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Leur aïeule était là dont l'âge encor sourit,
Jeune de cœur, jeune d'esprit.

Or, tous deux entraînés par la ronde folâtre,
Nous avons pris la main d'un pâtre,
Et le soir vit, mêlés sous ses rayons tremblans,
Les cheveux noirs, les cheveux blancs. -

Près de Ker-Véléan, votre agreste campagne,
Un chœur joyeux ainsi couronnait la montagne.

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J'ai vu les légères colombes

Dans nos lacs se baigner, soupirer dans nos bois,
Et lisser leur plumage argenté sur les tombes.
J'ai vu les noirs corbeaux de leurs lugubres voix
Effrayer la montagne, et sur les pourritures
Hideusement chercher leurs infectes pâtures;

Puis un être chagrin, sombre ennemi du beau,
A la face blêmie, au front âpre, à l'œil triste,
Admirait l'animal dévorant; à la piste,
Il semblait tout au loin flairer quelque lambeau.
<< O colombes! laissez son horreur au tombeau!
Criait-il; par la mort et l'effroi l'homme existe. »
Un Latin avait dit, sage et riant artiste :

« On blâme la colombe, on pardonne au corbeau. »

II.

Quand ton corps s'étendra dans sa couche de terre,
Sans chaleur, sans couleur, forme sans mouvement,
Le corbeau, ton ami, lentement, lentement,
De loin arrivera vers toi, parleur austère;

Tu l'entendras, perché sur l'if du cimetière,
Emplir le champ des morts de son croassement,
Horreur! et sur ton lit s'abattre bruyamment,
Et son bec dur sonner sur l'argile et la pierre!...

Toi qui portes toujours le rameau d'olivier,
Colombe, viens alors vers ton censeur morose :
Le fiel ne pèse pas dans ton cœur un gravier.
Que sur son tertre en fleur ton aile se repose!
Puis viens en roucoulant boire à son bénitier,
Légère colombe au pied rose!

VI.

FORMES ET PENSÉES.

Comme un vieux prêtre a soin des vases de l'église,
Pour qu'aux yeux du fidèle ébloui tout reluise,
Vous, artistes pieux, tels que le saint vieillard,
Poètes, conservez les beaux vases de l'art.

Pétrarque, au doux sonnet je fus longtemps rebelle;
Mais toi, divin Toscan, chaste et voluptueux,
Tu choisis, évitant tout rhythme impétueux,
Pour ta belle pensée une forme humble et belle.

Ton poème aujourd'hui par des charmes m'appelle :
Vase étroit, mais bien clos, coffret plaisir des yeux,
D'où s'exhale un parfum subtil, mystérieux,
Que Laure respirait le soir dans la chapelle.

Aux souplesses de l'art ta grâce se plaisait;
Maître, tu souriras, si ma muse rurale
Et libre a fait ployer la forme magistrale;

Puis, sur le tour léger de l'Étrusque, naissait,
Docile à varier la forme antique et sainte,
L'urne pour les parfums, ou le miel, ou l'absinthe.

Dante n'est plus Homère, autre est le grand Milton :
Comme eux, soyons divers de pensers et de ton;
Inspirez-nous toujours, ô muses immortelles,

Et des pensers nouveaux et des formes nouvelles!

A. BRIZEUX.

LA MAISON

DE PENARVAN

QUATRIÈME PARTIE.1

VII.

Elle passe, cette triste vie; qu'elle coure ou qu'elle se traine, qu'elle se précipite à flots bruyans ou qu'elle dorme sur un lit de sable, qu'elle change à chaque pas d'aspects et d'horizons ou qu'elle réfléchisse invariablement le même coin de ciel et les mêmes ombrages, elle passe, et rien ne l'arrête : c'est ce qu'on peut en dire de mieux. Qu'elle est déjà loin, la fraîche matinée d'automne où la belle Renée, assise sur sa mule et les cheveux au vent, chevauchait le long des traînes de La Brigazière, en compagnie de l'écuyer Pyrmil! La belle Renée n'est plus jeune; l'écuyer Pyrmil se fait vieux, et voilà longtemps que Fergus est mort de décrépitude. Aux poétiques équipées de l'orgueil ardent, aventureux, a succédé l'immobilité de l'orgueil farouche et morose. C'en est fini des Penarvan! Ils ne vivent plus que dans l'histoire de l'abbé. Le flambeau de la race est éteint; la maison est retombée dans le silence et la nuit d'où Paul l'avait un instant tirée. L'implacable Renée n'a pas pu pardonner à ce pauvre héros d'avoir piteusement emporté avec lui le nom de ses aïeux; qu'elle n'ait point vu là, dans le premier transport de l'ambition déçue, un acte de félonie, on ne voudrait pas en répondre. Après tant d'années écoulées, elle garde encore pour la mémoire de son mari un secret dédain sur le caractère duquel il n'est pas besoin

(1) Voyez les livraisons des 1er, 15 septembre et 1er octobre.

