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sur le marché général depuis l'exploitation des mines de la Russie boréale. La majeure partie de ce qu'en rendent l'Australie et la Californie constitue donc un véritable excédant; or comment les développemens du luxe suffiraient-ils à l'absorber? Quelques-uns de nos nouveaux enrichis qui, parce que l'existence s'est subitement transformée pour eux, supposent que tout est changé pour le mieux sur la surface de la planète, pourront bien imaginer qu'il en doit être ainsi; mais quiconque réfléchit, observe et compte se fera une opinion différente. Non, le genre humain n'est pas en mesure de prélever sur les fruits de son travail la part considérable qu'il faudrait livrer aux producteurs d'or pour que leur métal ne baissât pas de valeur, parce que le genre humain est pauvre encore, même dans les états les plus civilisés. Prétendre que, pour satisfaire son goût du luxe, il continuera de prendre au taux ancien tout l'or des nouvelles mines, c'est comme si l'on disait qu'il est subitement devenu assez opulent pour consacrer 4 ou 500 millions, sinon davantage, à s'acheter des articles de luxe, de cette catégorie même qui mérite le plus le nom du superflu, - 4 ou 500 millions pour le moins, puisque, au prix que l'on a conservé à peu près intact jusqu'ici, la quantité de ce métal qui est versée sur le marché général fait un milliard en nombre rond. Les nations civilisées, bien loin de pouvoir se passer des fantaisies pareilles, ont à pourvoir à toute sorte de besoins plus pressans, et qui les préoccupent davantage. Les populations sont encore mal nourries, mal vêtues, mal logées, mal approvisionnées de toute sorte d'objets qui répondent aux besoins de l'intelligence et aux satisfactions les plus conformes à la dignité humaine, satisfactions qu'elles apprécient de plus en plus, quoi qu'on en dise. La monnaie offre donc la seule issue par où la majeure partie de cette production inouie de l'or puisse s'écouler; encore plusieurs nations la lui ont fermée chez elles. Comment donc les canaux de la circulation ne s'encombreraient-ils pas de ce métal chez les peuples qui restent fidèles à la monnaie d'or? En d'autres termes, comment ne subirions-nous pas prochainement en France un enchérissement général, si l'on maintient à l'or, dans notre système monétaire, la place qu'il y occupe de fait aujourd'hui?

MICHEL CHevalier.

(La deuxième partie au prochain no.)

TONE XI.

38

DU

MAGNÉTISME TERRESTRE

III.

LA TERRE CONSIDÉRÉE COMME UN VASTE AIMANT.

Spiritus intus alit.
Il y a au dedans un esprit subtil.
VIRGILE.

Je dois convenir que c'est pour cause d'ignorance que j'ai tant tardé à terminer cette étude, commencée il y a quelques mois (1), sur le magnétisme de notre globe, qui est en réalité un gros aimant agissant sur l'aiguille de la boussole et sur tous les corps, soit naturellement, soit artificiellement magnétiques. Le désir, ou, pour mieux dire, l'ambition de mettre sous les yeux des lecteurs de la Revue tout ce que l'on a découvert de plus récent sur ce vaste sujet, surtout depuis que les courans électriques se sont trouvés être des aimans véritables, m'aurait mené trop loin. La discussion des résultats modernes nécessitait un travail immense. Notre savant confrère M. Duperrey, qui a éclairé tant de questions relatives au magnétisme terrestre, soit dans son cabinet à Paris, soit en faisant le tour du monde avec l'expédition scientifique sous ses ordres, a pensé que le public pourrait se contenter de ce que je sais moi-même au

(1) Voyez la Revue des Deux Mondes du 1er janvier et du 15 avril 1857.

