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ment et en sage, aveuglément et en aveugle, et | phénoménalité ou de la contingence. A celui qui ainsi des autres? se conduit sagement, aveuglément, sottement, arrive de se conduire ainsi; c'est un fait, quelque chose d'accidentel et de passager celui qui se conduit en sage, en aveugle, en sot, est un sage, un aveugle, un sot; c'est en lui une qualité portée au plus haut point et permanente. « Ce médecin suivait en aveugle les règles des anciens. » LES. « Catinat reçut cette mortification en philosophe, et fit admirer sa modération et sa vertu. >> S. S.

Donc enfin ce qui distingue dans tous les cas la phrase adverbiale substantive-qualificative, c'est la plénitude et la constance de la qualité qu'elle représente comme possédée par le sujet.

SYNONYMIE DES EXPRESSIONS QUI NE Diffèrent

QUE PAR L'ORDRE DES MOTS.

Savant homme, homme savant. Habile ouvrier,

ouvrier habile. Véritable ami, ami véritable. Tendres regards, regards tendres. Etc. Maltraiter, traiter mal. Mal parler, parler mal. Mal interpréter, interpréter mal. Mal mener mener mal. Bien ou mal faire, faire bien ou mal. Surveiller, veiller sur.

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Il est à remarquer d'abord que l'adverbe, quoiqu'il soit de la même famille que le substantif de la phrase adverbiale, a passé par l'adjectif dont il a dû prendre les nuances. Cela est évident pour les adverbes héroïquement, philosophiquement, fraternellement, amicalement, comparés aux substantifs des phrases adverbiales, en héros, en philosophe, en frère, en ami. Quelquefois, il est vrai, et l'adverbe et le substantif paraissent venir ou plutôt viennent réellement de l'adjectif qui leur correspond. Exemples: Sagement, en sage; saintement, en saint; aveuglément, en aveugle; lâchement, en lâche. Alors, comme toujours, il y a dans la signification de l'adverbe quelque chose qui rappelle son origine; ce qui n'a pas lieu pour le substantif. En général, l'adverbe n'existe pas par lui-même, mais en rapport nécessaire avec l'adjectif dont toujours il dérive. Il n'en est pas de même du substantif, partie du discours de sa nature indépendante. De là il suit que l'adverbe n'a pas la même plénitude de signification que la locution adverbiale, parce qu'il a subi l'influence ordinairement atténuative de l'adjectif. En héros, en sage, en sot, signifient, comme le héros, le sage, le sot, comme le type accompli de l'hé- Dans certaines langues, l'adjectif occupe, par roïsme, de la sagesse, de la sottise, c'est-à-dire rapport au substantif, une place invariable. En héroïquement, sagement, sottement, d'une ma-allemand et en anglais, par exemple, il se met nière pleine et absolue. Mais héroïquement, sage-toujours avant. Il n'en est pas de même en franment, sottement reviennent à, d'une manière qui cais : des adjectifs y précèdent constamment les tient de l'héroïsme, de la sagesse, de la sottise, noms qu'ils qualifient, tandis que d'autres, et ce qui y a rapport, qui en donne simplement l'idée. sont les plus nombreux, doivent les suivre dans Se conduire cavalièrement, c'est se conduire d'une tous les cas. Ainsi nous disons: habile avocat, manière cavalière, qui tient du cavalier, lequel cher ami, bonne personne, hautes pensées, dure est quelquefois, et sous certains rapports, brusque nécessité, etc.; d'un autre côté, lettre anonyme, et hautain: c'est là, en effet, le sens de l'adjectif. habit rouge, zone torride, homme altier, intréEn cavalier suggère l'idée du cavalier tout entier, pide, inébranlable, absurde; affaire grave, lieu telle qu'elle est exprimée par le substantif, et charmant. Auxquels convient-il d'accorder la prenon une idée partielle, relative, approximative, mière place et auxquels la seconde? Il faut concomme celle que désigne l'adjectif. Ainsi, le sens sulter, pour le savoir, l'usage, l'oreille et les de l'adverbe correspond exactement à celui de dictionnaires; ceux-ci, quand ils sont bien faits et l'adjectif qui l'engendre, et de plus, comme l'ad-remplis d'exemples choisis avec discernement, jectif a la propriété de se placer avant le substan-peuvent fournir sur ce point d'utiles instructions. tif, l'adverbe, en cela différent de la phrase adverbiale, a celle de se placer avant le verbe, ce qui modifie et l'adjectif et l'adverbe de telle sorte qu'ils deviennent des expressions plus indéterminées, plus éloignées de la signification native et rigoureuse, expressions qu'on emploie sans conséquence et sans en bien peser la valeur '.