d'insister. Elle ne parle jamais de Paul; mais elle a vendu une de ses dernières pièces de terre pour lui élever un monument funèbre, qui porte cette inscription: «Ci gît le marquis Paul de Penarvan, dernier du nom, mortellement blessé sous les murs de Nantes, en combattant pour la cause du roi. » Le roi de France est remonté sur le trône de saint Louis. On ne s'en douterait guère, à ne considérer que le bel état de conservation des ruines de l'antique manoir : l'ère des grandes ingratitudes date du premier trône restauré. Le fief de Penarvan offre l'image la plus parfaite de la désolation ici-bas; même pauvreté, mème dénûment que par le passé. Le château n'est plus qu'un monceau de décombres; les murs obstinés qui restent debout sont d'un effet peu rassurant. Moins oublieuse, plus généreuse que la royauté, la bonne nature a jeté sur tout cela un manteau de verdure et de fleurs. Ce n'est partout que ravenelles et millepertuis; des guirlandes de lierre, des touffes de pariétaires, pendent de toutes les crevasses; de petits œillets blancs ou roses frissonnent dans tous les interstices; des arbustes même ont poussé au front dévasté des tourelles. A l'intérieur, rien n'est changé. Nous retrouvons au salon tous les portraits de notre connaissance. Mêmes habitudes, mêmes entretiens, même train d'existence qu'autrefois : c'est à croire que le temps n'a point marché. Comme tous les grands artistes qui ne sont jamais satisfaits de leur œuvre, l'abbé travaille encore aux annales de la maison de Penarvan belle leçon donnée à la plupart de nos historiens d'aujourd'hui! Gibbon lui-même, auprès de notre historiographe, n'était qu'un improvisateur. Plongée dans un mortel ennui qui ne veut pas être distrait, la marquise ne touche plus que de loin en loin à ses pinceaux; mais les manies de l'abbé n'ont fait que croître avec les années. L'abbé Pyrmil est toujours à la recherche de son prélat. Tout récemment, il a dépisté un Penarvan qui se tenait sournoisement blotti au fond d'une des boîtes de l'histoire. A toute heure, on le rencontre avec son manuscrit sous le bras, allant, venant, gesticulant et se récitant à lui-mème quelqu'une de ses pages les plus éloquentes. Dans cet intérieur silencieux et morne, l'abbé, tout vieux qu'il est, représente le mouvement, l'activité, la vie : il est la cigale du parc, le grillon du foyer, l'esprit familier de ces ruines, qu'une jeune et pâle figure éclaire d'un jour mystérieux.

A l'époque où ce récit reprend son cours, Mile Paule de Penarvan avait dix-huit ans; sa taille était si frêle, ses traits si fins, si délicats, qu'elle paraissait toucher à peine aux grâces de l'adolescence. Mince, élancée, souple comme un jonc, habituellement silencieuse, le regard craintif et voilé, l'air engourdi plutôt que rêveur, belle, mais d'une beauté languissante, moins faite pour provoquer l'admiration que l'attendrissement, quelque chose de triste et de

doux, d'inachevé et de charmant, on eût cherché vainement en elle la moindre réminiscence du type de ses aïeux. Il semblait que, pour la former, la nature se fût étudiée à rassembler les élémens les plus opposés au caractère de sa race. Quand la marquise, avec son port de reine et sa face de lion, se promenait le soir au salon, et que, passant et repassant près de sa fille, presque toujours penchée sur un ouvrage d'aiguille, elle observait, à la lueur de la lampe, ce corps fluet à demi brisé, ce visage étiolé qu'encadraient deux bandeaux plats de cheveux noirs, ces grands yeux de velours brun, sans flamme ni rayon, comme endormis sous leurs longs cils, elle se demandait avec une sourde irritation si c'était là le sang des Penarvan. Loin de s'affaiblir et de s'effacer, le mouvement de honte et de colère qu'elle avait éprouvé à la naissance de Paule s'était développé et avait grandi avec la pauvre créature, qui lui rappelait à toute heure la ruine de ses espérances et la chute de sa maison: sans faillir à aucun des devoirs austères de la maternité, sa tendresse pour elle n'était jamais allée au-delà d'un sentiment de pitié presque dédaigneuse. Tout chez cette enfant l'humiliait et l'exaspérait : la lenteur de sa démarche, la nonchalance de ses attitudes, l'indécision de son esprit, la somnolence de ses instincts, tout, jusqu'au caractère de sa beauté, qui appelait la protection, jusqu'à ses habitudes de muette soumission et d'obéissance passive. Renée ne retrouvait pas même chez sa fille le culte des traditions auxquelles elle avait sacrifié sa vie. Rebelle de tout temps aux leçons de l'abbé, indifférente à la gloire de sa famille, Paule frissonnait toutes les fois qu'il en était question devant elle, comme si elle eût deviné que c'était cette gloire fatale qui avait dévoré son père. L'expédition de Guy en Terre-Sainte, son beau trépas à la Massoure la laissaient froide et ne lui disaient rien. Le seul sentiment qu'elle eût jamais manifesté avec énergie était l'horreur du sang versé. Toute petite, elle jetait des cris affreux quand l'abbé la prenait sur ses genoux pour lui montrer les images de son manuscrit. Plus tard, le manuscrit de l'abbé était resté pour elle un épouvantail. Tous ces héros, qui avaient si fort ennuyé son père, la glaçaient d'effroi, et si, pour l'aguerrir, le belliqueux Pyrmil s'obstinait à la traîner sur les champs de bataille où s'étaient illustrés ses ancêtres : - Assez, l'abbé, assez! disait-elle avec un geste de dégoût, et elle était près de se trouver mal. Renée avait compté sur un lionceau : il était venu une gazelle.

S'il est au monde une destinée lamentable, c'est celle des enfans à qui leur mère en veut sourdement d'être nés : c'était la destinée de Paule. Jamais un sourire de Renée n'avait lui sur son berceau: jamais une caresse, un baiser ne l'avait réjouie dans ses langes.

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