le désirent, lire eux-mêmes leurs ouvrages. La séance se termine par la distribution des Fleurs.

Nous ne voulons pas ici faire l'historique de cette institution, mais constater seulement que la France envoie de toutes ses extrémités des enfants prendre part à cette lutte littéraire. La Bretagne y compte plus d'un vainqueur; Châteaubriant, Boulay-Paty, Violeau et d'autres figurent dans le Recueil de l'Académie. C'est en feuilletant par hasard cette publication, que nous y avons remarqué jusqu'à trois fois le nom de M. Cœuret, juge au tribunal de Nantes. Qui de nous connaît ce magistrat, aux sévères fonctions, sous l'aspect du littérateur? Il ne fait partie d'aucune de nos sociétés littéraires; et cependant, M. Couret, s'il est parisien par la naissance, s'est acquis par son séjour dans notre ville droit de cité. C'est avec plaisir que nous insérerons prochainement des poésies d'un homme dont le talent égale la modestie. Déjà MM. de Sourdeval et Giraud, l'un juge, l'autre substitut à Tours, M. Pouhaër, avocat général à Rennes, ont fourni à cette Revue d'intéressants articles. Les graves occupations de la magistrature ne sont donc pas incompatibles avec la culture des lettres, comme le prouvent encore la traduction du Dante de M. Ménard, vice-président à la cour de Cassation, les poésies et les mélanges littéraires de MM. Hello et Berville, avocats généraux, de M. Poitou, de la cour d'Angers, deux fois couronné par l'Académie française, et les prix remportés aux Jeux Floraux par plusieurs conseil

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lers. Les lettres, qu'elles se manifestent sous la forme d'un discours, d'une pièce de poésie, d'une dissertation historique ou artistique, offriront toujours un noble et utile délassement aux intelligences d'élite.

Revenons à M. Cœuret. Dès 1844, alors juge à Draguignan (Var), il présenta aux Jeux Floraux une pièce de 132 vers, intitulée: La Dernière Eglogue ou l'Eglogue sous deux parapluies. Depuis un demi-siècle, ce genre de pièce n'avait paru que deux fois au concours. L'Églogue, dit le rapporteur, était donc à peu près tombée dans l'abandon et dans l'oubli, quand un jeune poète, jusqu'alors inconnu dans nos Jeux, s'est présenté comme le champion de cette gracieuse poésie, a combattu pour elle, et, victorieux dans la lutte, lui a rendu ses honneurs et ses beaux jours d'autrefois..

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« L'Académie fait trop cas des grâces de l'esprit et des délicatesses du goût, elle place trop haut une poésie pleine de richesse et d'éclat, pour ne pas s'être trouvée heureuse de pouvoir accorder à la Dernière Églogue le témoignage le plus flatteur de sa satisfaction. M. Cœuret a obtenu le Souci d'argent. »

En 1855, le Recueil de cette même Académie a publié une autre pièce de son lauréat : le Werther de collège, avec cette épigraphe : Il n'y a plus d'enfants! L'auteur, tour à tour plaisant et sérieux, montre le ridicule de ces jeunes élèves qui veulent être hommes avant même de quitter les bancs, et qui s'abandonnent au premier courant des mauvaises passions. Ce petit poème, de 150 vers, est écrit avec autant d'entrain que d'élégance.

Enfin, un dernier ouvrage de M. Cœuret, que nous publierons dans notre prochaine livraison, a été, pendant l'année qui vient de s'écouler, l'objet d'une distinction aux Jeux Floraux, malgré une critique qui nous semble, du reste, assez motivée. « Les Nouveaux Titans, dit le rapporteur, est assurément une œuvre amusante, originale, morale et poétique à la fois sous le rapport du sujet, écrite d'ailleurs avec une rare facilité, parfois même avec une verve singulière;....... mais les formes du langage manquent de variété; les plaisanteries, semées avec profusion et tournant constamment dans le même cercle, ne sont pas toutes d'un goût également délicat ; enfin, les deux derniers vers, qui ne plaisantent pas du tout, n'en valent pas mieux pour cela, car l'assimilation qu'ils font du feu de la science et du feu de l'enfer est tout au moins exagérée. » Évidemment, l'auteur, homme d'esprit et de bon sens, ne prend pas au sérieux l'idée qu'exprime ces deux derniers vers, qui sont dans le

ton général de la pièce, mais qui n'attaquent au fond que les abus et non le sage emploi de la science.

Appelé en Corse, où il devint président de tribunal, M. Cœuret a profité de son séjour dans ce pays pour se livrer à ses goûts littéraires. Variant ses travaux, il a préparé un grand ouvrage sur le droit et a terminé une traduction complète, en vers français, de la Pharsale de Lucain (1). Nous n'avons jusqu'ici que celle de L'Epernay en ce genre qui soit complète, et reproduise phrase par phrase le poème latin, et encore cette œuvre est-elle dénuée de tout sentiment poétique, car on n'en citerait pas cent vers qui soient passables; celle de Brébeuf n'est qu'une traduction libre; et si le chevalier de Laurès, Laharpe, Legouvé, se rangent au nombre des traducteurs de Lucain, ils sont loin d'avoir embrassé l'ensemble de la Pharsale. M. Cœuret a commencé son travail sous l'inspiration et avec les conseils de Casimir Delavigne ; de plus, il a reçu l'approbation de célèbres écrivains. Après avoir lu ses vers, Charles Nodier lui écrivait : « Vous avez beaucoup de l'air de Lucain, et me paraissez le seul de nos traducteurs qui représente les grands traits de son modèle. » Et Victor Hugo: « Nous aurons enfin une traduction fidèle, une copie dans le ton du maître, un vigoureux décalque. » Si la traduction de M. Cœeuret, dont quelques fragments ont été imprimés, n'est pas publiée, cela tient à une cause indépendante de sa volonté, car son manuscrit est depuis longtemps terminé.

