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DES SYNONYMES

DE LA LANGUE FRANÇAISE.

PREMIÈRE PARTIE.

SYNONYMES QUI ONT LE MÊME RADICAL.

I. SYNONYMES QUI ONT LE MÊME RADICAL ET DONT LES DIFFÉRENCES DÉPENDENT

DE CERTAINES CIRCONSTANCES GRAMMATICALES.

SYNONYMIE DES SUBSTANTIFS QUI DIFFÈRent

UNIQUEMENT PAR LE NOMBRE.

des mouvements qu'elle fait produire à l'extérieur. Le pluriel, au contraire, les montre comme diVivacité, vivacités ; tendresse, tendresses; bonté, dans leurs manifestations, sous leur côté phénovers et multiples, c'est-à-dire, dans leurs effets, bontés; bassesse, bassesses; etc. Air, airs. Infor-ménal et accidentel. Personne ne confond la vertu tune, infortunes; malheur, malheurs; chagrin, chagrins. Ruine, ruines; détail, détails; etc. Le mérite, les mérites; la richesse, les richesses. L'approche, les approches. La noce, les noces L'impôt, la taille, la dime; les impôts, les tailles, les dimes. Le sage, les sages; l'homme, les hommes.

théologale appelée charité avec les charités, c'està-dire, avec les actes, les pratiques qui en dérid'attention pour distinguer de même la vivacité vent et en sont les accidents. Il suffit d'un peu des vivacités, la tendresse des tendresses, la bonté des bontés, la bassesse des bassesses, etc. La vivacité, la tendresse, la bonté, la bassesse sont des affections intimes, immanentes, inhérentes

au caractère dont elles forment les éléments. On

Le singulier exprime l'unité, le pluriel la pluralité ou la variété. Telle est la règle sous sa forme la plus générale; mais on n'en compren- ne peut les réprimer sans un grand empire sur drait ni le sens ni la portée, si on ne la suivait soi-même. Les vivacités, les tendresses, les bondans des applications qui l'expliquent et la justi-tés, les bassesses sont les réalisations de ces qua

fient.

Supposons d'abord qu'il s'agisse de substantifs qui signifient des sentiments de l'âme, comme la vivacité, la tendresse, la bonté, la bassesse, la charité, la douceur, le mépris, la soumission, la ferté, la rigueur, etc. On demande quelle difference existe entre ces sentiments exprimés par le singulier, et ces mêmes sentiments exprimés par le pluriel. Dire que le singulier représente chacun d'eux comme un, et le pluriel comme multiple ou varié, c'est donner une réponse vraie au fond, mais obscure. Tâchons donc de l'éclaircir.

Le singulier montre chacun de ces sentiments comme un,c'est-à-dire comme étant une disposition

de l'âme continue ou permanente, qu'on éprouve à tel ou tel degré, mais toujours, abstraction faite

SYN. FRANC.

lités les vivacités sont des mouvements de vivacité, des emportements passagers; les tendresses des témoignages de tendresse, des manières empressées et caressantes; les bontés des signes extérieurs et accidentels qui annoncent de la bonté, signes qui, comme ceux de la tendresse, peuvent bien ne rien signifier du tout. Aussi, faire amitié suppose plutôt la réalité du sentiment, ou tout au moins se rapporte plus au fond que, faire des amitiés. Les bassesses sont des actes de bassesse. La faiblesse est un défaut; les faiblesses sont des fautes. De sorte que la différence du singulier au pluriel, c'est-à-dire de l'unité à la variété, revient à celle de l'être au phénomène.

Nos écrivains les plus spirituels en ont tiré d'heureuses oppositions de mots. « On dit : En Angleterre, on ne me fait point amitié. Est-il néces

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saire que l'on vous fasse des amitiés?» MONTESQ. << Le principe de la monarchie se corrompt lorsque l'honneur a été mis en contradiction avec les honneurs, et que l'on peut être à la fois couvert d'infamie et de dignités. » ID. « J'ai peur que l'homme puissant à qui vous vous êtes adressé ne vous aít donné que des paroles et non pas une parole. » VOLT. « Malgré les vices des hommes, il y a parmi eux des vertus, et même de la vertu.» J. J. Au lieu de raconter l'histoire ou une histoire, Hérodote s'amuse parfois à conter des histoires. On peut aimer la médecine et abhorrer les médecines.