D'autre part, il importe de considérer dans l'adverbe un des caractères qu'il tient de son rapport avec le verbe, c'est-à-dire, non pas celui de la subjectivité dont il ne peut être question ici, puisqu'il lui est commun avec la phrase adverbiale substantive-qualificative, mais celui de la

4. La phrase adverbiale substantive ressemble sous ce rapport à la phrase adverbiale substantivequalificative. La locution avec sagesse, par exemple, diffère aussi de sagement par la rigueur et la précision avec lesquelles elle rappelle l'idée radicale. Mais la locution en sage, outre qu'elle est subjective, ce qui la distingue déjà d'avec sagesse, exprime la qualité dans le sujet, non pas seulement à la rigueur, mais pleinement. Se conduire sagement, c'est

Mais, outre ces adjectifs qui n'ont qu'une place déterminée, les uns avant, les autres après leurs substantifs, il en existe dans notre langue toute une classe qui ont le privilége de se mettre tantôt avant, tantôt après. Nous disons également : suvant homme, homme savant; habile ouvrier, ouvrier habile; véritable ami, ami véritable; tendres regards, regards tendres; suprême intelligence, intelligence suprême; profond savoir, savoir profond; malheureuse affaire, affaire malheureuse; magnifique appartement, appartement magnifique; absurde système, système absurde; accablante nouvelle, nouvelle, accablante; d'arse conduire d'une manière sage, d'une manière qui tient de la sagesse; se conduire avec sagesse et en sage, c'est faire preuve d'une véritable sagesse. Toutefois avec sagesse fait considérer cette qualité dans les effets, dans les œuvres, et en sage la représente dans l'agent; ensuite, si en sage ne reproduit pas mieux, avec plus de force, l'idée de sagesse, il la reproduit à un plus haut degré, il l'exprime dans le sujet comme étant parfaite, accomplie.

et d'un substantif, encore bien distingués l'un de l'autre, tels que petit-maître, gentilhomme, sagefemme, si ce n'est parce que la position des adjectifs les rendait caractéristiques et singulièrement propres à faire corps avec le substantif? Et n'est-ce pas à cause de l'union intime établie par la seule position de l'adjectif entre lui et le substantif, qu'on se permet de les envisager et de les traiter comme une seule expression complexe en les faisant précéder ou suivre d'un nouvel adjectif: parfait honnête homme (RAC.); l'honneur qu'on nous rend pour de véritables actions vertueuses (Boss.); le vrai honnéte homme (LA ROCH.); ce pauvre honnête homme, infortuné grand homme (VOLT.); ce grand homme sec, un savant homme aimable? Au contraire, la science de l'homme savant ne lui est qu'ajoutée; c'est une qualité particulière qui s'en détache aisément, et qui n'indique pas l'idée principale et prédominante qu'on se fait de lui.