jourd'hui, et il m'a conseillé de réserver mes études subséquentes pour le moment où la science serait tout à fait fixée. A ce compte, la curiosité de ceux qui s'intéressent à ces grands problèmes pourra ne pas être satisfaite de longtemps. Lorsque le savant Huet, évêque d'Avranches (qui, suivant l'allitération de Voltaire, pour la Bible toujours penche), fut installé dans son évêché, on répondait souvent aux paysans qui demandaient à lui parler, que monseigneur ne pouvait les recevoir parce qu'il était occupé à étudier. — Le roi aurait bien dû nous donner un évêque qui eût fait ses études, répondaient ces bonnes gens. Je dirai de même que le recueil où j'écris aurait bien dû trouver, si possible, un physicien prêt à juger en dernier ressort les nombreux travaux publiés sans cesse sur le magnétisme terrestre. Plusieurs de ces résultats annoncés avec pompe sont, suivant M. Duperrey, très susceptibles de discussion, en sorte que, pour avoir le dernier mot sur chaque chose, il faudrait plusieurs expéditions spéciales et un grand nombre d'observatoires disséminés systématiquement sur le globe. En attendant cet ensemble de recherches combiné pour le monde entier, l'Angleterre et la Russie, l'une parce qu'elle a de nombreuses colonies au nord et au sud, l'autre parce qu'elle est elle-même en superficie presque un monde, ont eu le mérite et l'honneur de contribuer plus qu'aucune autre nation au progrès de la science du magnétisme terrestre, pour laquelle la France, par ses expéditions réitérées, avait déjà beaucoup fait. Je pense que le monde scientifique doit avec justice faire remonter la gloire de ces belles découvertes à M. Alexandre de Humboldt, qui le premier sentit toute l'importance de la géographie physique, et inaugura le commencement de ce siècle par des voyages qui nous acquirent beaucoup de science positive, et de plus servirent de modèle pour s'avancer hardiment dans la carrière ouverte par ce grand génie observateur de la nature.

Si j'insiste sur la difficulté d'arriver à des conclusions difinitives sur les nombreux travaux relatifs au magnétisme du globe, qu'on veuille bien ne point m'accuser de fausse modestie. Je sais qu'il y a quelque inconvénient à faire le modeste, car souvent alors on est cru sur parole. A ce propos, voici un mot du célèbre abbé Maury, qui fut cardinal sous l'empire. Un ancien courtisan rallié, le rencontrant aux Tuileries, lui dit assez malignement : Eh! monsieur l'abbé, comment vous trouvez-vous ici? Ici, comme ailleurs, monsieur le comte, quand je me juge, je me trouve peu de chose (geste d'humilité). — Puis, continuant avec un ton très différent : Mais j'avoue que quand je me compare, j'ai un peu meilleure opinion de moi!

C'est au perfectionnement de la boussole que sont dues les pre

mières observations sérieuses sur l'aimantation du globe. Quand nos relations indirectes avec la Chine eurent donné aux nations actives de la partie occidentale de l'ancien monde la boussole avec l'imprimerie et la poudre de guerre, on ne se contenta plus du grossier mécanisme primitif des immuables habitans du Céleste-Empire. La boussole (bussola, petit cabinet vitré, petite caisse vitrée, en prenant le contenant pour le contenu) fut installée à bord des navires, et, quand les nuages cachèrent le ciel, devint un guide fidèle pour les marins de toutes les nations. Puis de longues traversées, telles que celle de Christophe Colomb en Amérique et les voyages des Portugais aux grandes Indes, montrèrent que ses indications étaient différentes suivant les divers points du globe. Plus tard encore, on sut que, pour un même lieu, la direction de l'aiguille changeait de siècle en siècle. Ainsi un barreau aimanté, suspendu librement, se dirigeait, au siècle de Louis XIV, droit au nord par une de ses pointes, et droit au sud par l'autre. C'était en 1666, l'année de la fondation de l'Académie des Sciences. Depuis, l'aiguille aimantée s'était, jusqu'en 1816, graduellement déplacée de vingt-deux degrés et demi vers l'ouest. Enfin, depuis ce temps, elle a repris sa marche pour retourner vers le méridien et se rapprocher de la ligne nord et sud. Si Képler, qui assimilait la terre à un grand animal vivant, suivant l'expression d'Ovide :

Est animal tellus et vivit...

avait connu la théorie électrique du magnétisme terrestre, il n'eût pas manqué de voir dans le fluide électrique le fluide nerveux et vital de notre planète, et de cette assimilation il eût peut-être tiré quelque conclusion inattendue et vraie, comme celle qu'il a déduite si admirablement de considérations encore plus étranges.

