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Frondeurs. Le duc se rend secrètement à Paris, et, caché chez la princesse, il travaille à débrouiller l'écheveau avec elle'. Cette fois encore, ce n'est donc pas lui qui marche en tête et dirige; il est simplement à la suite, et à la suite d'une femme. Ses Mémoires nous exposent clairement les prétentions des divers mécontents. Les Frondeurs les plus avancés voulaient avant tout << la ruine entière du Cardinal, » à la place duquel Mme de Chevreuse, dont le prince de Conty devait épouser la fille, eût mis M. de Châteauneuf. Cette solution radicale n'était pas du goût de la Rochefoucauld, qui n'aimait pas à s'engager trop avant et craignait toujours de trancher dans le vif. Il empêche donc la ratification du traité, et entre directement en relation avec le Cardinal. Mazarin et lui ont plusieurs entrevues mystérieuses, qui sont racontées avec complaisance dans les Mémoires'. Quel rôle flatteur pour sa vanité! Voilà qu'il traite en personne avec Mazarin, de puissance à puissance, au nom de son parti. Tout se passe, il est vrai, dans l'ombre et sous le manteau; mais il estime que son personnage, aux yeux des autres et aux siens, n'en est pas moins singulièrement rehaussé. Au fond, bien qu'il se croie un frondeur, il n'est ici qu'un important attardé, dont le rôle rappelle encore le fameux je ne sais quoi du portrait peint par Retz.

Il y avait eu précédemment, à Bourg, près de Bordeaux, une entrevue, publique celle-là et officielle, entre Mazarin et les ducs de la Rochefoucauld et de Bouillon. Elle « se fit en sortant de Bordeaux après l'amnistie, » dit (p. 226) Gourville, qui la ménagea; « le jour de saint François (4 octobre), » ajoute (p. 413) Lenet, qui en fut témoin. C'est immédiatement avant, tandis qu'on se rendait en carrosse à la messe, que la Rochefoucauld avait fait au Cardinal la réponse de

1. Lenet parle même (p. 343, 345, 347, 416) d'un projet dont le duc s'occupa dans ce temps à plusieurs reprises, avec l'appui de la marquise de Sablé, et qui allait à marier son fils à une des nièces de Mazarin.

2. Mémoires, p. 219-226: voyez Mme de Motteville, tome III, p. 265 et suivantes. La permission de revenir à la cour ne lui fut expédiée que le 27 janvier 1651. Nous donnons à l'appendice 1 du tome III, p. 264, le texte de cette permission.

3. Voyez à l'endroit précité des Mémoires.

meurée célèbre : « Tout arrive en France. » Puis il avait regagné les ruines de Verteuil, le 6 octobre 1650. Ni Lenet, ni Gourville ne parlent dans leurs Mémoires du retour secret à Paris et de ces visites nocturnes, que Mme de Motteville elle-même (tome III, p. 266) dit ne tenir que de la bouche de la Rochefoucauld. Gourville a seulement cette phrase (p. 234): « Je m'en retournai à Paris (1651); et M. de la Rochefoucauld y étant revenu quelque temps avant la liberté de Monsieur le Prince, alla au-devant de lui jusqu'à sept ou huit lieues du Havre. >>

Toute cette diplomatie fut cependant en pure perte. Mazarin, qui sans doute présumait encore trop de ses propres forces, ne voulut point contracter d'engagement formel sur l'article fondamental, la liberté des Princes. Il se méfiait d'ailleurs de la franchise du négociateur. On lit dans les Mémoires de Lenet', qui, le soir de l'entrevue de Bourg dont nous venons de parler, eut un entretien particulier avec le Cardinal : « Il passa à me parler de la duchesse de Longueville et du duc de la Rochefoucauld, comme de gens dont il lui seroit malaisé d'avoir l'amitié, parce qu'ils n'en avoient, disoient-ils, que l'un pour l'autre. » Ainsi le duc se trouva rejeté forcément vers ceux des Frondeurs qu'il n'aimait point ou qu'il n'aimait plus, Châteauneuf, Retz, Mme de Chevreuse, auxquels le duc d'Orléans venait de se rallier. Quant à Mazarin, il paya cher cette défaillance de son habileté ordinaire : déclaré par le Parlement ennemi de l'État, il fut contraint de sortir, d'abord de Paris, puis du Royaume, abandonnant ainsi à elle-même la Reine régente. La Rochefoucauld fut chargé en personne de porter l'ordre de délivrance au Havre-de-Grâce: triomphe sans pareil, si le malicieux Cardinal ne l'en eût frustré au passage, en ouvrant lui-même aux Princes la porte de leur prison2.