dents désirs, des désirs ardents; céleste bonté, | sont formés tant de mots composés d'un adjectif bonté céleste, etc. Or, la position de ces adjectifs devant ou après les substantifs importe si fort, qu'elle produit quelquefois deux sens, deux locutions tout à fait différentes, comme grosse femme et femme grosse, grand homme et homme grand, unique tableauet tableau unique; c'est naturellement aux dictionnaires à signaler ces variations considérables dans la valeur des termes suivant leur place respective. Mais d'autres fois, comme on a pu déjà le remarquer par les exemples, homme savant, savant homme; habile ouvrier, ourrier habile, etc., la manière de placer l'adjectif parait indifférente, tant est légère et peu apparente la modification qu'elle apporte dans l'idée concurremment exprimée par l'adjectif et par le nom auquel il est joint. C'est alors aux synonymistes à indiquer en quoi consiste cette modification, à la faire sentir, à la mettre en lumière, et à établir une règle générale qui guide sûrement dans le choix du rang qu'il convient de donner à l'adjectif dans telle ou telle circonstance. C'est ce que nous allons essayer de faire en nous aidant des observations de Roubaud.

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Si, dans le courant d'un discours, je veux caractériser d'un seul mot Démosthène, je l'appelle un éloquent orateur; je l'appellerai orateur éloquent, si mon dessein est de détailler ses qualités particulières, si son éloquence est l'une des faces sous lesquelles je le présente successivement. On est habile homme en général, absolument, sous tous les rapports. On dit que le président de Novion est habile homme. » FÉN. « Aristote fut le premier philosophe de son temps et le plus habile homme qui ait jamais été. » ROLL. Dans l'occasion on agit en homme habile. « Octave se conduisit avec Cicéron en homme habile: il le flatta, le loua, le consulta. >> MONTESQ. «< Molière se conduisit en homme habile (pour faire jouer avec succès le Misanthrope). » LAH.

En mettant l'adjectif avant le substantif, nous les unissons si étroitement, qu'ils s'identifient en quelque sorte et deviennent comme inséparables, la chose ne se concevant plus sans sa qualité. Dans le savant homme, vous considérez surtout et vous présentez l'homme comme savant; sa science fait corps avec lui, fait partie de sa substance. Au contraire, l'adjectif postposé n'est jamais au sub- d'un ouvrage que c'est un excellent ouvrage, Dites d'un homme que c'est un savant homme, stantif que comme l'accident à l'égard de la sub-d'un chrétien que c'est un parfait chrétien, vous stance; son idée n'est que secondaire, indicative. n'avez plus rien à ajouter, et en effet on ajoute Dans l'homme savant, vous remarquez et faites remarquer la science comme un fait, et non rarement d'autres qualifications à celles-là, parce comme une qualité inhérente à sa personne. Le qu'on a déjà fait connaître du sujet sa qualité es

savant homme est constitué savant, l'homme satant est reconnu savant; un savant homme est un savant, un homme savant n'est que savant.

Lorsque les consuls romains avaient eu des succès, leurs soldats les saluaient empereurs; et si le sénat leur confirmait ce titre, ils pouvaient se flatter d'obtenir le triomphe. Mais dès qu'ils avaient triomphé, ils perdaient le titre d'empereur ainsi que le commandement. Or ce titre, qui n'était que passager dans les consuls, devint perpétuel dans César, et on y ajouta, pour prérogative, qu'il disposerait de toutes les armées avec un pouvoir absolu. Pour étendre ainsi la signification du mot, on le mit devant et non plus après le nom du prince, et on dit: Imperator C. J. Cæsar, au lieu de dire, comme on avait fait jusqu'alors, C. J. Cæsar imperator (COND.).

sentielle et fondamentale. Mais on dira bien, c'est un homme savant, généreux, poli: c'est un ouvrage excellent, profond, lumineux : c'est un chrétien parfait, tolérant, sociable, instruit.

2° L'adjectif préposé exprime une qualification déjà établie, connue, incontestée ; il est analytique. Postposé, il exprime une qualification nouvelle, une union d'idées faite à l'instant même; il est synthétique.

