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principe admis par toutes les sciences inductives, que les mêmes causes produisent les mêmes effets, et que les mêmes effets sont produits par les mêmes causes, la même modification grammaticale doit, dans tous les cas, faire varier de même la signification. En quoi consiste cette variation, c'est précisément ce qu'il s'agit de trouver, et, pour le trouver, le philologue emploiera tous ses soins et toutes les ressources possibles. Il examinera chaque exemple en particulier pour en faire sortir la différence; puis il la comparera avec celles des autres exemples de manière à saisir entre toutes quelque chose de commun ou à les ramener les unes aux autres. Entre les exemples, il en remarquera de décisifs, soit que la différence s'y montre à découvert, soit que d'habiles synonymistes y aient déjà fait des distinctions d'une vérité frappante. Il ne négligera pas, au contraire il s'empressera de recueillir ceux où cette différence est tellement sensible qu'il ne reste plus entre les deux termes aucune synonymie. Lorsqu'on aura des lumières suffisantes sur l'effet causé dans le sens des mots par la modification grammaticale, qui seule peut révéler la différence des synonymes d'une classe entière, il sera facile d'en tirer une règle générale pour la distinction, non-seulement de ceux qu'on aura pris pour exemples, mais encore de tous ceux, appartenant à la même classe, qu'on pourrait avoir omis. La règle étant énoncée brièvement et dogmatiquement, à la suite viendront les exemples qui la présenteront appliquée pour les lecteurs, à qui son application seule importe, et justifiée, pour ceux qui tiennent à être assurés de sa rigueur.

Quelquefois, au lieu d'être puisée dans l'examen et la comparaison des synonymes mêmes de la classe, la connaissance de la valeur propre à la modification grammaticale qui les différencie résulte tout entière de la considération de mots étrangers à cette classe ou même à la langue française. C'est ce qui arrive surtout par rapport aux synonymes à préfixes ou à terminaisons différentes. Ainsi, avant d'arriver à connaître ce qui distingue les substantifs synonymes de même radical terminés les uns en erie et les autres en isme, nous avons dû rechercher les nuances de signification attachées à ces deux désinences, en comparant séparément un grand nombre de mots en erie 1, puis un grand nombre d'autres en isme 2; de sorte que, rapprochant les deux valeurs, nous avons pu établir d'une manière générale les rapports d'opposition nécessairement existants entre les synonymes de cette classe 3. Au surplus, que ce soit aux expressions mêmes à expliquer ou à d'autres qui ne sont point en question ou tout à la fois aux unes et aux autres qu'on s'adresse pour avoir le sens de la modification grammaticale, on parvient toujours à le déterminer au moyen de l'induction.

Telle est, rapidement esquissée, la méthode à suivre pour assigner aux synonymes grammaticaux leurs traits distinctifs. Sans descendre aux particularités de cette méthode dans ses diverses applications, sans anticiper sur les détails 1. Voy. p. 201.

2. Voy. p. 205.

3. Voy. p. 206 et 207.

du livre même, nous pouvons au moins dès à présent ajouter à ce qui vient d'être dit quelques remarques générales importantes et qui ne demandent pas pour être comprises de longs développements.

