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chant, et s'il sait se taire, un sot. Le jugement du monde sur les moines est un hameçon à double dard, et d'ailleurs, vous le savez comme moi, les préjugés entêtés du peuple et la licence des clercs rendent leur gouvernement trop difficile. Je ne vous donnerai donc point un moine.

« Vous donnerai-je un clerc? Ce mot, si je le prononce, va susciter parmi vous d'autres réclamations et d'autres clameurs. Un clerc devenu évêque n'est accepté ni de ceux qui le précèdent ni de ceux qui le suivent; ceux-ci le jalousent, ceux-là le ravalent. Il existe en effet plus d'un prêtre (ceci soit dit sans blesser les autres) pour qui le mérite d'un clerc se mesure à l'ancienneté, de telle sorte qu'à leur avis la meilleure recommandation au suprême sacerdoce n'est pas de bien vivre, mais d'avoir longtemps vécu : ils y voient le comble de la grâce, la perfection, la dignité de l'épiscopat. Aussi je connais plus d'un clerc, vif en paroles autant que làche et mou en bonnes œuvres, vigilant en intrigues autant qu'endormi sur les intérêts de la foi, et plus échauffé de l'esprit de cabale que de l'esprit de charité, qui prétendrait être promu à la tutelle de l'église, lorsque son âge exigerait bien plutôt qu'il reçût lui-même un tuteur. Mais je n'insisterai pas sur ce sujet, où j'ai été entraîné malgré moi par les brigues de certains ecclésiastiques. Je ne veux ici noter personne; je dirai seulement que celui qui trouvera dans mes paroles une of fense avouera par-là que c'est lui qu'elles repoussent, et fera connaître à qui la leçon s'adresse. Je dois confesser avec une entière franchise que, dans ce grand nombre de prêtres qui m'entourent, beaucoup possèdent des qualités d'évêque, mais qu'aucun ne les possède toutes, de sorte que chacun, sentant en soi-même quelques-uns des mérites de l'épiscopat, peut bien être suffisant à ses propres yeux, mais ne l'est point aux yeux des autres.

« Vais-je par hasard nommer un laïque, un militaire? Oh! pour le coup on s'insurge contre moi, et j'entends de tous côtés des paroles telles que celles-ci : « Parce que Sidoine est sorti des rangs du monde pour arriver à l'épiscopat, il refuse de prendre un ecclésiastique pour son métropolitain. Enflé de sa noblesse, il veut des généalogies et des titres; l'éclat des dignités l'éblouit, il méprise les pauvres du Christ. >> Voilà ce qu'on ne manquera pas de dire, et en face de toutes les accusations possibles, je prends moi-même les devants par une déclaration que je dois non pas tant aux gens de bien qui m'estiment qu'aux méchans qui oseraient m'attaquer. J'atteste le Saint-Esprit, notre puissant Dieu, qui, par la voix de Pierre, condamna Simon le Magicien pour avoir cru que la grâce de la bénédiction se pouvait acheter à prix d'or; je l'atteste que je n'ai été conduit au choix que j'ai fait ni par faveur ni par argent, mais par

la conscience de mon devoir, après de mûres réflexions, après avoir vingt fois pesé dans la balance la personne, les circonstances, les besoins de la province et l'intérêt de la cité. Alors seulement je me suis convaincu que vous devez avoir pour évêque celui dont je vais brièvement vous retracer la vie.