Voici le plan que j'adopte pour l'exposé des diverses particularités de l'aimantation du globe. Je poursuis la comparaison des effets produits par notre planète avec ceux que produit un aimant ordinaire, en tenant compte des circonstances de distance et de grandeur qui en font varier les effets divers, sinon dans leur essence, au moins dans leurs circonstances de détail. Nous examinerons donc successivement dans le grand aimant terrestre son influence attractive sur le fer, l'aimantation qu'il détermine, la direction horizontale qu'il donne à l'aiguille aimantée, l'inclinaison plongeante vers le pôle qu'il la force à prendre dans l'état libre, la force ou l'intensité avec laquelle il dirige cette aiguille, la position des pôles magnétiques où cette aiguille est verticale, celle des diverses lignes magnétiques relatives à la direction horizontale, à l'inclinaison, à l'in

tensité; ensuite les changemens que le cours des siècles apporte dans tous ces élémens de la physique de notre globe, tels que la marche du pôle magnétique et le transport des lignes d'aimantation tout d'une pièce vers l'ouest; puis les influences calorifiques du soleil, et l'action de cet astre et de la lune, considérés eux-mêmes, ainsi que la terre, comme de véritables aimans, avec leurs propres pôles; enfin la théorie électrique de tous ces phénomènes. Voilà de quoi faire dire au lecteur Assez! jam satis est. Après cet exposé, on peut lui conseiller sans honte d'attendre, pour de plus amples détails, les progrès futurs de la science.

Prenez un barreau aimanté et approchez-le d'un morceau de fil de fer, il l'attire. Voici pourquoi. Il commence par faire naître deux pôles dans ce fil de fer; puis, comme il agit de plus près sur le pôle voisin que sur le bout opposé, il attire le bout qui est à sa proximité plus qu'il ne repousse le bout opposé : il appelle donc à lui ce morceau de fer allongé. Comme, sur la terre, les deux pôles sont fort éloignés de ceux que possède une aiguille aimantée, ils attirent autant un des pôles de l'aiguille ou du barreau aimanté qu'ils repoussent l'autre, et par suite l'aiguille ne se meut pas, mais elle tourne sur elle-même de manière que son pôle attiré soit le plus près possible du pôle terrestre voisin, et que le pôle repoussé en soit au contraire le plus loin possible. Il n'y a donc pas de tendance au déplacement, mais une simple force directrice dans la ligne d'un pôle à l'autre. Cependant, si, par la pensée, on crée un immense barreau ou aiguille aimantée, allant par exemple de la France jusqu'à l'Islande, son extrémité nord, plus voisine du pôle magnétique américain, étant plus attirée que l'extrémité française n'est repoussée, la masse entière tendrait à se mouvoir vers le nord. Des expériences de la plus grande délicatesse ont été faites par les physiciens pour constater ce résultat théorique. On a suspendu par des fils de soie non tordus une règle de bois horizontale qui portait des barreaux aimantés sur des pivots soutenus par la règle horizontale. Jamais les pivots et la règle qui les portait n'ont été entraînés le moins du monde dans un sens déterminé. Il ne reste donc plus qu'à voir si le globe aimante, comme il doit le faire, les morceaux de fer ou d'acier susceptibles de magnétisme. Or ici on n'a que le choix des faits, aussi nombreux que peu remarqués par les yeux distraits, j'oserais même dire aveugles, de la foule, qui passe inattentive à travers toutes les merveilles de la nature, quand elles ne font pas spectacle. « Pour qu'un acteur soit applaudi, disait Horace, il faut qu'il paraisse sur la scène affublé des plus riches et des plus brillans tissus étrangers. » Il est bien plus sage de reconnaître que la nature n'est jamais plus grande que dans les petits objets.

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