1. Page 416.

2. Mémoires, p. 233-235. Voyez aussi le court résumé intitulé livre second, dans l'édition Michaud des Mémoires de Lenet (p. 521525); les Mémoires de Mme de Motteville, tome III, p. 305; et ciaprès, à l'appendice v, 5o (p. cvii), le texte de l'ordre, du 10 février 1651, envoyé « à M. de Bar pour lui dire de laisser parler à Messieurs les Princes les sieurs duc de la Rochefoucauld, président Viole et Arnaud. »

Le règne de Mazarin semblait donc à jamais fini, quand les Princes rentrèrent à Paris, le 16 février 1651, au milieu des acclamations de ce même peuple, qui, un an auparavant, avait fêté par des feux de joie leur arrestation. Si Condé avait été alors un habile politique, il eût profité du premier moment de surprise pour enlever toute autorité à la Régente, incapable de gouverner par elle-même. Mais, en ce cas, la direction des affaires revenait de droit «< au duc d'Orléans, qui étoit entre les mains des Frondeurs, dont Monsieur le Prince, dit la Rochefoucauld, ne vouloit pas dépendre1. » Condé préféra donc laisser à la Reine son titre et ses pouvoirs, croyant qu'il lui suffirait de maintenir son alliance avec Monsieur et les Frondeurs pour forcer la cour à compter avec lui. Certes, si cette union des Princes et de la Fronde eût duré, la cour aurait couru grand risque de ne jamais reprendre barres sur ses adversaires; mais, tandis que Mazarin, de sa retraite de Brühl, près de Cologne, continue de gouverner par messages la Reine et l'État, Condé trouve moyen de se fâcher avec tout le monde, et de rejeter les Frondeurs du côté de la Régente, en rompant, sans aucun égard, le mariage de Conty et de Mlle de Chevreuse 2, base principale du traité d'union. En vain, le duc de la Rochefoucauld, pour qui la faction et les factieux commençaient sans doute à perdre de leur attrait, s'ingénie, essaye de nouvelles combinaisons pour restaurer tant bien que mal les affaires de Condé auprès de la cour et du Cardinal: il acquiert la triste certitude qu'il s'est engagé, à la suite des Princes, dans une impasse véritable, d'où le point d'honneur lui défend de sortir à reculons. D'ailleurs cet arrangement, ce replâtrage, qu'il cherchait, Mme de Longueville n'en voulait point. La paix, c'était, pour elle, le retour en Normandie, près de ce mari dont elle avait peur, qui la rappelait avec des instances pleines de menaces. La guerre seule pouvait la sauver : elle résolut que de nouveau la guerre éclaterait.