Les connaissances que nous possédons et les jugements que nous portons sont de deux sortes, les uns analytiques, les autres synthétiques, les uns par lesquels nous développons ce que nous savons, nous tirons d'un concept ce qui y est contenu, les autres par lesquels nous ajoutons à ce que nous savons ce que nous apprenons; ou bien, en considérant la chose, non pas relativement à

La science du savant homme tient à lui, est incorporée à lui, parce que, dans le langage, l'ad-nous, mais relativement à ceux à qui nous parjectif savant, placé avant homme, se fond avec lui et devient partie de lui-même; ce n'est plus qu'in seul mot composé. En effet, comment se

lons, les uns par lesquels nous énonçons ce qui est su ou connu, nous nous exprimons en gens qui savent, s'adressant à des gens qui sayent, et

quable.

les autres par lesquels nous énonçons quelque | sèque; ici, elle est extrinsèque et plus remarchose d'intellectuellement nouveau que nous faisons savoir ou connaître, nous nous exprimons en gens qui viennent d'apprendre, s'adressant à des gens qui ignorent. Or, la locution composée d'un adjectif qui précède et d'un substantif qui suit, convient particulièrement dans les propositions analytiques, au lieu que la même locution, ses termes étant intervertis, s'emploie mieux dans les propositions synthétiques. Un passage de Roubaud que nous nous bornons à citer peut servir ici d'éclaircissement et de justification.

<< Lorsque vous dites un savant homme, vous supposez que cet homme est savant; et lorsque vous dites un homme savant, vous assurez qu'il l'est. Dans le premier cas, vous lui donnez la qualification par laquelle il est distingué; dans le second, celle par laquelle vous voulez le faire distinguer. Là, sa science est hors de doute; ici, vous voulez la faire connaître.

« Si un homme est renommé par sa science, ou si vous venez de parler de sa science éminente, vous direz plutôt ce savant homme; sinon, vous direz plutôt cet homme savant ou qui est savant. Après que vous avez parlé des émotions qu'une mère éprouve à la vue de son enfant, vous direz ses tendres regards plutôt que ses regards tendres: les regards d'une mère émue sont nécessairement tendres, et c'est ce que vous exprimez par de tendres regards; mais lorsque la qualité des regards n'est point déterminée, vous la distinguez en mettant après le sujet l'épithète de tendres. Vous allez raconter une affaire malheureuse; et, après le récit, vous dites, voilà une malheureuse affaire. Dans la première position, le substantif précède l'adjectif par la raison qu'il est naturel que le sujet soit annoncé avant sa qualité, le principal avant l'accessoire; l'esprit reste d'abord en suspens sur la nature de l'affaire dans la seconde position, l'adjectif précède le substantif, parce que l'esprit est déjà instruit et décidé sur la nature de l'objet et que les deux idées sont déjà indissolublement liées ensemble; et que si la qualification suivait le sujet, elle paraîtrait oiseuse et lâche, à moins que vous n'y ajoutassiez une modification, voilà, par exemple, une affaire bien malheureuse, ce qui présenterait une idée nouvelle d'estimation. >>

3o L'adjectif préposé qualifie d'une manière pleine, entière, accomplie, et, postposé, d'une manière vive et saillante.

Un excellent fruit est parfait; un fruit excellent produit une sensation plus douce. Un tendre regard est un regard tel que ceux qu'on appelle ordinairement de ce nom; un regard tendre flatte davantage, parce qu'il est spécialement tendre. Il y a bien plus de force dans un combat sanglant que dans un sanglant combat, la dernière expression ne réveillant qu'une idée commune sans rien mettre de particulier sous les yeux. De même, horrible aspect, affreux séjour, triste accident, malheureuse aventure, fâcheuse affaire vous font distinguer l'espèce d'aspect, de séjour, etc., car il y a des aspects attrayants, des séjours agréables; mais ce sont là des locutions toutes faites dont on se sert sans conséquence; et en disant un aspect horrible, un séjour affreux, vous appuyez, bon grẻ, mal gré, sur le dernier mot, dont l'idée vous émeut davantage: c'est un aspect particulièrement horrible, un séjour particulièrement affreux. Un cruel homme est un homme ennuyeux, importun; un homme cruel est un homme inhumain, insensible, qui aime à faire ou à voir souffrir.

