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avait de soudaines échappées de langue, comme il arrive souvent aux jeunes gens, qui ne cessent d'être trop timides que pour devenir trop hardis. Il parla, au retour, des fautes militaires commises en Flandre, avec une liberté qui déplut à Richelieu, et il enveloppa dans sa disgrâce plus d'un de ses camarades, compromis par ses propos. Il prétend toutefois dans ses Mémoires1 que la vraie cause de cette disgrâce fut la jalousie du Roi et «<le plaisir qu'il sentit de faire dépit à la Reine et à Mlle de Hautefort en l'éloignant » d'elles toujours est-il qu'il reçut l'ordre de rejoindre son père dans ses maisons. Il n'en sortit que pour retourner à l'armée, sans s'arrêter à Paris ou du moins sans séjourner à la cour.

L'événement le plus grave pour lui qui marqua ce temps d'exil, d'éloignement de la cour, ce fut la liaison qu'il forma avec la belle duchesse de Chevreuse, alors reléguée à Tours, et qui, nous dit-il3, souhaita de le voir sur la « bonne opinion que la Reine lui avait donnée de sa personne; on verra plus loin quelles furent les suites de cet engagement.

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La disgrâce de son père ayant cessé tout à coup, après que le refus d'entrer dans le parti de Monsieur, refus, dit Montrésor dans ses Mémoires (p. 210), imputable plutôt à la faiblesse qu'à un principe d'honneur, lui eut reconquis enfin les bonnes grâces du Cardinal, Marcillac revint à la cour (1637), au moment même où Anne d'Autriche était soupçonnée, non sans raison, d'entretenir, ainsi que Mme de Chevreuse, des intelligences avec l'Espagne. Louis XIII, excité par Richelieu, parlait hautement de la répudier et de l'enfermer au Havre. C'est alors, si l'on en croit la Rochefoucauld, que la Reine lui proposa de l'enlever avec Mlle de Hautefort et de les conduire à Bruxelles. On a quelque peine à imaginer une reine de France courant ainsi les chemins, avec une jeune fille, sous la conduite d'un galant gentilhomme de vingt-quatre ans. Cette

du 3 juillet 1635; les Mémoires de Mathieu Molé, tome I, p. 298, note 3; et Bazin, Histoire de France sous Louis XIII et sous le ministère du cardinal Mazarin, tome II, p. 370.

1. Pages 23 et 24.

2. Elle demeura en Touraine de 1633 à 1637: voyez Madame de Chevreuse, p. 119 et 120.

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proposition n'était-elle, comme le veut croire V. Cousin, qu'une plaisanterie mal à propos prise au sérieux par la Rochefoucauld, et que celui-ci ne rapporte que « pour se donner...... un air d'importance1» ? Il est à remarquer qu'il n'y a nulle trace de ce projet d'enlèvement, ni dans les Mémoires de Mme de Motteville, ni dans ceux de la Porte, le porte-manteau de la Reine, lequel raconte longuement (p. 344-381) ces intrigues de 1637, suivies, pour lui aussi, d'une courte demeure à la Bastille. Tallemant seul le mentionne 2, en l'enjolivant; il nous dit de la Reine: « Marcillac.... la devoit mener en croupe. »> Celui-ci, en tout cas, était certainement d'humeur à se charger d'une entreprise aussi romanesque que téméraire; et s'il peut passer bien des idées étranges par la tête d'un jeune ambitieux inexpérimenté, il en peut également naître de bizarres, à une heure donnée, dans le cerveau d'une reine, jeune encore, consumée d'ennui, menacée du déshonneur et de la prison, et, par surcroît, espagnole. « Je puis dire, écrit la Rochefoucauld, en parlant de ce dessein, qu'il me donna plus de joie que je n'en avois eu de ma vie. J'étois en un âge où on aime à faire des choses extraordinaires et éclatantes, et je ne trouvois pas que rien le fût davantage que d'enlever en même temps la Reine au Roi son mari, et au cardinal de Richelieu, qui en étoit jaloux3. » On le voit, ce qui le séduit dans cette singulière aventure, c'est la singularité même, c'est aussi l'éclat qu'elle devait produire, plutôt que le profit, fort douteux, qu'en pouvait retirer son ambition : ici encore le roman domine dans sa conduite, qui est d'un vrai paladin, non d'un politique et d'un homme de parti. Il lui semble aussi que cet enlèvement serait un tour bien joué, et l'on sent déjà percer chez lui cette malicieuse disposition d'esprit qui se retrouve dans ses Maximes, où, sous un faux air de gravité, il se raille et se joue cruellement de la nature humaine. Heureusement, cette folle équipée en resta là; le prince de Marcillac eut l'honneur du choix sans avoir le péril du rôle; à

