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lequel les distinctions établies se trouvent justifiées par des citations décisives empruntées à nos écrivains du xvII° siècle et du xvi les plus purs et les plus justement estimés.

La première partie a déjà subi l'épreuve de l'opinion. C'est, avec un peu moins d'appareil scientifique, le livre que j'avais publié en 1841 afin de pressentir le succès du tout par celui de ce fragment. Or, en voyant la manière dont l'Institut, l'Université et, dans la presse, les écrivains les plus compétents ont accueilli cet essai, je ne puis m'empêcher d'attendre avec quelque confiance le sort réservé dans le public au dictionnaire tout entier. La partie déjà connue, et que j'ai dû perfectionner après les encouragements très-flatteurs dont elle a été l'objet, se retrouve ici avec de notables améliorations: toutes les distinctions ont été revues, quelques-unes éclaircies ou réformées; le long article qui se rapporte à la synonymie des adverbes et des phrases adverbiales a été refait en entier; de nouveaux développements et de nouveaux exemples ont augmenté de près d'un tiers l'œuvre primitive, en même temps qu'elle était purgée avec le plus grand soin des fautes qu'y avait relevées la critique. Quant à la seconde partie, à celle qui n'avait point encore vu le jour, elle se recommande par sa nature même : elle sera vraisemblablement plus goûtée que la première, parce qu'elle est moins abstraite, moins mêlée de théorie.

Les circonstances, du reste, paraissent être favorables pour rappeler l'attention du public sur ces études si injustement négligées, pour ne pas dire totalement inconnues.

Au xvII° siècle, plusieurs écrivains philosophes, Voltaire, Condillac, d'Alembert et Diderot, imitant l'abbé Girard, s'appliquèrent à distinguer les mots synonymes, bien convaincus qu'ils étaient de l'utilité de leurs efforts pour fixer, pour rendre désormais invariable la qualité de notre langue la plus caractéristique, sa précision. Mais, au commencement de notre époque, leurs erreurs en métaphysique et en morale firent tort

dans l'opinion à leurs travaux et à leurs productions philologiques. Comme on réprouva les unes, on rejeta les autres, quoiqu'il n'y ait entre les unes et les autres aucune connexité. Les funestes doctrines des Encyclopédistes n'empêchent pas qu'ils n'aient possédé au plus haut degré l'esprit philosophique et qu'ils ne l'aient fort heureusement employé, sinon à rendre la langue française plus parfaite, au moins à en perpétuer l'usage, en faisant mieux connaître toutes ses perfections et son aptitude merveilleuse à servir tous les besoins de la pensée. Aujourd'hui que l'ardeur de la réaction s'est calmée et que la philosophie a repris la droite voie, nous sommes plus capables de juger sans passion le siècle dernier, nous avons moins de peine à reconnaître les services qu'il a rendus à la langue et à estimer, comme écrivains, des hommes que nous condamnons absolument ou en partie comme philosophes. Avec ces dispositions à l'impartialité, notre temps, selon toute apparence, saura convenablement apprécier dans le présent livre une des meilleures choses que nous ait laissées la philosophie du xvir siècle, c'est-à-dire ses observations sur les significations exactes des mots vulgairement réputés synonymes.

Notre littérature et notre langue classiques jouissent en ce moment d'un retour de faveur signalé. Jamais on n'en a mieux senti le prix que depuis certaines tentatives d'indépendance dont on ne s'avise plus guère de vanter le succès. Jamais on n'a plus généralement reconnu notre impuissance à réussir dans les lettres autrement qu'en nous remettant sous la forte discipline des grands écrivains, qui n'y ont si merveilleusement réussi qu'à cause de la parfaite conformité de leurs idées et de leurs expressions avec notre caractère national. Le temps n'est plus où, sous prétexte de donner l'essor au génie, on prenait plaisir à dénigrer notre passé littéraire, où on regardait comme une marque de petitesse d'esprit d'observer des règles, de respecter la tradition et l'usage, de rechercher dans l'emploi des mots la netteté et la justesse. Pour le style

en particulier, nous revenons naturellement à celui du bon sens, à celui qui se distingue avant tout par la clarté, et qu'on peut appeler proprement le style français, tant il convient à nos instincts intellectuels. En conserver les formes et les expressions essentielles, telles qu'elles ont été consacrées par les chefs-d'œuvre des deux derniers siècles, paraît être devenu désormais en littérature une obligation dont ne saurait dispenser le génie même.