La raison de cette règle réside dans une règle plus générale : c'est que, dans les substantifs composés, le premier mot perd de sa force et s'efface en partie. En allemand, avec les deux mots Oel, huile, et Baum, arbre, on forme deux substantifs composés, l'un signifiant huile d'olive, Baumöl, et l'autre olivier, Oelbaum. Un étranger a peine à se rappeler lequel des deux exprime l'arbre, et lequel le fruit; une simple observation peut le tirer d'embarras celui-là exprime le fruit, dans lequel le fruit est indiqué le dernier, Baumöl; et celui-là l'arbre, dans lequel le mot arbre se montre en dernier lieu, Oelbaum. Quant à la première partie du mot complexe, elle reste, pour ainsi dire, dans l'ombre. De même dans nos mots composés, venus du grec, philosophe, logomachie, et dans ceux qui sont tout français, petit-maître, sage-femme, c'est le dernier élément qui attire principalement l'attention.

4° Avant le substantif, l'adject qualifie d'une manière absolue; après, d'une manière relative.

A vrai dire, l'adjectif précédant le substantif ne jouit de cette plénitude de signification, qui le

1. Les participes passés pris adjectivement se mettent toujours après le substantif: enfant chéri, En donnant le premier rang à l'adjectif, nous juge éclairé, censeur instruit, prophète inspiré. C'est le fordons, pour ainsi dire, avec le substantif, si qu'il est de leur nature (voy. p. 36) d'exprimer bien que la qualité devient substantielle, et, pour une qualité survenue, acquise, résultant d'une modilui ôter toute idée d'accidence, nous ne lui lais-fication accidentelle, qualité saillante et qui attire particulièrement l'attention. sons, non plus qu'à la substance, aucune détermination, soit quant à l'étendue, soit quant au degré. En terminant par lui, nous le mettons plus en relief, nous le rendons plus frappant, plus saisissant. Là, la qualité est achevée, portée au comble, on ne peut plus rien y ajouter; ici, comme la dernière impression est toujours la plus forte, la qualité produit souvent plus d'effet, est plus expressive et se fait plus vivement sentir. Là, elle est entière, mais en quelque sorte intrin

« M. le Prince, dit Voltaire, est toujours appelé le grand Condé.... Si on l'avait nommé Condé le grand, ce titre ne lui fût pas demeuré. » Le grand, mis après le substantif, eût trop fait saillir la qualité exprimée par ce mot. C'est à cause de cela qu'on ne permet cette disposition du mot qu'à l'égard des rois : culiers tout ce qu'on peut accorder, c'est de dire le Louis le Grand, Alexandre le Grand. Pour les partigrand un tel. « On a dit le grand Condé, le grand Colbert, le grand Corneille, comme on a dit Louis le Grand.» MARM.

chose d'idéal, car ces caractères ne conviennent à aucune qualité réelle. Les exemples confirment pleinement cette conclusion.

Dans un seul homme, un unique tableau, seul et unique sont abstraits et purement numériques; on les oppose à plusieurs. « Un homme inégal n'est pas un seul homme, ce sont plusieurs. » LABR. « Un seul homme suffit pour peupler toute la terre. » Boss. «L'homme orgueilleux qui a tant de possessions, ne peut plus se compter pour un seul homme. » ID. Dans un homme seul, un tableau unique, seul et unique prennent une valeur plus concrète et plus réelle. D'une part, un homme seul est un homme isolé, sans société, réduit à lui-même. « On trouve une grande utilité dans l'union; si l'un tombe, l'autre le soutient. Deux hommes reposés dans un même lieu se réchauffent mutuellement qu'y a-t-il de plus froid qu'un homme seul? » Boss. « Qu'un homme seul, sans livre et sans aucun secours des lumières communiquées, parvienne à devenir de

assertion ridicule à faire. » J. J. « Le renne se défend d'un loup seul. » BUFF. D'autre part, un tableau unique n'est pas comparable à d'autres, on n'en trouverait pas un qui le valût.

