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chique, et à côté de la Suède, un autre des états scandinaves, le Danemark, en est à se débattre contre les prétentions du Holstein, qu'il a cherché à désarmer par ses concessions, sans y réussir. On sait combien de phases a déjà traversées ce singulier et obscur conflit. Il a passé des régions diplomatiques, où il était il y a quelques mois, dans le domaine des discussions des états du Holstein, récemment convoqués à Itzehoe pour délibérer sur une nouvelle constitution provinciale que le roi de Danemark a consenti à proposer. Va-t-il finir là du moins? Il n'en est rien. Comme le faisaient présager les dispositions manifestées dès le premier instant par les membres des états, l'opposition holsteinoise persiste plus que jamais dans son hostilité. Un comité avait été chargé d'examiner les propositions émanées du gouvernement de Copenhague. Ce comité a terminé son travail, et, tout examen fait, l'assemblée d'Itzehoe s'est trouvée d'accord avec sa commission pour repousser sans débat toute constitution particulière « avant que la position politique du duché dans la monarchie n'ait été réglée de façon à satisfaire les prétentions légitimes du pays à l'indépendance et à l'égalité des droits. >> Le vote a eu lieu à l'unanimité moins deux voix. Il était impossible de répondre plus nettement par la guerre à un acte dicté par un esprit évident de conciliation, et cette guerre s'est continuée par une série de propositions secondaires relatives à des détails administratifs. La tentative du gouvernement danois a donc complétement échoué; mais que vont faire aujourd'hui l'Autriche et la Prusse, ces deux hautes protectrices des mécontens holsteinois? Feront-elles au Danemark un nouveau grief d'un insuccès dû à la mauvaise volonté de l'assemblée d'Itzehoe? Persisteront-elles à vouloir soumettre la question à la dièt de Francfort? Un nouvel épisode diplomatique va succéder sans doute à cette session inutile des états provinciaux du Holstein. Toujours est-il que le conflit subsiste, et que l'Europe peut être appelée un jour ou l'autre à exercer sa juridiction médiatrice dans cette espèce de duel entre les droits du Danemark et les passions allemandes.

Maintenant veut-on voir quelques autres incidens dans des pays plus voisins, en Belgique, en Suisse? La crise qui a ému la Belgique il y a quelques mois, et qui a eu même un assez grand retentissement en Europe, en raison des questions qui étaient agitées et de l'épreuve que subissait le système constitutionnel, cette crise vient d'avoir une sorte d'épilogue. C'est du moins un épisode qui se rattache encore directement à cette lutte passionnée. Au moment où des scènes violentes éclataient à Bruxelles, à la fin du mois de mai, pendant la discussion de la loi de la charité, l'ordre fut menacé à Gand comme dans la plupart des villes belges. L'autorité civile s'entendit avec l'autorité militaire, représentée par le général Capiaumont, pour maintenir la tranquillité publique et garantir la ville. Ces mesures eurent leur effet, l'ordre ne fut pas sérieusement troublé à Gand, ou du moins il fut promptement rétabli. C'était déjà un résultat de nature à satisfaire; mais malheureusement cela ne suffisait pas, à ce qu'il semble, et l'esprit de parti, s'en mêlant, a voulu chercher ici un aliment nouveau. Le conseil communal de Gand, cédant à une singulière inspiration, a donc fait une sorte d'enquête sur la con-duite de l'autorité militaire, et il a pris une délibération en vertu de laquelle il a déclaré que l'intervention de l'armée avait été illégale, attendu qu'elle n'avait pas été régulièrement requise par l'autorité civile. D'un autre côté,

les conservateurs se sont empressés au contraire de rendre hommage à la prévoyance et à l'énergie pleine de modération du général Capiaumont. Des souscriptions ont été ouvertes pour offrir au commandant militaire de Gand un témoignage de la reconnaissance publique. On répondait ainsi à l'acte du conseil communal. Telle était cette lutte étrange, lorsque le gouvernement est intervenu à son tour par un arrêté royal qui casse, comme illégale et mal fondée, la délibération du conseil de Gand, et le général Capiaumont, de son côté, en présence de cette haute et publique approbation de sa conduite, a décliné le témoignage d'estime qu'on voulait lui offrir. C'est un épilogue de la lutte provoquée par la discussion de la loi sur la charité, disionsnous. Il serait heureux en effet qu'il en fût ainsi, et que tous les partis sentissent enfin l'intérêt qu'ils ont à ne point renouveler des crises où l'autorité du régime constitutionnel est en jeu.

