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A l'époque où les provinces de l'ouest se soulevèrent contre la république, la famille de Penarvan était, par son ancienneté, une des plus considérables de Bretagne : elle disparut dans la tourmente qui dévasta cette terre héroïque. MM. de Penarvan, ils étaient quatre frères, tombèrent foudroyés tous quatre à l'affaire de La Tremblaye. L'épitaphe de ces jeunes guerriers se trouve dans Xénophon : « Ils moururent irréprochables dans la guerre et dans l'amitié. » Lorsqu'on les rapporta sans vie au château d'où ils étaient partis quelques semaines auparavant dans tout l'éclat de la jeunesse, le vieux marquis, leur père, appuyé sur sa fille, les reçut debout au pied du perron. Sa bouche resta muette, ses yeux ne versèrent pas une larme. Il contempla longtemps sa race anéantie, puis il se découvrit pieusement et s'inclina dans un suprême adieu. Deux jours après, il montait à cheval, et, malgré son grand âge, se rendait au camp de M. de Lescure. Il se battit comme un lion, passa la Loire avec l'armée vendéenne, et fut tué aux portes du Mans. Mlle de Penarvan avait suivi son père. Après des vicissitudes inouies, elle put rentrer dans le domaine où elle était née, et prendre possession des débris

de son héritage qu'avaient largement échancré les confiscations d'une part, et de l'autre cent mille écus versés par le marquis dans les caisses de l'armée catholique; les fureurs de la guerre civile avaient à peu près dévoré le reste. Ruiné par l'incendie, le château n'offrait plus qu'un seul corps de logis qui fût habitable; les fermes d'alentour, ouvertes à tous les vents, laissaient voir leurs foyers déserts, où croissaient déjà les ronces et les orties. Mile de Penarvan s'installa fièrement dans sa pauvreté : il y a des âmes qui ne relèvent point de la fortune.

Me Renée de Penarvan était née à l'ombre des tours féodales, derniers vestiges de l'antique demeure des ancêtres, aux flancs de laquelle s'adossait, comme un nid contre une aire, le manoir des neveux. Orpheline de mère dès sa plus tendre enfance, elle avait grandi en pleine liberté au milieu de ses frères, qui, élevés euxmêmes en gentilshommes campagnards, encourageaient à plaisir ses goûts aventureux et ses mâles instincts, héréditaires dans leur famille. Le marquis y prêtait la main; il n'avait pas de plus grande joie que de courir le cerf avec sa fille, et rien n'était charmant comme les départs pour la chasse, le seigneur breton entouré de ses quatre fils, la jeune amazone en tête, tous à cheval, et s'enfonçant, au bruit des fanfares, dans la profondeur des bois. Cette éducation toute virile avait développé chez Me Renée plus de force que de grâce, plus d'énergie que de tendresse. A dix-huit ans, on eût dit une héroïne des temps chevaleresques. L'abbé Pyrmil, qui possédait à fond son histoire de Bretagne, et avait la manie d'en mettre un peu partout, la comparait à Jeanne de Penthièvre et plus volontiers à la comtesse de Montfort. Elle était belle, mais, quoique blonde et blanche, d'une beauté moins faite pour inspirer l'amour que le respect. Ses cheveux, d'une rare magnificence, couronnaient un front droit et ferme. Le nez était aquilin et fier, le regard impérieux et hautain, la bouche facilement dédaigneuse. Sans manquer d'élégance, sa taille n'avait rien des formes éthérées que les poètes poursuivent dans leurs rêves; Me Renée eût porté sans fléchir l'armure des guerrières auxquelles l'abbé Pyrmil se plaisait à la comparer. L'orgueil de race, le plus légitime de tous après celui qu'on tire de son propre, mérite, se trahissait dans ses gestes et dans son maintien. Cet orgueil, qui devait être l'unique passion de sa jeunesse et le supplice du reste de sa vie, l'avait prise presqu'au berceau. Son imagination s'était nourrie de bonne heure des chroniques de sa naison; grâce aux leçons de l'abbé Pyrmil, le culte des aïeux devint chez elle une sorte d'idolâtrie.

L'abbé Pyrmil était un pauvre abbé qui devait tout aux Penarvan, chez qui son père avait été fermier. En sortant du séminaire, il était

entré au château, où il achevait l'éducation des jeunes gens et disait la messe les dimanches et les jours de fête. Qu'il fût le modèle des chapelains, je n'oserais pas l'affirmer; mais à coup sûr on pouvait voir en lui le phénix des précepteurs, car il était modeste avec un modeste savoir. Il passait d'ailleurs pour un puits de science à dix lieues à la ronde, et, si le mérite se mesurait à la taille, sans aucun doute il en eût remontré à tous les pères de l'église, jamais abbé si haut perché sur ses jambes ne s'étant rencontré dans la chrétienté. La nature l'avait fait si long et si mince, qu'on tremblait pour lui les jours de grand vent. Tel qu'il était, avec ses jambes de héron, son corps passé au laminoir, ses yeux d'un gris pâle et sa face blême, d'où s'élançait un nez impétueux, on ne pouvait s'empêcher de l'aimer, tant il y avait de douceur affectueuse dans son regard et de bonté vraie dans son cœur. Une âme reconnaissante et dévouée logeait sans bruit sous cette enveloppe ridicule. Le bon abbé était tout Penarvan. Si l'on fùt venu lui dire que le marquis n'était pas d'aussi bonne maison que le roi, quoique d'humeur très pacifique, il n'eût pas pris plaisamment la chose; quant aux enfans, il estimait que jamais si belle lignée n'avait fleuri sur les marches d'un trône. Son dévouement ou plutôt sa dévotion pour cette famille débordait sur toute la race, et remontait de génération en génération jusqu'aux ancêtres les plus reculés. Il s'était consacré à la glorification de leur mémoire, comme si sa reconnaissance n'eût pas trouvé à s'exercer suffisamment sur leurs descendans. Les Penarvan étaient sa marotte. Il les connaissait tous; pour les dénicher un à un dans les broussailles du passé, il avait fureté partout, fouillant chroniques et lé– gendes: on n'est pas bien sûr que, par excès de zèle, il n'en ait pas inventé quelques-uns. Cette chasse aux aïeux avait fini par absorber les forces vives de son intelligence. Il ne rêvait que Penarvan; tous ses discours en étaient farcis. Quoi qu'on s'avisât de dire ou de faire, à propos de rien et à propos de tout, il avait à toute heure un Penarvan tout prêt, qu'il tirait de son sac et qu'il vous jetait à la tête. On peut croire que les Penarvan de l'abbé Pyrmil étaient tous des héros incomparables; les Clisson et les Du Guesclin n'allaient pas à la cheville du plus petit d'entre eux. Le plus souvent c'était à table, entre la poire et le fromage, qu'il racontait leurs grands coups pée; une fois parti, le diable ne l'eût pas arrêté. Il combattait avec Gautier de Penarvan sous la bannière de Jeanne de Flandre; il suivait Guy de Penarvan aux croisades, pourfendait avec lui les infidèles, et ne le quittait qu'après l'avoir enterré à la Massoure; avec Alain de Penarvan, surnommé Jambes-Tortes, il taillait en pièces les Normands sous les murs de Nantes, et purgeait la Bretagne de ces hordes sauvages. Dans la gloire authentique de ce dernier fait

d'é

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