L'air signifie ce que naturellement on paraît être sous le rapport des qualités et des dispositions de l'âme un air respectueux, craintif, sérieux, doux, simple, ingénu un air de modestie. Les airs consistent dans les démonstrations d'un homme qui fait de l'embarras : des airs tranchants, évaporés, fendants, impertinents, insolents, extravagants, impérieux, « Affecter des airs dédaigneux et hautains. » BOURD, « Il n'aura jamais d'airs ni de faste.» J. J. « Des dames sans airs. » ID. On a l'air; on prend, on se donne, on affecte des airs. Labruyère dit que, pour bien régner, il faut une naissance auguste, avec un air d'empire ou d'autorité; des airs d'empire et d'autorité sont des manifestations hautaines et prétentieuses qui révoltent. On peut avoir De beaux traits, un air grand, et point d'airs fastueux.

DEST.

« Les airs éventés du jeune marquis de Villeroy
me le rendirent insupportable, et mon air froid
m'attira son aversion. » J. J. Dans le Distrait de
Regnard, Valère répond au chevalier qui lui re-
proche d'avoir l'air sauvage:

Vous, n'aurez-vous jamais celui d'un homme sage?
Faudra-t-il qu'en tous lieux vos airs extravagants,
Vos ris immodérés donnent à rire aux gens?

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objets particuliers qu'on peut détailler, ou considérer et employer dans le détail. Détail annonce la manière dont vous représentez les choses; et les détails, les choses mêmes que vous représentez. » « Peut-être Virgile n'était-il point fait pour le détail fatigant des combats. » VOLT. « Je sais de sa conduite des détails incroyables. » MARM. Un général battu et mis en fuite s'écrie en mourant: A un plus heureux le reste. Il veut dire le reste de l'action ou de la campagne. S'il disait les restes, il faudrait entendre les soldats qui restent, les débris de l'armée. « On n'avait encore aucune connaissance des détails de la bataille (de Cannes); on ignorait où étaient les restes des troupes. » COND. Qui aime l'Eglise est attaché à la société des fidèles; qui aime les églises fréquente les temples chrétiens, les édifices où se célèbre le service divin.

Le mérite signifie, d'une manière abstraite et collective, toutes sortes de perfections, ce que vaut en général une personne ou une chose; les mérites expriment, d'une manière concrète et détaillée, telles et telles qualités particulières. De même, par la richesse d'une langue on entend l'abondance des expressions distinctes et des belles locutions qu'elle possède, sans avoir en vue cellesci ou celles-là; mais quand on parle des richesses d'une langue, la pensée se porte effectivement et spécialement sur ces expressions et ces locutions prises une à une,

On dit également, l'approche et les approches d'une chose, de la mort, par exemple. Mais l'approche signifie le fait abstrait d'approcher, et les approches dépeignent avec toutes ses circonstances l'action réelle d'approcher. Montaigne a bien rendu cette opposition dans les passages suivants : « La vieillesse est un signe indubitable de l'approche de la mort.» « Ce n'est pas l'instant et le point du passage, ce sont les apLa différence du singulier au pluriel revient proches de la mort que nous avons à craindre. » aussi parfois à la différence du permanent à l'ac- J. J. Rousseau n'a pas été moins précis. «< Un cidentel. L'infortune, le malheur, le chagrin sont chien, dit-il, bon et fidèle gardien, n'aboie qu'à des états; les infortunes, les malheurs, les cha- l'approche des voleurs.» «< Pourquoi la populace grins sont des accidents, des maux passagers, se repaît-elle avec tant d'avidité du spectacle d'un des contrariétés plus ou moins fortes. On est malheureux expirant sur la roue? C'est que chaplongé dans l'infortune, dans le malheur, dans le cun a une curiosité secrète d'étudier les mouvechagrin; on est exposé aux infortunes, aux mal-ments de la nature aux approches de ce moment heurs, aux chagrins.

D'autres fois, cette même différence se ramène à celle de l'abstrait et de l'idéal au concret et au réel. « La ruine, dit Roubaud, est la destruction de la chose; les ruines sont les débris de la chose détruite. Le détail, ou (comme on aurait dû dire pour lever toute équivoque) le détaillement est l'action de considérer, de prendre, de mettre la chose en petites parties et dans les moindres divisions les détails sont ces petites parties ou ces petites divisions, telles qu'elles sont dans l'objet même. Vous faites le détail et non les détails d'une histoire; vous en faites le détail en présentant les détails de la chose jusque dans ses plus petites particularités. Vous n'en faites pas les détails, parce qu'ils existent par eux-mêmes dans la chose, indépendamment de votre récit. Le détail est votre ouvrage; c'est votre récit détaillé. Les détails sont de la chose, ce sont les petits

redoutable que nul ne peut éviter. » Et encore ailleurs, d'une part : « Ayant passé une partie de l'hiver ici, il lui est bien dur d'en partir à l'approche du printemps. » D'autre part : « Il me serait dur de déloger dans cette saison, qui me fait déjà sentir aussi cruellement ses approches. » De même Bossuet: « Tout se ternit, tout s'efface; on commence à sentir l'approche du gouffre fatal. » Et d'un autre côté : « Il ne nous est pas possible d'émouvoir les pécheurs par les terribles approches du jugement futur dont Dieu les menace. » a Elle regarde sans se troubler toutes les approches de la mort. »