1. Mémoires, p. 240.

2. Voyez les Mémoires de Retz, tome III, p. 296 et 297, et ceux de Mme de Motteville, tome III, p. 330 et 331.

3. Mémoires de Mme de Motteville, tome III, p. 391 et 445. Comparez ceux de Montglat, tome II, p. 304.

Nous voilà de plus en plus loin des débuts de l'illustre duchesse. Si la Rochefoucauld a donné le premier coup de fouet à cette nature audacieuse et remuante, il n'a pas gardé bride en main pour la retenir ou l'exciter à son gré; naguère, en 1650, quand il signait à Bourg son accommodement, la fière princesse demeurait à Stenay, inexpugnable; à présent, tandis que Monsieur le Prince lui-même hésite à jeter le gant une seconde fois, tandis que nous le voyons quitter, un moment, Paris pour se retirer à Saint-Maur, puis revenir anxieux de Saint-Maur à Paris, c'est sa sœur qui, prenant toute l'initiative, précipite les choses; c'est elle qui répète, envers et con tre tous, le cri forcené des Ligueurs dans la Satire Ménippée : Guerra! Guerra! Ni Bouillon, ni la Rochefoucauld, qui, selon le mot de Matha rapporté par Retz 1, «< faisoit tous les matins une brouillerie, et.... tous les soirs.... travailloit à un rabiennement (raccommodement), » ne sont à la hauteur de cette constance féminine, bien que le même Retz nous parle encore (juillet 1651) du« pouvoir absolu » que le duc avait sur l'esprit de Mme de Longueville. Les Mémoires de ce dernier contiennent, à cette occasion, un passage fort remarquable, rempli de philosophie et de vérité, et où plus d'une maxime se trouve en germe. Bouillon et lui, nous dit-il, <<< venoient d'éprouver à combien de peines et de difficultés insurmontables on s'expose pour soutenir une guerre civile contre la présence du Roi; ils savoient de quelle infidélité de ses amis on est menacé lorsque la cour y attache des récompenses et qu'elle fournit le prétexte de rentrer dans son devoir; ils connoissoient la foiblesse des Espagnols, combien vaines et trompeuses sont leurs promesses, et que leur vrai intérêt n'étoit pas que Monsieur le Prince ou le Cardinal se rendît maître des affaires, mais seulement de fomenter le désordre entre eux pour se prévaloir de nos divisions3. » Pour un homme qui avait déjà traité avec l'Espagne, et qui devait bientôt se rendre coupable de récidive, c'était montrer beaucoup de sagesse dans le raisonnement pour en mettre ensuite bien peu dans les actes: l'histoire est pleine de ces contradictions.

1. Mémoires de Retz, tome III, p. 361.

2. Ibidem, p. 360.

3. Mémoires, p. 259 et 260.

LA ROCHEFOUCAULD. 1

1

Cependant les deux partis, celui des Princes et celui de la Régente, à la tête duquel s'était mis Retz, désormais nanti du chapeau, se heurtaient, en toute rencontre, avec une aigreur et un fracas précurseurs de la guerre. Peu s'en fallut que la grande salle du Parlement ne devînt le premier champ de bataille. C'est dans une de ces séances orageuses 1 que le duc de la Rochefoucauld prit traîtreusement la tête de Retz dans une porte et le maintint dans cette position critique, donnant ainsi à ceux qui l'entouraient le loisir de tuer le prélat, pour peu qu'ils en fussent tentés. La Rochefoucauld rapporte lui-même le fait dans ses Mémoires avec ce calme froid qui rend l'aveu d'une violence plus odieux peut-être que la violence même1. Passons vite sur de tels actes qui nous paraissent aujourd'hui indignes d'un gentilhomme, mais que nous retrouvons fréquemment dans les anciennes histoires de nos troubles civils3.

On ne racontera pas ici par le menu les incidents de cette troisième guerre intestine qui éclata, en 1652, par l'énergie de Mme de Longueville, au moment même où chacun, suivant l'expression de notre auteur, se repentait « d'avoir porté les choses au point où elles étoient*, » et en voyait clairement l'horreur. La Rochefoucauld, retiré de nouveau en Guyenne avec les Condés, recommence, mais avec peu d'enthousiasme cette fois, une vie d'aventures sans éclat où devaient s'éteindre ses dernières illusions. Il aide Monsieur le Prince, non sans courir de grands risques, à réprimer la révolte des bourgeois d'Agen, et se fait, avec lui, ouvrir successivement deux barricades. Puis il fait partie, avec son jeune fils Marcillac, de

1. Celle du 21 août 1651.

2. Mémoires, p. 283–288; comparez Mme de Motteville, tome III, p. 418-420, et surtout Retz, tomes III, p. 492-494, 500, et IV, p. 283, 284.

3. Voyez aussi, dans les Mémoires, p. 198 et 199, l'histoire du pauvre gentilhomme Canolles, pendu à Bordeaux, par ordre de la Rochefoucauld et de Bouillon.

4. Mémoires, p. 298.

5. Ibidem, p. 341–343; Mémoires de Gourville, p. 254. — Voyez ci-après, à l'appendice v, 6o (p. cvm), l'indication de pièces relatives ux mesures prises contre notre duc durant cette nouvelle révolte.

Il est curieux de voir un État de la France (Paris, G. Loyson)

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