LISTE DES AUTEURS

CITÉS EN ABRÉGÉ DANS CE DICTIONNAIRE.

ACAD. Académie. Le dictionnaire de l'Académie. | LAH. Laharpe.

BARTH. Barthélemy.

BEAUM. Beaumarchais.

BEAUZ. Beauzée.

BOIL. Boileau.

Boss. Bossuet.

BOUн. Bouhours.

BOURD. Bourdaloue.

BUFF. Buffon.

CHARR. Charron.

COND. Condillac.

CORN. Corneille.

D'AG. D'Aguesseau.

D'AL. D'Alembert.

DELAF. Mme de La Fayette.

DESC. Descartes.

DEST. Destouches.

DUCL. Duclos.

DUDEFF. Mme du Deffand.

FÉN. Fénelon.

FLECH. Fléchier.

FONT. Fontenelle.

GIR. Girard.

GUIZ. Guizot.

HAM. Hamilton.

J. B. Rouss Jean-Baptiste Rousseau.

J. J. Jean-Jacques Rousseau.

LABR. Labruyère.

LAF. Lafontaine.

LAROCH. Larochefoucauld.
LAV. Laveaux.

LES. Lesage.

MAL. Malebranche.

MALH. Malherbe.

MARM. Marmontel.

MASS. Massillon.

MOL. Molière.

MONTAIGN. Montaigne.
MONTESQ. Montesquieu.
NIC. Nicole.

P. A. Le Père André.
PASC. Pascal.

P.-R. Port-Royal.
RAC. Racine.
RAYN. Raynal.
REGN. Regnard.

RIV. Rivarol.

ROLL. Rollin.

ROUB. Roubaud.

S.-S. Le duc de Saint-Simon.

SCARR. Scarron.

SEV. Mme de Sévigné.

TREV. Trévoux. Le dictionnaire de Trévoux.

VAUG. Vaugelas.

VAUV. Vauvenargues.

VERT. Vertot.

VOLT. Voltaire.

INTRODUCTION.

I. Objet et nécessité des travaux de la lexicologie relativement aux synonymes.

Dès l'âge le plus tendre et avant toute réflexion, nous apprenons de nos parents à parler. Plus tard ce qui n'avait été qu'un jeu devient une étude des maîtres nous enseignent à bien parler. Bien parler, c'est, tout ensemble, parler purement, parler correctement et parler convenablement eu égard au sujet, à la situation, au temps, au lieu, aux personnes. La première condition regarde les mots pris en eux-mêmes; comme ils sont les matériaux qui entrent dans la composition du discours, il faut avant tout les connaître, en savoir la nature, la valeur, les diverses acceptions, de manière à ne les point confondre. On donne le nom de lexicologie à la science qui s'occupe de déterminer les, significations des mots, et celui de dictionnaires aux livres où ses décisions se trouvent consignées. Ensuite, les éléments que les dictionnaires donnent séparés doivent subir certaines modifications et certaines combinaisons d'après des règles prescrites et sanctionnées par l'usage sur ce point, c'est la grammaire qu'il faut consulter. Elle est une espèce de code où sont recueillis les arrêts de l'usage concernant l'organisation matérielle ou le mécanisme du discours, le tour des phrases, les inflexions et la disposition des mots, suivant les rapports qu'on leur veut faire exprimer. Enfin les rhétoriques et les poétiques ont pour objet les convenances du style, les procédés et les artifices de langage nécessaires quand on veut traiter avec succès tel ou tel sujet, produire sûrement telle ou telle impression.

