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Vous trouverez, comme exemple, dans les traités de l'autre littérature, cette harangue de Henri IV à ses soldats:

Je suis votre roi, vous êtes Français, voilà l'ennemi.

Comparez-les et voyez celui qui remplit le mieux les qualités énumérées dans la définition.

La pensée majestueuse ou noble ou grande ne présente à l'esprit que des objets grands qui élèvent la nature humaine, mais sans traits extraordinaires, car ce serait alors la pensée sublime.

M. E. Zola s'exprime ainsi dans la Curée en décrivant l'attitude de laquais de bonne maison:

Leurs chapeaux, ornés d'une cocarde noire, avaient une grande dignité.

page 4.

Dans le Ventre de Paris :

......

En haut, une grande dinde montrait sa poitrine blanche, marbrée, sous la peau, des taches noires des truffes. C'était barbare et superbe, quelque chose comme un ventre aperçu dans une gloire....

P. 270, édition illustrée.

Et dans l'Etude littéraire sur George Sand:

Sa face un peu forte, avec ses grands yeux, gardait une indolence muette, cet air réfléchi et profond des bêtes qui songent.

E. ZOLA, Le Voltaire, N° 248, 10 mars 1879.

Le sentiment majestueux ou grand ou noble est celui qui nous remplit d'admiration ou de plaisir. Il nous élève audessus des autres hommes et au-dessus de nous-mêmes.

Nous pisserons très beaux, très heureux et très dignes, Nous appuyant du front au mur éclaboussé

Et les Batignollais verront un jour des vignes Fleurir le long du mur où nous aurons pissé. J. RICHEPIN, chanson des Gueux,

Fleur de Boisson.

Le même auteur, à la fin de l'ouvrage que nous venons de citer, nous fournit encore un autre exemple de sentiment majestueux.

Alors sans feu ni lieu courbant ma tête altière,
J'irai m'asseoir tout seul dans quelque cimetière,
Par une nuit sans lune et par un temps glacé,
Et là je raillerai moi-même mon passé
Et parlant d'une voix cyniquement mordante,
Sous le vent du malheur à l'haleine stridente,
Las d'avoir tant marché, triste d'avoir vécu
De mes espoirs défunts je chaufferai mon cul.
J. RICHEPIN, chanson des Gueux,

La fin des Gueux.

La pensée et le sentiment sublime sont ceux qui paraissent être au-dessus des

forces de la nature et nous pénètrent par là-même d'enthousiasme et d'admiration.

Telle est cette pensée d'une prostituée parlant de l'homme à qui elle s'est attachée, malgré la brutalité qu'il montre à son égard:

Cet homme, je ne sais pas si je l'aime, mais il me dirait: Ta peau, je la veux pour m'en faire une paire de bottes, que je lui crierais: Prends-la!

E. DE GONCOURT, La Fille Elisa, p. 89.

Le fameux «< qu'il mourût » d'Horace a-t-il ce caractère de sublimité? Mourir est-ce au-dessus des forces de la nature ?

A toutes les pensées que nous venons de définir, on peut ajouter encore la pensée brillante et la pensée neuve.

La pensée brillante éclate et brille pour

ainsi dire aux yeux du lecteur soit par les tours et les images, soit par le choc des idées.

Elle dîna chez une camarade et s'offrit une telle indigestion de beignets, que ne pouvant arrêter le bal de son estomac, elle l'accompagna, en musique, de hoquets et de points d'orgue.

J. K. HUYSMANS, Les Soeurs Vatard, p. 45.

La pensée neuve est celle qui présente un objet déjà connu sous une forme ingénieuse et nouvelle.

Dites-donc, espèce de Borgia, cria-t-il au père Colombe, donnez-nous de la jaune, de votre pissat d'âne premier numéro.

E. ZOLA, L'Assommoir, p. 333.

Cette nouvelle appellation de l'eau-devie ne laisse pas en effet d'être neuve et ingénieuse.

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