Outre l'avantage de rassembler, pour la distinction des deux mots synonymes dans chaque exemple, les lumières que fournit l'examen non-seulement de tous les autres exemples, mais encore de termes étrangers à la classe et affectés de la même modification grammaticale, cette méthode a encore celui de rendre, sinon tout à fait inutiles, au moins peu nécessaires, les citations de passages ayant pour but de constater l'usage par rapport à chaque couple de synonymes. Cet usage, elle le fait connaître à priori et comme d'emblée, en même temps qu'elle. l'explique et en rend raison. Soient les deux synonymes défiance et méfiance. En procédant à la manière de Girard, on s'efforcera de découvrir leur différence pat instinct, par la méditation et à l'aide d'une sagacité plus ou moins pénétrante. C'est ce qu'ont fait les auteurs des deux articles de l'Encyclopédie sur ce sujet. On pourrait aussi, comme pour les synonymes à radicaux divers, s'attacher à savoir la décision de l'usage touchant la valeur propre des deux mots, et à cette fin on recueillerait dans les auteurs classiques beaucoup de passages où cette valeur se trouve bien marquée. Mais ce moyen n'est ni le plus court, ni le plus sûr, ni le plus satisfaisant; c'est seulement un moyen surérogatoire qu'on emploiera quelquefois par surcroît de précaution. Après que le sens précis de chacune des deux préfixes dé et mé aura été séparément déterminé par l'examen et la comparaison d'un grand nombre de termes français ou étrangers qu'elle commence, on rapprochera deux par deux les mots peu ou point synonymes qui ont même radical et pour préfixe, l'un dé, l'autre mé, et par exemple, dépriser et mépriser, décompte et mécompte, dédire et médire. On arrivera ainsi par analogie à connaitre non-seulement ce que l'usage pense ou plutôt doit penser sur la différence des deux mots, mais encore pourquoi il le pense ou doit le penser. Sans doute les esprits méticuleusement positifs et empiriques jugeront qu'il vaudrait mieux constater l'usage que de décider au nom de la science ce qu'il doit être. Mais, outre que les citations ne le révèlent pas infailliblement, il est bien permis à la science de le guider, de le contrôler même quelquefois dans les cas particuliers, d'après des données fournies par l'usage lui-même. Nous avons donc dù citer plus rarement dans la première partie. Toutefois nous ne nous en sommes abstenu que quand la différence obtenue scientifiquement était si évidemment confirmée par l'usage, que toute démonstration au moyen des faits devenait superflue.

En second lieu, il ne suffit pas de ranger en classes les synonymes grammaticaux, il faut savoir aussi distribuer les classes entre elles. Le sujet entier se divisé, à notre avis, en trois parties principales sous les titres suivants : 1° Synonymes dont les différences dépendent de certaines circonstances grammaticales; Synonymes dont les différences dépendent de la valeur des préfixes; 3° Synonymes dont les différences dépendent de la valeur des terminaisons'. Dans la 1. Pour différencier les mots synonymes à radical commun, la langue grecque a plusieurs moyens

première, les classes n'ayant entre elles aucun rapport nécessaire peuvent être disposées selon les parties du discours, substantifs, adjectifs, verbes, adverbes, et au dernier rang on mettra les expressions synonymes par syntaxe, c'est-à-dire celles qui ne diffèrent que par l'ordre des mots : mal parler et parler mal, savant homme et homme savant. Mais pour les synonymes à préfixes différentes et pour ceux à terminaisons différentes, l'arrangement des classes offre plus de difficulté. Chacune devra présenter d'abord la détermination de la valeur propre à une préfixe ou à une désinence particulière; puis des articles dans lesquels des termes ayant cette préfixe ou cette désinence seront comparés avec d'autres termes, leurs synonymes, dénués de préfixe et de désinence, qui seront par conséquent des radicaux purs; et enfin des articles dans lesquels des termes commençant par cette préfixe ou finissant par cette désinence seront comparés avec d'autres termes, leurs synonymes, ayant d'autres préfixess ou d'autres désinences. Or, la valeur de celles-ci aura dû être assignée dans des classes précédentes. En ordonnant les classes, il faudra donc prendre garde à deux choses premièrement, faire en sorte que des mots ayant la préfixe ou la désinence dont il s'agit dans chaque classe, se trouvent avoir des synonymes parmi les mots à préfixes ou à désinences déjà examinées : secondement, avoir soin de disposer chaque classe de façon qu'il y ait des mots ayant la préfixe ou la désinence dont elle traite synonymes d'autres mots à préfixes ou à terminaisons qui seront considérées dans les classes les plus prochaines. Ainsi régnera entre les classes une correspondance essentielle : chacune contiendra des mots ayant la préfixe ou la désinence en question mis en présence d'autres mots à préfixes ou à désinences précédemment étudiées, et ensuite, en fixant la valeur de telle préfixe ou de telle désinence, clle préparera la distinction des mots qui en sont pourvus d'avec d'autres à préfixes ou à désinences dont l'exacte signification sera bientôt déterminée.