distingue, que parce qu'il se prend alors ab- | pas ne pas être abstrait, ne pas représenter quelque sclument, c'est-à-dire indépendamment de tout rapport particulier, abstraction faite de toute détermination, de toute spécification. C'est là ce qui le rend propre à exprimer la qualité constante, habituelle, à signifier que l'objet est tel ou tel de tout point; tandis que, placé après le substantif, il exprime la même qualité comme partielle, accidentelle, passagère. Différence tranchante et féconde, surtout quand les deux locutions ne se considerent pas sous le point de vue de la force, par rapport à l'effet que produit sur nous le sujet qualife. mais seulement par rapport à leur étendue. Le savant homme l'est absolument, a de grandes connaissances en tout genre; l'homme savant ne l'est que relativement à une science dans laquelle il est verse; et de là vient que cette locution est beaucoup plus propre que la précédente à recevoir des déterminations ultérieures homme savant en histoire, en mathématiques; ourrier habile dans la menuiserie, pour la confection de certains meubles; appartement ma-lui-même un très-médiocre botaniste, c'est une gnifique par l'ameublement, les ornements, les tentures. En un mot, le savant homme l'est substantivement en quelque sorte, il possède la science ou le savoir; et l'homme savant ne l'est qu'accidentellement, il a du savoir ou de la science. L'ouvrier habile a de l'habileté dans sa partis; l'habile ouvrier peut exécuter habilement tout ce qui se rapporte à son art, même trouver des perfectionnements, même concevoir des procédés nouveaux. Un appartement magnifique ne l'est qu'à certains égards: ou il ne l'est qu'aux yeux de celui qui le juge tel, ou il doit son éclat à des décorations faites spécialement pour une occasion; magnifique appartement donne l'idée d'embellissements plus durables, plus solides, plus essentiels, tenant plus à l'édifice même, à sa construction, à sa hauteur, à sa grandeur en tous sens. Un ami vous a rendu un service : vous dites qu'il s'est comporté comme un ami véritable. M. de Kaiserling s'est conduit avec le roi en serviteur vertueux et auprès du prince en ami véritable. » VOLT. Le véritable ami est tel absolument, et non relativement à un fait, à quelque chose d'effectif et de déterminé, qui ait eu lieu. Je fis en cette occasion au delà de ce qu'on pouvait attendre d'un véritable ami. » DELAF. Un sage philosophe est un sage ou tout près de l'être; un philosophe sage est encore loin de là, il travaille y parvenir. Un dévot personnage est un dévot de profession; un personnage dévot ne professe pas la dévotion, quoiqu'il la pratique. La grosseur d'une grosse femme s'étend à tout son corps et dure indéfiniment; la grosseur d'une femme grosse, c'est-à-dire enceinte, n'est que partielle et accidentelle. La chagrine vieillesse est le caractère commun de l'âge: un individu a une vieillesse chagrine.

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50 Avant le substantif, l'adjectif qualifie plutôt
d'une manière abstraite et en s'éloignant du sens
propre, après, il qualifie plutôt d'une manière
concrète et en restant plus près du sens primitif.
Si, placé avant le substantif, l'adjectif est signi-
ficatif de l'essence, analytique et absolu, il ne peut

Le véritable ami est une sorte de type ou d'idéal de l'amitié; un véritable ami s'y conforme. Un habile homme sait se tirer d'embarras, d'un mauvais pas, sait manier l'intrigue; un homme habile est plutôt un homme adroit, qui a de la dextérité, au propre. Un parfait imbécile, un parfait coquin se disent tous les jours; déplacez l'adjectif, c'est-à-dire, rendez-lui son sens propre, il y aura contradiction dans les termes.