L'année dernière, il a publié une petite brochure intitulée: Nouveau Système de Rimes (Paris, chez Hachette). Le Moniteur et la Revue de Paris en ont rendu compte. Voici un extrait de l'article de cette dernière : « M. Cœuret déclare une guerre acharnée à l'e muet. La nature n'a pas d'e muet; les étrangers n'ont pas d'e muet; au lieu des rimes masculines et des rimes féminines, l'auteur propose des rimes à son simple et des rimes à son articulé. M. Cœuret exprime son indignation, propose sa réforme, appuyée sur des calculs, et donne des exemples, le tout en quatre pages très-nettes et trèscurieuses. >>

Nous voudrions parler encore d'une œuvre qu'il vient de publier, d'un drame en vers, intitulé: La Passion et le Devoir, ou Gusman le Brave; mais cela nous entraînerait trop loin. Un beau caractère d'homme, un caractère de femme, qui s'éloigne peut-être du naturel,

(1) Cette œuvre renferme plus de dix mille vers.

des situations vraiment dramatiques, une trame simple mais ourdie avec talent, des rôles secondaires d'un comique un peu chargé, des pensées toujours exprimées avec aisance et souvent avec beaucoup de noblesse, font de cette pièce, malgré nos quelques reproches, une œuvre remarquable, qu'on ne lira pas sans un vif intérêt. Mile Araldi, du Théâtre-Français, était venue dans notre ville pour la jouer; mais M. Cœuret, ayant trouvé quelques inconvénients à cette représentation à Nantes, y a renoncé. Qu'une autre scène s'en empare, la rende convenablement, et nous ne doutons pas du succès.

Dès son début, M. Cœuret a collaboré à diverses publications périodiques. Il a donné à Paris et dans le Midi de nombreuses poésies qui, si elles n'ont jamais été réunies en volume, ont été, en revanche, reproduites comme de nouvelles compositions. Ainsi, l'an dernier, un journal de Nantes annonça l'arrivée d'un improvisateur distingué, et publia des extraits de journaux qui célébraient à son de trompe le talent du nouvel Eugène de Pradel. On citait comme modèle du genre un rondeau improvisé par le susdit poète sur des rimes imposées séance tenante; mais, o fatale rencontre! le rondeau intitulé : Comment on guérit de l'amour, avait été imprimé quinze ans auparavant dans plusieurs journaux du Midi, avec la signature Cœuret. Malheureusement, l'improvisateur ne connaissait pas certaines corrections que l'auteur a fait subir, il y a deux ans, à son rondeau; sans quoi, il les eût improvisées !

Dès 1837, la Revue de Paris, en rendant un compte très-favorable d'un des ouvrages de M. Cœuret, disait : « Ce que nous lui reprochons, c'est une sorte d'intempérance d'imagination et une exagération de ses propres qualités; c'est de manquer parfois le but en le dépassant, de manquer l'harmonie par l'éclat trop soutenu des tons; en un mot, d'échapper à l'ordre par la trop grande impétuosité du mouvement. » Depuis cette époque, l'auteur, dont la vive imagination n'est pas en peine d'improviser, au milieu d'un salon, plusieurs centaines de vers de suite, tient mieux en bride aujourd'hui la folle du logis, il a su mettre à profit autant son expérience que les sages conseils des critiques, et s'il laisse percer encore l'exagération de ses qualités, hâtons-nous de dire que l'ensemble de ses travaux mérite les plus sérieux éloges. Que M. Cœuret adresse à Toulouse quelques nouvelles poésies, et bientôt il sera compté au nombre des mainteneurs des Jeux Floraux.

Armand GUÉRAUD.

SUR

LES RESSOURCES DU COMTÉ NANTAIS

EN CHEVAUX PROPRES A LA REMONTE,

FAIT EN 1788 PAR CHABERT.

Nous appelons des études de tout genre sur nos localités; car le but de la Revue des provinces de l'Ouest, répétons-le, est de recueillir sans partialité tous les faits, toutes les notes, tous les documents, tous les écrits destinés à les faire connaître et à les mieux apprécier. Laissons à d'autres le soin de décrire le Kamtschatka; ces lieux éloignés n'ont pour nous qu'un intérêt bien secondaire. Notre amour du sol natal, loin d'être sans écho, trouve plus que jamais des sympathies sincères, car chacun comprend qu'il faut connaître, dans la plus large acception du mot, le pays que nous habitons et celui qui nous entoure, dans son passé et dans son présent, avant de tourner ses regards vers les nations et les contrées étrangères. C'est donc avec un véritable plaisir que nous avons reçu le document qui suit. M. Caron, en continuant ses recherches sur les subsistances militaires (1), a bien voulu le copier à notre intention, aux archives du ministère de la guerre, et nous l'en remercions avec sincérité. Il l'a ́extrait d'un rapport fait en 1788 sur les ressources de la France en chevaux propres à la remonte de l'armée. Voici, du reste, sur le signataire, ce que porte une note qui accompagne ses rapports, et qui donne au Conseil (sans doute de la guerre) copie des instructions remises à M. Chabert, pour sa mission.

« La première tournée de M. Chabert a duré du 26 mai à novembre 1788; il a paru la personne la plus capable de remplir un objet aussi important: il joint à des connaissances approfondies dans l'art vétérinaire, l'avantage de connaître tous les maréchaux des régiments

(1) Voir, dans cette Revue, 2e année, 1854-55, p. 119, le compte rendu de l'Essai sur les subsistances militaires en France, par N.-L. Caron, 1 vol. in-8°.

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