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ma part de courtes explications données au sujet de quelques vases de verre à l'auditoire, qui semblait intéressé et qui saisissait avec promptitude toutes les observations du professeur. Il commençait par faire remarquer la nature de la matière employée, ses qualités intrinsèques, sa transparence, sa limpidité, sa force de résistance, sa ductilité, etc. Il passait à l'emploi que le verre pouvait recevoir, puis à la forme la plus propre à telle ou telle destination. Cette carafe est fort convenable; le liquide s'en échappe facilement, on la manie commodément. Cette autre carafe à un goulot dont la courbe est mal calculée, aussi le liquide s'en échappe irrégulièrement. Venait enfin l'ornementation. Tel vase d'une forme d'ailleurs excellente pour sa destination a reçu des ornemens bien appropriés. Tel autre a gagné en richesse, mais a perdu le mérite de la commodité. Il y a dans tous les arts une grande part pour le raisonnement; le goût même n'en est pas tout à fait indépendant, et il est rare qu'une faute grossière de goût ne soit pas une faute de logique. Je suis persuadé que si la langue des arts était perfectionnée, il serait possible de pousser encore beaucoup plus loin la puissance du raisonnement en matière d'art (1). Quoi qu'il en soit, si l'on se rappelle que le but de l'école est de former des ouvriers-artistes et des ornemanistes, on comprendra facilement combien ces entretiens sont profitables.

Les élèves des mêmes classes concourent fréquemment pour des prix d'émulation, qui pour la plupart sont des objets utiles pour leurs études, comme des étuis de mathématiques, des couleurs et des pinceaux, etc. Tantôt il s'agit de copier une bosse, un ornement d'architecture, des fleurs; quelques-uns dessinent d'après le modèle vivant. On leur propose aussi quelques problèmes à résoudre, comme de tracer le patron d'un tapis, de composer une ornementation pour un vase, ou pour des carreaux de terre émaillée. J'ai examiné avec beaucoup d'intérêt les dessins qui avaient rem

(1) Notre langue est assez riche pour exprimer les nuances des couleurs en combinant des adjectifs deux à deux, trois à trois. Ainsi on dit bleu céleste, bleu verdâtre clair, bleu céladon foncé, etc. Toutefois chacune de ces teintes peut se subdiviser en une infinité de teintes innomées que l'œil apprécie très facilement. En ce qui concerne les formes, la langue est beaucoup plus pauvre. On désigne, par exemple, sous le même nom de nez aquilin le nez d'un empereur romain et celui d'un roi d'Assyrie, et sur ce seul trait, qui n'a pourtant qu'un même nom, on peut reconnaitre parfaitement une différence notable de race. La courbe décrite par la moulure du chapiteau dorique s'appelle quart de rond, mais elle n'est pas en réalité le quart d'un cercle. L'œil distingue parfaitement la courbe sévère d'un chapiteau de Pæstum et la courbe plus gracieuse d'un chapiteau du temple de Thésée; mais le moyen d'exprimer en mots la différence qui existe entre ces deux formes? Voir un essai de nomenclature très remarquable dans l'ouvrage de M. Ziegler: Études céramographiques.

porté des prix et qui restent quelque temps exposés dans l'école, surtout les petites compositions dont je viens de parler. Elles témoignent souvent de beaucoup d'imagination de la part des auteurs, mais souvent aussi elles ont une étrangeté qui surprend et qu'on ne trouve qu'en Angleterre. Il est vrai que nous autres Français nous sommes peut-être plus sensibles que d'autres à ce défaut, parce que nous sommes habitués à une certaine régularité classique par tout ce qui nous entoure. Rien de semblable en Angleterre. Il n'y a jamais eu parmi les artistes de ce pays des classiques et des romantiques, et à notre grand scandale les professeurs font étudier à leurs élèves tantôt le Parthénon, tantôt une église gothique, voire une mosquée arabe. On s'aperçoit que l'instruction qui se donne à Kensington n'a pas un style de préférence : elle est éclectique. Sans doute tous les styles ont leurs beautés propres; mais il serait bon, ce me semble, d'apprendre de bonne heure aux jeunes gens qu'il y a des rapports nécessaires entre certaines formes, entre certains motifs d'ornemens, qu'on ne doit pas intervertir ces rapports sous peine de tomber dans le grotesque. Le clocher de Langham-Place, au bout de Regent-Street, qui présente un petit temple rond, copié sur celui de Vesta, surmonté d'une flèche aiguë, est un exemple de cette confusion ridicule. En le voyant, les partisans du style classique et du style gothique détournent la tête avec la même horreur.

Il est infiniment plus facile de signaler les erreurs de jeunes gens qui débutent que de faire remarquer toute la sage prévoyance qui a présidé à la fondation de l'établissement de Kensington. Je ne sais même pas si cette absence de tout système ne vaut pas mieux, en dernière analyse, qu'un enseignement trop exclusif comme le nòtre. S'il s'agissait de former des peintres, des sculpteurs, des architectes, la question pourrait sans doute être débattue : à Kensington, on ne vise pas si haut; on prépare à l'industrie des auxiliaires, et dans ce cas il me semble que l'éclectisme est de rigueur en matière d'enseignement. Dans mon opinion, l'artiste qui rend le plus grand service à l'industrie est celui qui raisonne le plus juste et qui a le plus d'imagination. Le raisonnement le conduit à trouver des choses utiles, à satisfaire des besoins reconnus, à en créer même, et peut-être encore à plaire à ses contemporains. L'imagination lui fournit les moyens de se concilier la faveur du despote qui règne sur l'industrie, c'est-à-dire la mode, bien plus, de le diriger. Or on ne donne pas de l'imagination, et il n'y a pas de professeur qui l'enseigne. Tout au plus peut-on l'exciter par la variété des objets qu'on lui présente. C'est justement ce que l'on fait à Kensington; de plus on meuble la mémoire. Je ne doute pas que l'élève qui a dessiné les arabesques de l'Alhambra, les frises du temple de Minerve Po