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<< Simplicius, mes très chers frères, est l'homme qui des rangs de votre ordre passerą dans le mien, si Dieu le commande par votre bouche: honneur de la profession laïque, il le sera du sacerdoce; l'état trouvait en lui de quoi admirer, l'église y trouvera de quoi aimer. Parlons d'abord de sa naissance. Me conformant à l'exemple de saint Luc, qui, dans l'éloge qu'il fait du précurseur, signale comme une circonstance importante que Jean était de souche sacerdotale, et prélude au récit d'une si noble vie par celui des dignités de sa race, je vous rappellerai que les ancêtres de Simplicius ont siégé tour à tour sur le tribunal de vos magistrats et dans la chaire de vos évêques, et l'on ne mentirait pas en disant que sa famille a exercé dans vos murs le droit humain et le droit divin. Quant à lui, il tient une place éminente parmi les spectables de cette ville. << Sans doute, me répondrez-vous; mais Eucher et Pannychius, qui ont la qualification d'illustres, lui sont supérieurs en dignité. » Je le sais, mais qu'importent ici les mérites de Pannychius et d'Eucher, puisque leur second mariage les exclut absolument de l'épiscopat? Revenons donc à Simplicius. Son âge est précisément celui qui convient au ministère de l'évêque : assez près de la jeunesse pour en conserver l'énergie, il participe déjà à la maturité de la vieillesse. La nature et l'étude lui ont prodigué à l'envi, celle-ci la science, celle-là les qualités de l'esprit. Son savoir-vivre est tel que tout le monde se louera de lui, clercs ou laïques, étrangers ou citoyens. Quant à son hospitalité, vous savez que la table de Simplicius n'exclut personne, et que ceux-là goûtent le plus souvent de son pain qui sont hors d'état de le lui rendre. Lorsqu'il vous a plu de le charger de missions au nom de cette ville (et ce n'a pas été une seule fois), il a su vous représenter dignement, soit en face des rois vêtus de peaux, soit en face des princes vêtus de pourpre. Si vous me demandez sous quel maître il a fait l'apprentissage de la science religieuse, je vous répondrai par le proverbe : « Il avait chez lui de qui apprendre. » Enfin, mes très chers frères, cet homme est marqué du doigt de Dieu : captif chez les Barbares, plongé dans les ténèbres d'un ergastule, il a vu s'ouvrir devant ses pas les barrières et les verrous de sa prison, tombés sous une main divine.

« Vous-mêmes (je l'ai entendu raconter), ne l'avez-vous pas déjà voulu pour évêque, le préférant à son beau-père et à son père? La foule criait autour de lui qu'il fallait le traîner bon gré, mal gré,

TOME XI.

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à l'épiscopat : il refusa, aux applaudissemens des gens de bien, qui le félicitèrent d'avoir placé la dignité de ses parens au-dessus de la sienne; mais j'oubliais presque la chose par laquelle j'aurais dû commencer. Moïse eut besoin du secours de tout Israël pour construire l'arche d'alliance; il fallut à Salomon pour bâtir un temple dans Jérusalem toutes les ressources de la Judée, cumulées avec les dépouilles de la Palestine, avec les tributs des rois voisins, avec les trésors de la reine de Saba, et celui-ci, jeune encore et soldat, fils de famille et père de famille, a construit seul, avec une fortune médiocre, une église pour vous, dans votre ville. Les représentations de ses vieux parens ne l'ont pas plus arrêté que la vue de ses jeunes enfans, et quand il eut fait ce sacrifice à sa piété, il voulut qu'on n'en parlât plus. En effet, Simplicius n'est pas de ces hommes qui courent au vent de toutes les popularités; il ambitionne l'estime des bons, et non la faveur de tous. Son affection est précieuse, parce qu'elle sait choisir. Il recherche donc les amitiés éprouvées, il s'y attache de toutes ses forces, et les observe avec fidélité. Il accepte honnètement aussi les inimitiés qu'on lui déclare; lent à y croire, il est prompt à les déposer. En un mot, Simplicius est d'autant plus digne de votre ambition qu'il n'en a point pour lui-même, et qu'il s'est toujours montré plus soucieux de mériter le sacerdoce que de l'obtenir.

« D'où savez-vous tout cela, me dira-t-on, vous qui n'êtes ici que depuis quelques jours? » Ma réponse est simple. Avant de connaître Bourges, je connaissais les habitans de Bourges; j'en avais rencontré beaucoup sur les routes, beaucoup lorsque je servais sous les drapeaux, beaucoup dans mes voyages ou dans les leurs, beaucoup dans la pratique des affaires, soit publiques, soit privées. Est-ce que la réputation d'un homme ne peut pas dépasser les frontières de sa patrie? Est-ce que la grandeur d'une ville ne tient pas à l'illustration de ses habitans au moins autant qu'à l'étendue de ses murailles? Je savais donc qui vous étiez avant de savoir où vous viviez. Ainsi je n'ignorais pas que Simplicius avait épousé une femme de cette maison des Pallades doublement célèbre dans les chaires de l'église et dans celles de l'école. Et, attendu que la mention d'une matrone doit être comme elle pleine de modestie et de retenue, je me borne à vous affirmer que, fille et belle-fille d'évêques, cette femme répond à la dignité des deux sacerdoces de sa maison, et de celui à l'ombre duquel elle a grandi dès l'enfance, et de celui près duquel elle a passé comme épouse. De concert avec son mari, elle élève sagement et religieusement deux fils, jeunes gens très distingués, dont la vue réjouit d'autant plus leur père qu'ils semblent vouloir le surpasser un jour.