Le mot noce, au singulier, signifie quelque chose d'abstrait, un fait indépendamment de ses particularités et de sa durée à quand la noce? Le même mot, au pluriel, désigne quelque chose de concret, c'est-à-dire le même fait, mais tel qu'il se passe et qu'on le voit, mais dans tout son

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développement, dans toute son étendue, avec | payer les impôts, c'est actuellement livrer les toutes ses circonstances: les noces ont été magni- choses exigées par l'impôt. - L'impôt, la taille, fiques, elles ont dû coûter beaucoup, elles se la dime sont de droit, en théorie, en idée; les sont prolongées au delà de trois jours. Noces, impôts, les tailles, les dimes sont de fait. marquant seul de la durée, est seul propre à ex- Enfin, toutes les fois qu'il s'agit de noms généprimer le mariage et l'état qui le suit: épouser riques, le singulier leur imprime un caractère une personne, être marié, en premières ou en d'absolu et de nécessité, et, au contraire, le plusecondes noces. - Assister à la noce, être de noce riel un caractère de relation et de contingence. ou de la noce, sont des expressions qui ne s'adres. Le sage est un personnage idéal absolument parsent qu'à l'esprit : c'est être présent au mariage fait, le type de la sagesse; les sages sont des perde quelqu'un. Assister aux noces, célébrer des no- sonnages réels, plus ou moins parfaits, à qui il ces, sont du langage de l'imagination; ce sont des arrive d'approcher plus ou moins du type de la expressions qui représentent ou dépeignent, qui sagesse, Parmi les noms génériques quelques-uns indiquent la part qu'on prend aux réjouissances, ne se prennent jamais qu'au singulier. Or, ce sont aux fêtes, aux cérémonies religieuses, aux danses, précisément ceux qui signifient l'idéal et l'abaux divertissements, aux festins qui accompa- solu, c'est-à-dire quelque chose de un, d'immuagnent un mariage. — Il arrive quelquefois, quand ble et qui persévère toujours le même, comme le deux personnes s'épousent, qu'on supprime ou beau, le vrai, le bien, l'honnête. Quand nous qu'on renvoie, par des raisons de convenance, les disons, l'homme, nous désignons le genre en ciRoces, et non la noce. On assiste à une noce; on tant un seul des individus que nous érigeons en s'amuse à des noces, on y passe plusieurs jours: type, de manière à nous former du genre une on fait une noce; on célèbre des noces. - Noce ne idée simple, pure, indépendante de toute partis'emploie qu'en général, sans rien spécifier, pour cularité, qui ne comporte ni division ni excepmarquer le fait pur et simple. « M. d'Arles sera tion. Quand nous disons, les hommes, nous déside cette noce.» SEV. « Corbinelli est demeuré à gnons le genre en citant tous les individus, ou Paris pour être à la noce d'un fils de M. Man- plutôt nous n'avons pas l'idée d'un genre, mais dat. ID. Il y eut à cette noce plus d'amis que l'idée d'une collection d'individus que nous ne de parents. ID. Toutes les fois, au contraire, concevons pas comme uns. « J. J. Rousseau ne qu'on veut exposer et comme mettre sous les yeux connaissait pas l'homme en général, puisqu'il afles accidents, les faits élémentaires ou acces- firme que l'homme est né bon; il ne connaissait soires, les détails, le pluriel est de rigueur. « On pas non plus les hommes, les hommes considérés ne voit plus M. de Rochefort: c'est une belle individuellement, car il les croit tous méchants femme de moins dans les fêtes qui se font pour dès qu'ils ont alarmé son orgueil. » LAH. « Après les grandes noces. » SÉV. « Tout se préparait pour avoir étudié l'homme toute ma vie, j'avais cru les noces. » FÉN. « Un domestique chargé du soin connaître les hommes; je m'étais trompé. » J. J. des noces. LABR. Le jour de ses noces; la pre- « Il faut que la femme étudie à fond l'esprit de mière nuit de ses noces; aux noces de Thétis et de l'homme, non par abstraction l'esprit de l'homme Pélée; les noces de Cana; les noces de Gamache. en général, mais l'esprit des hommes qui l'entouImpôt, taille, dime, au singulier, signifient rent, l'esprit des hommes auxquels elle est asquelque chose d'idéal, et s'emploient dans l'ordre sujettie. » ID. « Si la connaissance générale de des idées; au pluriel, ces mêmes mots expriment l'homme est nécessaire à l'orateur pour savoir exquelque chose de réel, et se disent dans l'ordre des citer les passions qui conduisent la multitude, le faits. Un publiciste traitera de la répartition de négociateur doit avoir la connaissance particuFimpôt, fera la théorie de l'impôt, à priori, in-lière des hommes, pour déterminer les motifs sedépendamment de ce qui arrive ou est arrivé; mais dans une statistique où on rend compte de ce qui a eu lieu, on fait le relevé des impôts. On établit l'impôt, la taille, la dîme; on lève les impôts, les tailles, les dimes. La chambre des dé putės règle l'impôt, et le gouvernement a des receveurs pour percevoir les impôts. L'Etat exige Fimpôt, a besoin de l'impôt pour subsister: les sujets payent les impôts à l'État. « Il fut ordonné à tous ceux qui tenaient les biens ecclésiastiques de payer la dime. » MONTESQ. « On peut voir, dans les dispositions ajoutées à la loi des Lomtards, la difficulté qu'il y eut à faire recevoir les dimes par les lois civiles. » ID. — L'impôt, la taille, la dime sont quelque chose d'abstrait, une obligation on y est soumis ou on en est exempt; les impôts, les tailles, les dîmes sont quelque chose de concret, c'est-à-dire les choses effectivement données en conséquence de ce devoir : les employés d'un gouvernement vivent des impôts, des tailles ou des dîmes. — Payer l'impôt, c'est être dans le cas de ceux sur qui pèse cette charge:

crets qui les déterminent, et pour les amener à son but. » D'AL. » « Pour connaître l'homme, il suffit de s'étudier soi-même; pour connaître les hommes, il faut les pratiquer.» DUCL. « La philosophie suppose la connaissance de l'homme, et toute peinture de mœurs ou de caractère la connaissance des hommes.

Beauzée a parfaitement établi cette distinction, concernant l'emploi du singulier et du pluriel, du moins par rapport aux propositions universelles, c'est-à-dire à celles où l'on se sert de noms génériques. « Il est constant, dit-il, qu'un écrivain attentif ne dira pas indifféremment; l'homme est raisonnable, ou, les hommes sont raisonnables. Quand il s'agit de l'universalité des individus, je crois que le singulier de l'article est plus propre à en marquer la totalité physique sans exception, parce qu'il en fait naturellement naître l'idée par celle de l'unité. Le pluriel, au contraire, est plus propre à désigner l'universalité morale, parce que ce nombre avertit naturellement du détail en montrant la pluralité; et que

le détail n'étant nécessaire que quand l'unifor- | culin toujours plus particulier. Les noms, auxmité manque, le pluriel indique, par une conséquels convient le premier genre, renferment quence assez analogue, que l'universalité n'est dans leur signification quelque chose de plus pas si entière qu'il ne puisse y avoir des exceptions. Ainsi, il faut dire, l'homme est raisonnable, pour faire entendre que la faculté de raisonner, qui est en effet de l'ordre des choses nécessaires, appartient à toute l'espèce humaine et en est un attribut essentiel. C'est comme si l'on disait l'animal homme est un animal raisonnable, exclusivement à toute autre espèce du même genre. Mais on doit dire, les hommes sont raisonnables, si l'on veut parler d'un bon usage de la raison, parce que cet attribut est en matière contingente, et que, dans le détail des individus, plusieurs se trouveraient exceptés de l'universalité. Par la même raişon, il y a de la différence entre ces deux phrases: l'homme est mortel, les hommes sont mortels. La première annonce la certitude infaillible de la mort; et c'est une vé- | rité que l'on peut prendre comme principe dans un sermon ou dans un traité de morale. La seconde annonce l'incertitude du moment et de la manière de la mort; les uns mourant plus tôt, les autres plus tard; ceux-ci subitement, ceux-là par une maladie longue : c'est une vérité d'où l'on peut partir dans les traités, pour s'autoriser à prendre dans le moment même les précautions convenables. >>

Ainsi, en résumé, de deux substantifs synonymes qui ne diffèrent que par le nombre, celui qui est au singulier marquera l'unité, l'être, le permanent, le complet, l'idéal, l'abstrait, l'absolu, le nécessaire; tandis que celui qui est au pluriel exprimera la variété, le phénoménal, l'accidentel, l'incomplet, le réel, le concret, le relatif et le contingent.