En troisième lieu, nous venons de dire, au sujet des synonymes à préfixes et à terminaisons différentes, que les mots ayant telle préfixe ou telle terminaison doivent être mis en rapport avec leurs synonymes sans préfixe et sans terminaison, mots simples qui entrent dans la composition des premiers. Or, le caractère propre de ces mots simples ne tenant ni à leur valeur primitive, puisqu'elle leur est commune avec leurs synonymes auxquels ils servent de radicaux, ni à leur préfixe, puisqu'ils n'en ont pas, ni à leur terminaison, puisqu'ils n'en ont pas de significative, d'où se tire leur différence d'avec les composés dont ils sont à la fois synonymes et radicaux? D'où se tire, par exemple, celle de plaire inconnus ou moins connus dans la nôtre. Ainsi, elle a beaucoup de synonymes grammaticaux, qui tirent toute leur différence de la place de l'accent, comme μισητὴ et μισήτη, μοχθηρὸς et μοχθηρος, μύριοι et μυρίοι, πάγετος et παγετός, σύνεργος et συνεργός, ἀληθὲς et ἀληθες, ἀτέχνως et ἀτεχνῶς, ȧypoixos et άypoixo;; d'autres qui ne diffèrent que par la longueur ou la brièveté d'une syllabe, comme яáoαobat, avec la première syllabe longue, et яácaobat, avec la première syllabe brève; d'autres qui n'ont pas le même sens parce qu'ils n'ont pas le même esprit, comme sont &pa et épa; d'autres enfin parmi les verbes, dont la différence provient de ce qu'ils n'appartiennent pas au même mode de conjugaison, à la même voix; tels sont : ἐννοεῖν et ἐννοεῖσθαι, εὑρεῖν et εὑρέσθαι, θύειν et θύεσθαι, διδάσκω et διδάσκομαι.

et de complaire, de rále et de rálement? Elle ne dépend pas tout entière, comme on pourrait le croire, de la valeur propre de la préfixe ou de la terminaison dont est privé le simple et pourvu le composé. Abstraction faite de cette valeur, par cela seul que de deux mots synonymes l'un est le radical pur et nu qui entre comme élément principal ou comme base dans la composition de l'autre, il n'y a point entre eux identité; car le premier a, lui aussi, des traits caractéristiques. Il exprime l'idée commune sans modification, d'une manière simple et absolue, c'est-à-dire, suivant les cas, d'une manière complète et non partielle, sous tous les points de vue et non sous tel ou tel; ou bien objectivement, en soi, et non subjectivement, en rapport avec un agent, avec sa manière d'être, d'agir et de penser; ou bien, si l'idée commune est une idée d'action, le simple la représente comme elle a lieu d'ordinaire, sans rien de remarquable dans son mode ou dans la manière dont l'agent se porte à la faire. Mais cette règle si générale ne pouvant pleinement ni se comprendre ni se justifier sans des détails et des exemples trop nombreux pour figurer ici, le lecteur voudra bien pour les applications recourir à l'ouvrage même 1.

Une dernière observation regarde principalement les synonymes à terminaisons différentes. Deux mots composés peuvent avoir un seul et même radical, et pourtant différer par ce radical même. Il suffit pour cela que le radical commun ait, avant de devenir la base de ces mots, subi des influences grammaticales diverses en passant par diverses parties du discours. Ainsi l'identité de radical s'aperçoit d'abord dans les synonymes sac et saccagement, outrageux et outrageant, prudemment et avec prudence. Cependant sac n'est devenu saccagement qu'après avoir servi à former le verbe saccager avec lequel il a contracté une sorte d'affinité ; outrageux vient immédiatement du substantif outrage, et outrageant du verbe outrager; prudemment, et non pas prudence, a été formé de l'adjectif prudent. C'est une considération qu'il ne faut jamais négliger, car les mots diffèrent quelquefois notablement par leur plus ou moins de rapport avec telle ou telle partie du discours à laquelle leur base a d'abord appartenu. La valeur de la base commune à deux mots synonymes, par cela même qu'elle leur est commune, ne pouvant fournir aucun indice touchant leur différence, il faut rechercher le caractère relatif de cette base, et pour ainsi dire, sa consanguinité. Suivant Platon et Aristote, qui avaient fait du langage une étude approfondie, il n'y a que deux mots essentiels, le substantif, relatif à l'espace et pour les choses permanentes, et le verbe, relatif à la durée et pour les choses fluentes. A quoi il faut ajouter que l'adjectif ressemble plus au substantif qu'au verbe. Si donc deux mots synonymes révèlent par leur terminaison ou autrement qu'ils ont, l'un une base nominale ou adjective, l'autre une base verbale, quoique la même au fond, c'est-à-dire, l'un plus de rapport avec le substantif ou l'adjectif, l'autre avec le verbe, il s'ensuivra un puissant moyen de les distinguer; on pourra mettre entre eux l'opposition de la permanence et de la contingence, de l'être et du phénomène, de la substance et de l'accident. C'est une règle que nous avons suivie 1. Voy. passim, de la p. 107 jusqu'à la fin de la 1" partie.