1. Madame de Chevreuse, p. 122.

2. Dans une variante de note marginale de l'historiette du cardinal de Richelieu, tome II, p. 7 et 8.

3. Mémoires, p. 28 et 29.

LA ROCHEFOUCAULD. I

B

la suite d'un interrogatoire en règle, la Reine consentit à faire amende honorable, et Mme d'Aiguillon acheva d'apaiser le Cardinal son oncle. Mais le départ précipité de Mme de Chevreuse, qui était du complot, et qui prit l'alarme sur un malentendu, vint gâter, au dernier moment, les affaires de Marcillac. Quelque mystère que celui-ci y eût mis, le Cardinal connut la part qu'il avait eue à la fuite de la duchesse. Mandé à Paris pour rendre compte de sa conduite, le favori de la Reine ne craignit pas de heurter Richelieu par ses réponses, et le Ministre, impatienté plus encore qu'irrité, l'envoya pour huit jours à la Bastille 1. « Ce peu de temps que j'y demeurai, dit la Rochefoucauld avec une exagération égoiste qui fait sourire, me représenta plus vivement que tout ce que j'avois vu jusqu'alors l'image affreuse de la domination du Cardinal; » et il se félicite d'être sorti si vite de prison <<< dans un temps où personne n'en sortoit'. » C'est que Richelieu l'avait mesuré

1. Nous lisons dans les Mémoires de Richelieu (tome III, p. 232, édition Michaud et Poujoulat) : « Le président Vignier interrogea le prince de Marcillac, qui fut ensuite mis dans la Bastille, pour les fortes apparences qu'il y avoit qu'il avoit eu connoissance de son dessein (le dessein de Mme de Chevreuse) et qu'il l'y avoit assistée; mais, à peu de jours de là, la bonté du Roi fut telle qu'il lui pardonna et le fit remettre en liberté. » Sur toute cette aventure de la fuite de Mme de Chevreuse, voyez, outre les Mémoires, p. 32-40, l'appendice I de notre tome III, lettre 3 (avec les annexes A et B), et lettre 4, p. 231-243.

2. Mémoires, p. 38 et 40. Voici l'ordre d'emprisonnement envoyé par le comte de Chavigny :

« A M. du Tremblay, gouverneur de la Bastille, pour recevoir à la Bastille M. de Marcillac. Monsieur, le Roi ayant commandé à M. de Marcillac d'aller à la Bastille pour avoir fait quelque chose qui lui a déplu, je vous écris le présent billet de la part de Sa Majesté, afin que vous le receviez. Vous aurez soin, s'il vous plaît, de le bien loger et lui donner la liberté de se promener sur la terrasse. Je suis, Monsieur, votre très-humble serviteur. CHAVIGNY. A Ruel, ce mardi 29 octobre 1637. »

(Dépôt des affaires étrangères, France, tome 86, fol. 138.)

V. Cousin, qui transcrit également cet ordre dans l'appendice du chapitre III de Madame de Chevreuse (p. 435), fait remarquer avec raison que, Marcillac n'étant parti pour Paris qu'après le 12 no

d'un regard et n'avait pas cru découvrir en lui un adversaire bien redoutable. La Rochefoucauld, dans ce passage de ses Mémoires, a beau enfler son personnage, il ne réussit point à se faire prendre au sérieux. La Meilleraye et Chavigny le dépeignent au Cardinal comme une sorte de Jehan de Saintré qui n'a d'autre politique que sa galanterie ; lui-même, il s'avoue tel involontairement, lorsqu'il nous dit que la secrète approbation de la Reine, les « marques d'estime et d'amitié » de Mlle de Hautefort, la reconnaissance de Mme de Chevreuse l'ont trop bien payé de ses disgrâces'.