Qu'on parcoure toutes les locutions différentes (et non pas les différentes locutions)' qui contiennent le même adjectif, mais placé ici avant, là après le substantif, on trouvera toujours à la locution où l'adjectif précède un caractère d'ab|straction et d'idéalité, une valeur plus éloignée de la valeur réelle et fondamentale. Un taureau furieux est en furie; un furieux taureau est d'une grandeur énorme. Dans pays plat se trouve l'idée première de platitude, d'infériorité physique : pays plat, pays de plaines, par opposition aux pays de montagnes. « Ordinairement je trouve à douter en ce que le commentaire n'a daigné toucher: je bronche plus volontiers en pays plat; comme certains chevaux que je connais, qui choppent plus souvent en chemin uni. » MONTAIGN. «Il se peut que les pays montagneux aient éprouvé par les volcans et les secousses de la terre autant de changements que les pays plats. » VOLT. Dans plat

1. Différentes ou diverses choses signifient simplement plusieurs choses. On trouve en plusieurs endroits des sources d'eaux chaudes, des agates et différentes pierres précieuses. BARTH. & Terpandre composa pour divers instruments des airs qui servirent de modèles. » ID. Des choses différentes ou diverses sont des choses bien distinctes ou éloignées les unes des autres, opposées ou même qui se combattent. Les dieux proposent des avis différents, et les soutiennent avec chaleur. » BARTH. « Les Néréïdes sont toutes distinguées par des agréments divers. » ID. « Des agitations diverses. » J. J.

pays se trouve l'idée d'une infériorité abstraite, d'une importance moindre: plat pays signifie la campagne, les villages, par oppositions aux villes. « Il est injuste que les riches, les grands, les nobles ne payent point, et les pauvres gens du plat pays payent tout. » CHARR. « Tout le plat pays était conquis, et Famagouste était la seule ville qui ne se fût pas rendue. » DELAF. « On ne savait alors ni fortifier les frontières ni faire la guerre dans le plat pays.» VOLT.

Vous n'avez pas l'air mauvais, je vous jure,
C'est mauvais air que vous avez.

Le comte de CHOISEUL.
Une épigramme méchante, des vers méchants
ne sont pas bons, sont pleins de méchanceté, en
laissant à ce mot toute sa force radicale; une mé-
chante épigramme et de méchants vers ne sont pas
bons en ce sens détourné et affaibli, qu'ils ne va-
lent rien, qu'ils ne sont pas bien faits. De même
dans l'homme méchant la méchanceté est plus
vive, plus énergique, plus cruelle que dans le mé-
| chant_homme, qui manque simplement de bonté
morale, qui fait ou a fait de mauvaises actions.
Un ministre citoyen a les qualités d'un bon
citoyen, est zélé pour les intérêts du pays; citoyen
ministre, formule dont on se servait du temps de
la république en s'adressant aux ministres, ne
laisse plus au mot citoyen qu'une signification
vague, réminiscence obscure et éloignée de la si-
gnification originelle. « Je vous ai prévenu, citoyen
ministre, et ministre citoyen, que.... » BEAUM.

Un homme plaisant plaît par des manières enjouées; un plaisant homme ne plaît pas du tout; c'est un homme bizarre, ridicule, singulier. L'homme grand est d'une grande taille; le grand homme a un grand mérite moral. L'homme honnête, conformément à l'idée primitive, a l'honnêteté des manières et des procédés; l'honnéte homme a celle des mœurs et de l'âme. L'homme malhonnête manque de politesse, est incivil, rude, blessant; le malhonnéte homme manque à la probité et à l'honneur: «< Que celui que j'ai pu offenser sans le vouloir dise de moi que je suis un homme malhonnête, j'y consens; mais qu'il ne dise pas que je suis un malhonnéte homme, car je jure que je le prendrai à partie, et le forcerai à prouver son dire, ou à se rétracter publiquement.» BEAUM. De même, l'homme galant est adonné à la galanterie; le galant homme a des mœurs et des procédés nobles et honnêtes: « L'homme galant se rapproche plus du petitmaître, de l'homme à bonnes fortunes; le galant homme tient plus de l'honnête homme. » VOLT. Un homme brave a de la bravoure; un brave homme a de la probité, des vertus, des qualités so-exprime la qualité absolument, sans déterminaciales.