Voici un conflit d'un tout autre genre en Suisse. Il ne s'agit ni de la principauté de Neuchâtel, ni des jésuites, ni de vieux souvenirs du Sonderbund; c'est une question de chemins de fer qui s'agite: c'est entre le conseil fédéral et le conseil d'état du canton de Vaud que la guerre est allumée, une guerre qui jusqu'ici n'est point sortie, il s'entend, des limites d'une dispute assez vive. Les passions religieuses ou politiques se sont un peu apaisées en Suisse, sauf peut-être dans quelques cantons comme Fribourg, où le radicalisme a été récemment vaincu après de longues luttes. A la place ont surgi des antagonismes locaux nés de la divergence des intérêts. Le point en litige est le chemin de fer de Lausanne à Berne. La question du tracé a été résolue par l'assemblée fédérale, qui a décidé que la ligne passerait à Oron; mais lorsque la compagnie concessionnaire, obligée de commencer les travaux dans un temps donné, a voulu se mettre à l'œuvre sur le territoire de Vaud, le conseil d'état du canton, qui s'est montré toujours opposé au tracé adopté, a donné l'ordre d'interrompre tout travail, et il s'est mis en mesure de maintenir au besoin par la force l'autorité de ses prescriptions. Le conseil fédéral a immédiatement annulé l'interdiction prononcée, en menaçant de faire appuyer sa décision, ce qui n'a pas empêché le conseil d'état de Lausanne de persister. Sur quoi se fonde le conseil d'état du canton de Vaud? Il s'appuie sur ce que les plans et devis ne lui auraient pas été communiqués, ainsi que le prescrivait la loi même qui concède le chemin de fer d'Oron; mais en outre il invoque une raison bien plus grave : le droit qui dérive de son autonomie comme état souverain. C'est en vertu d'une autorité inaliénable et indiscutable, selon lui, qu'il a la mission de surveiller et de contrôler tout ce qui se fait sur son territoire; en un mot, il se réfugie dans sa souveraineté et son indépendance particulières, et c'est ainsi que, même à propos d'un chemin de fer, renaît à l'improviste la vieille lutte entre l'autorité fédérale et l'indépendance cantonale, entre la centralisation et l'esprit local. C'est là, à vrai dire, ce qui donne à cet incident un certain caractère politique. Le conflit sera pacifiquement résolu, on n'en peut douter, car la lutte serait trop inégale entre la confédération tout entière et le canton de Vaud; mais cela ne prouve-t-il pas que les vieilles questions survivent encore en Suisse?

CH. DE MAZADE.

V. DE MARS.

UN VOYAGE

DANS

LE NORD DE L'ITALIE

Jamais voyageur n'est revenu d'Italie qu'on ne lui ait demandé ce qu'il en pensait, comme s'il était possible d'en penser autrement que tout le monde. C'est un sujet sur lequel l'opinion est fixée, et, pour se ranger au nombre des dissidens, il faudrait la passion du paradoxe, goût malheureux quand il entre en contradiction avec une admiration désintéressée. Loin de se défendre de celle qu'inspire l'Italie, mieux vaudrait cent fois répéter les vers de Goethe: Connais-tu la terre où les orangers fleurissent? même dans la traduction de lord Byron, ou l'apostrophe d'un poète français :

Divine Juliette au cercueil étendue, etc.

Cependant, en parlant de l'Italie, comme en regardant un tableau fameux ou en lisant un poème célèbre, on ne peut s'empêcher de regretter qu'il ne soit pas possible d'élever un jeune homme, de former et de cultiver son intelligence, sans l'obstruer par avance d'une foule d'opinions commandées dans les choses de goût ou d'imagination, et de le laisser marcher librement, sans obligation acceptée ni parti pris, à la recherche du beau. Ses jouissances ne seraient pas moins vives pour lui appartenir davantage. Ses impressions, qu'il n'aurait ni empruntées ni prévues, n'en auraient que plus de prix. Il sentirait de son chef et il admirerait pour son compte. On serait sûr qu'il parle de lui-même et ne répète pas une leçon. Mais cette

TOME XI. 1er OCTOBRE 1857.

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originalité est une chimère, la tradition nous prévient nécessairement en tout, et le monde ne peut recommencer à chaque génération. Nous ne pouvons tous, les uns après les autres, nous réveiller au premier matin dans l'Éden, et il faut nous résigner à penser ce qu'on nous a dit. Ceci n'est point une préparation pour protester contre la réputation faite de l'Italie. J'aime l'admiration, une de nos plus heureuses, de nos plus nobles facultés, et quand elle est autre chose qu'un engouement de commande ou un enthousiasme d'emprunt, le temps la fortifie au lieu de l'affaiblir. Elle ne se blase point. Je trouve même que la réalité des belles choses est supérieure à l'imagination, et en tout j'ai plus senti que je n'avais rêvé. L'amour de la liberté, l'héroïsme guerrier, l'art des Grecs, la poésie d'Homère, la philosophie de Platon, les tragédies de Shakspeare, tout ce qu'on voudra de pareil ou d'égal conserve, malgré l'abus des louanges banales, des droits inaltérables aux plus vives émotions que le beau puisse exciter. En ce genre, la faiblesse ou l'excès ne me choque point: je pardonne même le ridicule, et je suis prêt à dire comme Bélise :

Laissez-nous, s'il vous plaît, le plaisir d'admirer.