« Or donc, puisque vous vous êtes engagés à prendre mon humble avis pour votre loi dans cette élection, et puisqu'un engagement écrit équivaut à une parole jurée, je déclarc, au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, que Simplicius sera l'évêque de votre cité et le métropolitain de ma province. -Si j'ai bien fait, applaudissez. »> Simplicius fut évêque.

Deux ans après, les acteurs de cette scène électorale étaient dispersés par la guerre. Euric, revenu avec une formidable armée, avait pris Bourges; l'Auvergne elle-même était envahie. On ne sait ce que devint Simplicius dans ce premier moment de désordre, et, suivant toute apparence, il alla revoir, avec un redoublement de souffrances, les ergastules barbares qu'il avait visités dans sa jeunesse. Sidoine, renfermé dans Clermont, y soutint un siége héroïque magistrat et général autant qu'évêque, il conseillait, il commandait, il animait tous les courages de sa propre énergie, tandis que son beau-frère Ecdicius tenait la campagne au dehors. Les assiégés furent réduits à manger les herbes qui croissaient dans les fentes de leurs remparts; mais la ville fut sauvée.

Tels étaient ces grands évêques du ve siècle, gens du monde, gens de guerre au besoin, administrateurs, littérateurs, et qui avec cela savaient donner les plus grands exemples de sainteté.

La Gaule possédait alors une brillante cohorte de ces saints, dont le nom est arrivé jusqu'à nous entouré de la vénération des âges : Germain d'Auxerre, Loup de Troyes, Mamert de Vienne, Euphronius d'Autun, Perpétuus de Tours, Patiens de Lyon, et d'autres encore. Ils furent les sauveurs du catholicisme en Gaule, les derniers défenseurs de la civilisation de nos pères, les derniers héros de Rome expirante. La haine et le mépris du Barbare formaient entre eux un lien commun avec les Visigoths, ils voyaient fondre sur leur pays l'ignorance, l'obscurcissement de l'esprit, la grossièreté des mœurs, la férocité des instincts, et s'éteindre, en même temps que la pureté de la foi chrétienne, tout ce qui leur semblait en ce monde la condition désirable de la vie. C'était à leurs yeux plus que la servitude et plus que la mort. « Je hais les Barbares parce qu'ils sont méchans, écrivait un jour à Sidoine Fauste, évêque de Riez, son ami. - Et moi, répondit Sidoine, je les haïrais bien davantage, s'ils étaient bons. >>

AMÉDÉE THIERRY.

LE

GOUVERNEMENT REPRÉSENTATIF

ET LA RÉVOLUTION

Histoire du Gouvernement parlementaire, par M. Duvergier de Hauranne.

I.

On ferait une grande bibliothèque de tous les écrits publiés sur le gouvernement représentatif, et pendant trente-quatre ans il a donné naissance à toute une littérature. Jamais plus qu'alors on n'en a complaisamment approfondi les principes; jamais on n'a scruté plus ouvertement les questions qui s'y rattachent et consacré plus de travail d'esprit et d'efforts de conduite à démontrer comme une vérité et à fonder comme une réalité ce qui en politique paraissait à la fois le dernier progrès de l'esprit humain et le but de la révolution française. Jamais nation n'a pu mieux que la nôtre savoir ce qu'elle faisait en se donnant alors par tous ses organes à la cause de la liberté constitutionnelle.

La révolution de 1848 a tout interrompu. Elle a changé tous les mots d'ordre et jeté bien des esprits dans de nouvelles directions. Il y aurait autant de puérilité que d'imprudence à méconnaître la puissance des événemens, et ce n'est pas en vue du présent qu'il serait à propos de ranimer les discussions d'un temps déjà éloigné de nous; mais ce qui n'a plus d'application dans les faits a-t-il cessé d'avoir de l'importance comme idée? Le champ du passé reste ou

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