SYNONYMIE DES SUBSTANTIFS QUI DIFFERENT
UNIQUEMENT PAR LE GENRE.

Amours (f.), amour (m.). Foudre (f.), foudre (m.).
Aigle (f.), aigle (m.). Voile (f.), voile (m.).
OEuvre (f.), œuvre (m.). Couple (f.), couple
(m.). Pointe et point du jour. Taxe et taux.
Graine et grain. Ravine et ravin. Montagne et

mont. Etc.

Tout le monde sait que le langage transporte aux choses inanimées un caractère emprunté du règne animal. Il fait considérer les unes comme des femelles, les autres comme des måles, en appelant, par exemple, certaine semence une graine, certaine autre un grain, certain amas de pierre une montagne, certain autre un mont, certaine excavation une fosse, certaine autre un fossé. Cette distinction peut sembler étrange; mais elle est utile, ne fût-ce que parce qu'elle sert à marquer entre les noms les plus semblables, quant à la forme et au sens, une difference assez considérable. En signalant cette différence entre les substantifs synonymes à radicaux communs et à terminaisons peu ou point significatives, nous ferons connaître la raison générale qui a guidé le sens commun dans l'imposition de l'un ou de l'autre genre à tels ou tels substantifs.

Le féminin est toujours plus général, le mas

étendu, de plus vague, et de plus indéterminé que leurs synonymes du genre masculin. Et ceuxci ont un sens précis et spécial: ils expriment les mêmes choses, mais les font considérer comme ayant des bornes, une destination ou une forme particulière, qui les sépare de tout ce qui n'est pas elles, quelque chose enfin qui leur donne une existence distincte. Dans celui des deux termes synonymes qui est au féminin, la chose apparaît comme un tout ou un genre, dont le substantif masculin n'exprime qu'une partie ou une espèce, mais bien caractérisée, ou, comme une substance, une matière, une étoffe sans forme et sans destination précise, qui en reçoit une dans le substantif masculin: c'est ainsi que la barre devient le barreau, la terre le terrain et le terroir, la pâte le pâté, etc. Le mot orge est féminin, quand on ne spécifie pas de quel orge il s'agit, et masculin dans les expressions, orge monde, orge perlé, orge moulu (Boss.), orge mondé et pilé (ROLL.); vivre d'orge grossièrement pilé et à demi-cuit sous la cendre. (MARM.) Le pendule est dans la pendule une partie seulement. Les mots aide, enseigne, garde, sentinelle, manouvre, pris au féminin, désignent des abstractions, des actions vagues. Au masculin, ces mêmes mots signifient des hommes qui ont tel emploi, qui font ces actions par état; ils deviennent plus précis en donnant à l'idée une forme concrète.

Le substantif féminin est donc l'expression mère; il signifie le genre, et le substantif masculin l'espèce. Voilà pourquoi, dans les synonymes de cette sorte, le masculin peut toujours se définir par le féminin, mais non pas réciproquement. Le barreau est une espèce de barre, le pâté une espèce de pâte, le terrain une espèce de terre, le limaçon une espèce de limace; mais non pas, la barre une espèce de barreau, la pâte une espèce de pâté, la terre une espèce de terrain, la limace une espèce de limaçon. Si le masculin se définit par le féminin, c'est qu'il exprime la même chose que lui, plus certaines qualités ou circonstances qui le déterminent ou le spécialisent. Que si le féminin ne peut à son tour se définir par le masculin, c'est qu'en effet il ne réunit pas ces qualités ou, ces circonstances qui appartiennent en propre au masculin, qui le déterminent et le spécialisent.

Rien de plus facile à justifier que cette règle. Dans chaque espèce animale, la femelle contient et produit le mâle, comme dans le langage le féminin comprend le masculin. De son côté, le mâle se distingue par son individualité; les caractères de l'espèce ne brillent qu'en lui, ou brillent en lui beaucoup plus que dans la femelle. C'est la femelle, plus certaines qualités que le mâle possède seul, comme la beauté du chant, la vivacité des couleurs, les cornes, la force, etc.

Cette même règle va recevoir des faits une justification plus éclatante encore. Nous la verrons d'abord appliquée aux substantifs qui ont la même terminaison au masculin qu'au féminin.

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