J'admire donc l'Italie; mais il faut convenir qu'il y a dans toute admiration reçue une part de convention et d'exagération qui impatiente. Une des choses qui font le plus de tort à la vérité, c'est la quantité incroyable de mauvaises raisons dont on l'appuie. On traite le beau comme la vérité, et l'on ne sait pas le louer sans lui prêter toute sorte de mérites qu'on invente ou qu'on surfait. On se forge des règles pour approuver, des formules pour sentir. On vante ce qui n'est pas ou ce qui ne devrait pas être, pour avoir l'air de mieux voir ou de mieux juger. On s'exalte sur des détails, sur des défauts, sur des vulgarités qu'on retrouverait partout si l'on se donnait la peine de les chercher, et l'on réussit de la sorte à décréditer l'admiration mème en la motivant mal, en l'appliquant à contre-sens, en l'exprimant outre mesure. C'est, par exemple, ce qui est arrivé à la littérature classique de la France, et ce que pourrait ramener la superstition du XVII siècle, comme quelques-uns l'entendent aujourd'hui. Les vérités se rouillent, plongées dans le lieu commun, et le beau perd sa forme, réfléchi dans le miroir grossissant de la déclamation.

Je voudrais donc parler tout naïvement de ce que j'ai vu de l'Italie non que j'aie la moindre envie de prescrire mes jugemens et de dicter rien à personne, mais pour encourager la liberté de sentir, pour exciter à la spontanéité des appréciations, pour engager à être vrai.

Il est d'ailleurs difficile de s'y prendre autrement, quand on ne veut pas copier ce que nous apprennent les livres sur l'Italie. Qu'en dire d'instructif qui n'ait été écrit? Si l'on se met à raconter ce qu'on tient des ciceroni d'auberge, on le retrouve plus exactement dit dans le Voyage de Valery que tout le monde a lu, ou dans les esquisses fidèles dont M. Paul de Musset vient de faire deux beaux volumes. Si l'on essaie de décrire ce qu'on a vu, les tableaux si chaudement colorés de M. Théophile Gautier reviennent à la mémoire, et l'on renonce à se servir du fusain, ne pouvant lui dérober son pinceau. On ne peut plus même espérer de faire mieux que les simples itinéraires. Les guides du voyageur sont devenus des livres. Nous avons en français celui de M. Du Pays, qui est excellent. Le guide allemand de Forster mérite sa réputation, et le Hand-Book de Murray peut se lire comme un ouvrage d'esprit : il intéresse même au coin du feu. Il faut pourtant éviter d'en traduire des pages, et, au risque de parler un peu de soi, ne dire que ce qu'on a pensé à propos de ce qu'on a vu.

I.

Il ne s'agit ici que de l'Italie septentrionale, réduite même à cette région vaste encore qui s'étend au pied des Alpes, et que nous limiterons par une ligne idéale dont les trois points principaux seront Gênes, Parme et Venise. C'est dans une grande partie de son étendue un large bassin, ouvert au levant, fermé au nord et au couchant par des chaînes de montagnes qui le préservent des températures extrêmes. Quoique exposée au plus beau soleil de l'Europe, cette contrée ne rappelle que rarement notre littoral du midi. Ce n'est ni l'aridité poudreuse ni la végétation grisâtre de la Provence; ce n'est pas non plus une nature insolite, originale, qui semble annoncer une nouvelle partie du monde. Avec la pureté d'un ciel brillant, c'est la fraîcheur d'aspect des pays du nord. La Lombardie est aussi verte que la Normandie.

Cette chaîne d'obstacles naturels qui semblent nous séparer de l'Italie par une barrière infranchissable est, comme on sait, rompue sur trois points. On peut suivre les bords de la Méditerranée, et de Nice, d'Oneille ou de Gênes, pénétrer dans l'enceinte des Alpes maritimes; on peut passer le Mont-Cenis ou franchir le Simplon, et descendre par une de ces deux rampes dans cette plaine à perte de vue qui s'étend au pied des Alpes françaises et des Alpes helvétiques. J'ai pris ma route par l'entrée classique du Mont-Cenis.

Avant d'en atteindre les hauteurs, on traverse une partie de la France dont le souvenir ne nous rend pas trop modestes en présence

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