constamment dans l'étude des synonymes à terminaisons différentes. Nous nous en sommes même servi pour distinguer les synonymes à radicaux divers; car elle est d'une application universelle. Ainsi, par exemple, entre blessure et plaie la principale et même l'unique différence qu'il y ait tient à ce que le premier de ces mots, mais non pas le second, témoigne par sa terminaison qu'il vient d'un verbe 2.

VI. Méthode à suivre pour distinguer les synonymes à radicaux divers, ceux qui font la matière du Dictionnaire des synonymes proprement dit.

Maintenant examinons quelle doit être la méthode des synonymes étymologiques ou à radicaux divers. Les synonymes, avons-nous dit, se divisent en deux sortes principales, suivant la nature de leurs différences, les grammaticaux et les étymologiques. Les différences des premiers ont leur raison dans des modifications grammaticales, dont la valeur ne peut être sûrement déterminée que par la comparaison d'un grand nombre de synonymes où elles se trouvent. D'où la nécessité d'en former l'objet d'un traité spécial, où ils soient rangés par classes, qui admettent chacune sa règle de distinction. Ce traité produit trois résultats. Quantité de mots synonymes deux à deux, et qui ne sont liés à d'autres par aucun lien de synonymie, sont distingués sans retour et mis hors de cause. Ceux qui reparaîtront dans des familles dont l'idée commune leur convient, n'y reparaîtront que distincts entre eux et chacun avec sa physionomie propre. Enfin, les principes établis pour la distinction des synonymes grammaticaux purs serviront aussi quelquefois à mettre des différences entre les synonymes à radicaux divers et, par exemple, entre blessure et plaie, comme il vient d'être dit, entre douleur et souffrance, durée et temps, fortuné et heureux, etc.

Les synonymes à radicaux divers tirent leurs différences de leurs radicaux mêmes. Or, la valeur de ces radicaux, et celle par conséquent des synonymes qu'ils différencient ne peut s'obtenir par une méthode de classification, de rapprochement et de comparaison analogue à celle qui convient à l'égard des synonymes grammaticaux; elle se détermine par l'étymologie au moment même où l'on examine dans chaque exemple ou dans chaque groupe la signification essentielle des termes qui y figurent. Il ne s'agit donc plus ici d'un traité, d'une œuvre systématique, mais d'un simple dictionnaire dans lequel se trouvent rangées selon l'ordre alphabétique des familles de mots quasi-équivalents.

Toutefois, il y a aussi pour la composition de ce dictionnaire, quoique la théorie ou la science y joue un moins grand rôle, des règles à observer. Les pre'mières regardent le moyen de reconnaître quels mots peuvent et doivent y être

1. Voy. p. 164, 168, 175, 180, ce qui concerne les substantifs purs, sans terminaisons significatives, comparés avec les substantifs verbaux en ment, ion, ure et age; p. 186, ce qui se rapporte aux substantifs synonymes terminés en té et en ion; p. 237, ce qui est dit des adjectifs en eux et en ant. On peut aussi consulter l'article des adverbes et des phrases adverbiales, p. 86, et celui où il est question d'adjectifs venant, les uns de verbes, les autres de substantifs correspondants (menteur, mensonger; loueur, louangeur; etc.) p. 39.

2. Voy. p. 406.

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