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le substantif passe avant l'adjectif, le sujet avant son verbe, etc., ne se prête pas à cet arrangement, et cependant nos grands écrivains naturalistes, pour faire passer dans leur style le mouvement de la pensée et lui donner plus de vigueur, ont su déroger de la manière la plus heureuse à l'ordre grammatical et ont fréquemment usé de la ressource précieuse des inversions.

Salut Ponchon! salut trogne, crinière, ventre! J. RICHEPIN, à Raoul Ponchon.

La petite Nana, cherchant à échapper à Coupeau, son père, qui l'appelle dans la foule, s'écrie :

Ah bien! il n'est pas poivre, non, c'est que je tousse. Moi je m'esbigne, vous savez, je n'ai pas

envie qu'il secoue mes puces. Tiens, il a piqué une tête! Dieu de Dieu, s'il pouvait se casser la gueule.

E. ZOLA, L'Assommoir, p. 435.

Voici comment le Maître exprime le contentement des Lorilleux, après la deuxième fugue de la petite Nana :

Deuxième représentation, éclipse second numéro, les demoiselles pour Saint-Lazare, en voiture! non, c'était trop comique, Nana avait un chic pour se tirer des pattes! Ah bien! si les Coupeau voulaient la garder maintenant, ils n'avaient plus qu'à lui coudre son affaire et à la mettre en cage!

Ibid. p. 495.

Et plus loin, s'adressant à Virginie, avec qui il est en tête à tête, Lantier, parlant de son mari, le sergent de ville Poisson, faisant sa ronde dans le quartier, s'exprime ainsi :

Ah bien! murmura-t-il, il a une bonne tête ce matin, Badingue! attention! il serre trop les fesses, il a dû se faire coller un œil de verre quelque part, pour surprendre son monde.

Ibid., p. 503.

Personne autre que le grand Maître n'aurait pu donner ce relief et ce pittoresque à des phrases exprimant des idées aussi simples.

RÈGLES PARTICULIÈRES

DES QUALITÉS particulières du style naTURALISTE

Les principes que nous venons d'exposer s'appliquent à toutes sortes de composition. Mais, outre les qualités générales, il en est de particulières qui varient suivant la nature des sujets que

l'on traite. Or, ces sujets peuvent se classer en trois genres; d'où trois sortes de style: le style simple, destiné à instruire; le style tempéré, à plaire; le style véhément ou le style sublime, à émouvoir.

Nous allons nous occuper successivement de chacun d'eux. Toutefois, nous croyons utile de faire remarquer que nous n'attachons aucune importance à ces distinctions empruntées à la littérature classique. Les trois sortes de style que nous allons étudier se trouvent presque toujours réunies dans toute composition littéraire, et un écrivain, en faisant un ouvrage, ne se dit pas : j'emploierai ici le style simple, là le style sublime, et plus loin le style tempéré. Les divisions que nous avons adoptées sont toutes de

convention et n'ont d'autre but que de

permettre l'étude des différentes beautés rencontrées dans les œuvres des écrivains naturalistes.

DU STYLE SIMPLE.

Le style simple est celui qui exprime les choses sans pompe et sans recherche. Choix bien exact des termes propres, parure simple et naturelle, délicatesse fine et naïve, clarté, netteté, précision parfaite, voilà, surtout, ce qui le caractérise. Le naturel est sa qualité dominante. L'art ne doit pas y paraître, et néanmoins, de ces trois genres, ce n'est pas le plus facile. « Comme le langage qu'on y emploie s'écarte peu de la manière commune de parler, » a dit Rollin, que nous n'hésitons pas à citer lorsque

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