Entre ces trois parties de l'art de bien dire, qui se rapportent, la première à la justesse, la seconde à la correction et la troisième à l'expression, la dernière est d'une utilité moins générale. Le dictionnaire et la grammaire sont pour tous les hommes des manuels indispensables, parce que tous les hommes doivent employer les termes propres, et dans leur arrangement se conformer à la pratique commune; mais la rhétorique et la poétique ne s'adressent qu'au petit nombre de ceux qui se proposent d'exercer par la parole une certaine influence sur l'esprit ou le cœur de leurs semblables. A cette première différence s'en joint une seconde tout aussi importante. La lexicologie et la grammaire commandent, imposent des règles; la rhétorique donne des conseils. On ne saurait désobéir aux unes ou même en négliger l'étude, sans encourir le reproche d'ignorance et de barbarie, sans aller contre le but du langage, qui est de se faire comprendre; celui qui ne connaît ou ne suit pas les prescriptions de la rhétorique ne s'expose pas par cela seul et nécessairement à manquer l'effet qu'il attend de ses paroles. C'est que la lexicologie et la grammaire

promulguent au nom de l'usage des lois fixes et absolues; tandis que la rhétorique indique des moyens dont le succès dépend en grande partie du génie de celui qui parle, du caractère de ceux à qui il parle et de plusieurs circonstances non moins variables au milieu desquelles il parle. Et, pour ne tenir compte que du génie de celui qui parle, on peut dire que l'éloquence et la poésie sont plutôt des talents que des arts, et que jamais la rhétorique n'allume le feu sacré dans l'âme de celui qui ne l'a point reçu du ciel.

Puisque les déterminations de la lexicologie et les règles de la grammaire intéressent tous les membres de la nation et sont indispensablement obligatoires; puisque, d'autre part, les préceptes de la rhétorique, destinés à quelques-uns seulement, ont une efficacité fort incertaine, ne semble-t-il pas s'ensuivre que les études lexicologiques et grammaticales ont dû être de tout temps plus cultivées que la troisième partie de l'art de bien dire? Ce serait une erreur de le penser. La grammaire, il est vrai, quoique la théorie et la rédaction en soient abandonnées à des savants modestes et peu estimés, n'a jamais cessé de jouir d'un assez grand crédit : elle est l'objet de nombreux traités, et il n'y en a pas qui soient recherchés par autant de lecteurs. Mais on ne saurait imaginer toute la négligence apportée dans les travaux de la lexicologie et combien peu de prix on attache en général à leur perfectionnement; comme si la connaissance de la propriété des termes était chose trop facile ou trop indifférente pour mériter qu'on en fasse, ainsi que de la rhétorique, une partie essentielle de l'art de bien parler, et qu'on s'applique à l'acquérir.

Les dictionnaires ont pour tâche principale de définir les mots de telle sorte qu'ils ne soient pris ni à contre-sens par celui qui parle ou écrit, non plus que par l'auditeur ou le lecteur, ni en sens divers par les uns et par les autres, ce qui occasionnerait inévitablement des méprises et des malentendus. Or, il s'en faut de beaucoup que les définitions qui s'y trouvent répondent à cette idée. A part un très-petit nombre de termes significatifs d'idées simples et claires par ellesmêmes, tous les mots sont susceptibles de définition, parce que tous, exprimant des collections d'idées élémentaires ou des nuances, se peuvent résoudre en termes qui représentent celles-ci d'une manière distincte et détaillée. C'est seulement à l'égard de ces mots complexes que nous prétendons critiquer le travail des dictionnaires; il y aurait de l'injustice à exiger par rapport aux autres une rigueur reconnue impossible.

Que parmi les définitions des dictionnaires il y en ait de fausses, c'est un mal sans doute, mais un mal de peu de conséquence; car il est présumable qu'elles choqueront à la longue le bon sens des vocabulistes, et qu'ils sauront bien les corriger. Mais on peut reprocher aux dictionnaires un vice tout autrement grave, parce qu'il réside dans la manière même de définir, et que leurs auteurs ne paraissent pas soupçonner combien elle est défectueuse. Ils se bornent pour l'ordinaire à traduire un mot par un autre; ce qui est en même temps ne rien expliquer et faire naître dans l'esprit du lecteur une erreur manifeste. C'est ne rien expliquer, si le lecteur ne connaît pas le sens du mot par lequel on définit,

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