Aussi le voyons-nous supporter «< avec quelque douceur 2 » un nouvel exil de deux ans à Verteuil. Là où un homme d'action véritable eût rongé son frein, Marcillac prend volontiers son parti : « J'étois jeune, dit-il,... j'étois heureux dans ma famille, j'avois à souhait tous les plaisirs de la campagne; les provinces voisines étoient remplies d'exilés, et le rapport de nos fortunes et de nos espérances rendoit notre commerce agréable3. » Au reste, l'exil ne paraît pas avoir été bien rigoureux : dans une lettre à son oncle, M. de Liancourt, notre auteur, nous apprend qu'il vint à Paris en septembre 1638, pour les affaires de la succession de sa bellemère, Mme de Mirebeau; c'est à ce voyage que se place une réclamation de pierreries par Mme de Chevreuse".

De retour à l'armée, en juin 1639, il se distingue, entre es volontaires de qualité, par sa valeureuse conduite, aux combats de Saint-Venant-sur-Lys et du fort Saint-Nicolas (le 4 et le 24 août); si bien que le Cardinal, après l'avoir puni, songe à le récompenser le maréchal de la Meilleraye lui offre, de sa part, « de le faire servir de maréchal de camp1. » Un mérite militaire même plus haut que celui de

vembre, il faut, à la date, lire novembre, au lieu d'octobre, ou supposer que l'ordre avait été donné d'avance: voyez à l'appendice 1 de notre tome III, p. 242.

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I

5. Elle est racontée longuement dans cette même lettre, p. 17-21. 6. Voyez les Extraordinaires de la Gazette, des 18 et 29 août 1639; et Bazin, tome III, p. 24 et 25.

7. Mémoires, p. 41.

Marcillac se fût tenu pour l'heure satisfait; cependant, après avoir consulté la Reine, il refuse, pour rester libre de comploter contre Richelieu. Dans ce métier de conspirateur, il a encore, il est vrai, certains scrupules qui sont à l'honneur de sa loyauté. Il n'entre pas dans l'odieux complot que, peu de temps après, Cinq-Mars ourdit contre le Cardinal, son bienfaiteur. Si, à un certain moment, il s'est trouvé, comme il dit, dans les intérêts de Monsieur le Grand, qu'il n'avait presque jamais vu, c'est uniquement comme ami de l'infortuné de Thou. Etranger à l'affaire même, il se mêle, en homme de cœur, dans ses suites: il fournit à Montrésor, un des conjurés les plus compromis, les moyens de se soustraire à la vengeance de Richelieu; il prête également son assistance au comte de Béthune, accusé, bien qu'à tort, d'avoir trahi ses complices. On le voit, dès qu'il s'agit de déployer du courage et de servir ses amis, Marcillac ne boude jamais : il a beau prévoir le péril, il est toujours prêt aux «< rechutes » par la « nécessité indispensable » de faire son devoir de gentilhomme tel qu'il le comprend3.

Richelieu mourut le 4 décembre 1642', et l'on prévoyait que le Roi ne survivrait guère à son ministre. Toutes les ambitions, rompant leurs chaînes, s'élançaient d'avance dans la lice; les unes tenaient pour la Reine, les autres pour Gaston d'Orléans, à qui Louis XIII destinait la Régence. Par ses précédents, par ses goûts et aussi par ses espérances, qui n'avaient pas encore été déçues, Marcillac appartenait au parti d'Anne d'Autriche. Il offrit donc ses services à la Reine, et lui proposa de s'unir à la maison de Condé contre Monsieur.

1. Mémoires, p. 45.

2. Voyez, au tome III, p. 22, la lettre de condoléance qu'il écrit à son frère, l'abbé de Thou.

3. Mémoires, p. 46.

4. A cette année 1642 appartient un curieux détail. En février, nous voyons Marcillac expédier d'Angoumois des vins à destination de l'Angleterre, et, prenant pour adresse : « à Monsieur Graf, » demander qu'en échange on lui envoie des chevaux et des chiens : voyez l'appendice 1 du tome III, lettre 5, p. 243.

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