«

|

« Glorieux parallèle renferme un sens ironique, que parallèle glorieux n'indiquerait pas. » D'AL. Enfin, dans les substantifs composés, beaufrère, beau-fils, grand-père, grand-oncle, francmaçon, sage-femme, que reste-t-il du sens primitif des adjectifs beau, grand, franc et sage?

6° Avant le substantif, l'adjectif qualifie plutôt d'une manière vague et indéterminée; après, d'une manière précise.

Ce vague et cette indétermination de la locution où l'adjectif précède tiennent à ce qu'elle

tion ni spécification quelconque; et, à son tour, Un ami vrai ne nous ment pas, ne nous cache pas cette indétermination explique pourquoi la même nos vérités, mais nous les découvre franchement : locution est toujours celle qui se prête aux ac« Un ami vrai, qui ose nous dire nos défauts, ceptions détournées. L'année dernière indique netest, disait Socrate, le plus grand présent des tement la dernière année qui vient de s'écouler; dieux. » COND. Un vrai ami nous aime vraiment la dernière année ne détermine pas par rapport à et prend au besoin nos intérêts : « Un vrai ami est quelle époque, à quelle période, à quelle série une chose avantageuse, même pour les plus grands d'années on doit l'entendre. De même, l'heure seigneurs, afin qu'il dise du bien d'eux, et qu'il dernière exprime toujours précisément le derles soutienne en leur absence même.» PASC. Un nier moment de la vie : « Un père de fahomme pauvre manque de biens; le pauvre mille, sentant approcher son heure dernière, homme inspire du mépris ou de la compassion. dispose de ses biens par son testament. » Boss. Lorsqu'on dit d'un homme, ce pauvre un tel, La dernière heure se dit d'une heure, qui n'est ce n'est jamais dans le sens d'esurientes implevit pas si déterminément dernière en quelque sorte, bonis, mais toujours dans celui de beati pauperes qui ne l'est que relativement à une période de spiritûs.» BEAUM. Linière voyant ensemble Cha- temps qu'il faut désigner: dans cette école on pelain et Patru, disait que le premier était un étudie trois heures de suite le soir: quand vient pauvre auteur, et le second un auteur pauvre. la dernière heure on s'occupe de telle chose. Si Une chose nouvelle est une chose nouvellement vous dites un père bon, je conçois un père qui a faite, arrivée, mise à la mode; une nouvelle chose de la bonté, de la douceur, de l'indulgence; si est une chose autre que celle qu'on tenait, dont on vous dites un bon père, je conçois un père qui s'occupait. Les termes propres conviennent, sont remplit tous les devoirs de la paternité, mais je appropriés à ce qu'on veut exprimer : vous répétez ne sais en quoi consiste précisément sa bonté, à les propres termes de quelqu'un, ou ses mêmes pardonner ou à châtier, pas plus que je ne sais termes. Voir commune, qui ne s'élève pas au- quel est le degré et l'espèce de grosseur de la dessus de l'ordinaire; commune voix, accord de grosse femme. Qu'on prononce les mots rue sale, toutes les voix, de tous les suffrages, unani-je comprends aussitôt qu'il s'agit d'une rue malmitė.

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propre, pleine d'ordures et d'immondices; sale

Air mauvais, air redoutable; mauvais air, vi- | rue n'indique pas quelle sorte de saleté on re

lain air.

Cléon, lorsque vous nous bravez,

En démontant votre figure,

proche à la rue dont il est question, et si on l'appelle ainsi parce qu'il s'y commet des actions déshonnêtes.

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