liade, les chapiteaux historiés d'une église romane et la façade d'une église gothique, ne devienne un meilleur ornemaniste que celui qui a passé son temps à copier et recopier toutes les moulures de l'architecture classique. Le premier a sur le second l'avantage d'un homme qui parle plusieurs langues. Peut-être n'est-il pas en état d'écrire un ouvrage correct, mais il sera moins embarrassé dans la vie et se tirera d'affaire en voyage.

Je n'ai pas le don de prédire, mais j'ai la ferme conviction que tant d'efforts, de soins et de dépenses doivent porter leurs fruits et opérer une transformation dans l'industrie anglaise. Grâce à leurs immenses capitaux, à leur caractère à la fois prudent et aventureux, à la perfection de leurs machines et à leurs nombreux débouchés, on dit que les Anglais fabriquent à meilleur marché que nous. Que deviendront nos produits dès que pour le goût nous n'aurons plus une supériorité incontestable? Cette perspective doit, 'ce me semble, attirer l'attention sérieuse du gouvernement et l'engager à redoubler d'efforts pour conserver à la France le rang qui lui appartient dans les arts aussi bien que dans la politique. Notre nation d'ailleurs est si heureusement organisée, que ce qui coûterait ailleurs beaucoup de peine et de temps s'improvise en quelque sorte parmi nous. Quelles sont les mesures qui peuvent maintenir la France dans la position qu'elle occupe encore aujourd'hui? Il est facile de les indiquer rendre l'enseignement plus varié et peut-être moins exclusif, multiplier les écoles de dessin, compléter nos collections publiques, conserver avec soin les trésors que nous possédons, renvoyer à la province un peu de cette activité qui se concentre à Paris. Tout cela sans doute ne se peut faire sans dépense; mais l'argent que nous demandons ne doit-il pas être placé à gros intérêt?

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PROSPER MERIMÉE.

SYMBOLES Et légendes

I.

DANS UNE ÉGLISE.

Argol, en Cornouaille.

La fleur de poésie éclôt sur tous nos pas,
Mais la divine fleur, plus d'un ne la voit pas.
Dans cette pauvre église, à l'heure de silence
Où seule devant Dieu la lampe se balance,
Un vieillard appuyé sur la grille du chœur,
Les yeux baissés, priait du profond de son cœur,
Et mes pas, qui troublaient les échos d'arche en arche,
Ne firent point lever les yeux du patriarche.
Puis, au bas de la nef où j'allais observant,
A genoux à côté de ses livres d'enfant,
Un petit villageois de six ans, d'un air d'ange,
Les mains jointes, priait aussi... Concert étrange!
« Sous cette lampe pâle et par ce froid brouillard,
Quel sombre désespoir tient courbé ce vieillard,
Et quel beau rêve d'or et d'azur, me disais-je,
Éloigne de ses jeux l'enfant au front de neige?
Du vieillard, de l'enfant, lequel t'a mieux touché,
Beau Christ aux bras ouverts de la voûte penché?
Quelle fleur en parfums plus suave s'exhale,
Seigneur, la fleur du soir ou la fleur matinale? >>

TOME XI.

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II.

BRITA.

De l'Aber-Ildût, en Léon.

I.

UN VOYAGEUR.

L'air brûle, des sillons sort une âcre fumée;
Immobile, la mer brille comme enflammée.
Iles qu'on voit au loin calmes sous le ciel bleu,
Par cet ardent juillet quand la mer est en feu,
Heureux sont vos pêcheurs!... Vêtu de simple toile,
Oh! s'endormir bercé sous l'oeil clair d'une étoile,
Boire la brise fraîche et, sous les noirs ilots,
Parmi les gais poissons se jouer sur les flots!

UN HOMME DE LA CÔTE.

Une barque d'Ouessant (1), seigneur, vient à la rame;
Elle approche; à la barre est une jeune femme :
Vous pourriez en retour suivre ces iliens,
Bonnes gens aujourd'hui, bien que fils de païens.....

Tandis que les rameurs amarraient près du môle
(Ton havre, ô saint Ildût), et que sur son épaule
Chacun péniblement chargeait un sac de grain,
La vierge aux grands yeux pers, mais voilés de chagrin,
Telle qu'une sirène en surgissant de l'onde,
Sur son col répandait sa chevelure blonde,
Et pieds nus s'avança vers l'église du lieu;

Tout me dit qu'elle allait pour accomplir un vœu :

A cette allure ferme, à cet air de rudesse,
On t'eût prise, ô Brita, pour une druidesse!

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Or, ses vœux accomplis, au patron de l'Aber
Elle disait, la vierge, au front large, à l'œil fier,
Debout devant l'église, elle disait tranquille :

« Pourquoi, gens de la terre, admirer ceux de l'île
Sommes-nous pas Bretons et frères en Jésus?
Eussà n'a plus la pierre et les bosquets d'Eusus.

(1) En breton Eussá, île du dieu Eûsus.

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