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velopper ou resteindre à propos le récit d'une action, la peinture d'un caractère, les résultats d'une sensation, est une des qualités les plus difficiles à acquérir pour un écrivain naturaliste. On peut dire qu'elle constitue son originalité.

Il n'est pas possible d'établir des règles précises à ce sujet; elles varient pour chaque cas particulier. Nous nous contenterons de rappeler, d'une manière générale, que si, dans l'étude d'un phénomène ou le récit d'un évènement, on peut laisser dans l'ombre quelques faits de peu d'importance pour mettre en lumière les circonstances principales, dans l'étude d'un caractère rien ne doit être négligé, car du plus petit fait peuvent découler les conséquences les plus graves; l'observation d'un détail, en appa

rence le plus insignifiant, devant expliquer par la suite, tout un individu, toute une suite d'évènements, une existence entière, toute une race quelquefois. C'est ainsi qu'en lisant l'Assommoir, par le récit de certaines actions, la peinture de certains détails, puérils au premier abord, mais qui, lorsqu'on y réfléchit, jettent une vive lumière sur le caractère et la vie de la petite Nana, on pressent très bien ce que sera un jour l'héroïne à qui M. E. Zola vient de consacrer un volume spécial.

Le but du roman naturaliste diffère essentiellement de celui que les romanciers de l'autre littérature se sont presque toujours proposés. Il ne cherche pas à plaire, ou s'il y parvient, c'est d'une manière incidente, par la nature de certains épiso

des liés au sujet principal. Ce n'est point une distraction, une récréation qu'il offre au lecteur. Il veut, comme toute science utile, instruire et moraliser, avant tout. On peut dire que le roman naturaliste est, dans l'ordre moral, pour la santé de l'esprit, ce qu'est, dans l'ordre physiologique proprement dit, un traité d'hygiène, un livre spécial pour la santé du corps. Les rapports intimes qui lient si étroitement notre constitution physique à notre nature morale expliquent très bien cette nouvelle manière, la seule vraie, d'envisager l'étude de l'homme.

Le romancier naturaliste n'est qu'un intermédiaire intelligent entre le lecteur et lanature. L'enseignement moral que son œuvre offrira doit donc ressortir du sujet lui-même et non des réflexions

faites par l'écrivain. L'impression produite par les faits sera d'autant plus profonde qu'ils auront été dégagés de tous ces développements banals, de toute cette phraséologie insipide qui, sous le nom prétentieux de beautés littéraires, caractérisent la plupart des productions de l'autre littérature.

L'impersonnalité de l'écrivain, dans le récit qu'il expose, est un nouveau caractère distinctif du roman naturaliste. L'auteur n'ayant pas à prendre parti pour tel ou tel héros, doit se borner à constater des faits, à faire parler ses personnages, sans chercher à jouer lui-même un rôle dans l'action.

La littérature naturaliste est, par excellence, la littérature du peuple. C'est, en effet, parmi le peuple seul que le

vrai et la nature se rencontrent encore

sans altération. Les sentiments y sont rarement déguisés, les sensations transformées ou modifiées par les raffinements d'une civilisation corruptrice. La prescription faite au romancier naturaliste, de puiser dans le peuple les sujets et les personnages de ses productions, sera donc très rationnelle.

Il faut que le roman naturaliste ait l'odeur du peuple, a dit M. E. Zola dans la préface de l'Assommoir, ce roman du peuple, fait par le peuple et pour le peuple, où l'auteur justifie de la manière la plus heureuse et la plus complète le précepte qu'il a donné. C'est aussi l'opinion de M. E. de Goncourt, et nous ne pouvons mieux faire que de citer, à ce sujet, les termes mêmes de la préface de Germinie Lacerteux :

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