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LX

La fortune tourne tout à l'avantage de ceux qu'elle favorise1. (ED. 1*.)

LXI

Le bonheur et le malheur des hommes ne dépend pas moins de leur humeur que de la fortune'. (ED. 2.)

LXII

3

La sincérité est une ouverture de cœur. On la trouve en fort peu de gens, et celle que l'on voit d'ordinaire n'est qu'une fine dissimulation, pour attirer la confiance des autres. (ÉD. 1*.)

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1. VAR.: La fortune ne laisse rien perdre pour les hommes heureux. (1665.) Tacite dit en parlant de Cérialis (Histoires, livre V, chapitre xx1): Aderat fortuna, etiam ubi artes defuissent. « La fortune le servait, même au défaut de l'art. » Mme de Sévigné écrit de même à sa fille (tome VI, p. 121): N'est-il pas vrai, ma fille, que

tout tourne à bien pour ceux qui sont heureux? » —La Bruyère (de la Cour, no 90, tome I, p. 334): « Ètes-vous en faveur, tout manége est bon, vous ne faites point de fautes, tous les chemins vous mènent au terme. » — Publius Syrus avait déjà dit:

Fortuna quo se, eodem et inclinat favor.

« La faveur publique incline du même côté que la fortune. » — Cette maxime 60 est encore une de celles que Vauvenargues trouve commune. 2. Cette pensée n'est qu'une répétition des 45° et 47°, et elle semble contredire la 323o, qui fait tout dépendre de la fortune. 3. VAR.: une naturelle ouverture. (1665.)

4. VAR. et celle qui se pratique d'ordinaire. (1665.)

5. VAR. pour arriver à la confiance des autres. (1665.) J. Esprit (tome I, p. 121): « La sincérité est une ouverture de cœur qui tend à nous ouvrir celui de nos amis, ou une franchise habile.... ou une crainte de passer pour fourbe, ou une inclination naturelle à dire ce que l'on pense, ou une ambition exquise qu'on ait une dé

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LXIII

L'aversion du mensonge est souvent1 une imperceptible ambition de rendre nos témoignages considérables, et d'attirer à nos paroles un respect de religion3. (ÉD. 1*.)

2

LXIV

La vérité ne fait pas tant de bien dans le monde que ses apparences y font du mal*. (ÉD. 1*.)

LXV

Il n'y a point d'éloges qu'on ne donne à la prudence;

férence aveugle pour nos paroles. Dans les faux sincères, la sincérité est une tromperie fine........ » — – Meré déclare également (maxime 398) que la sincérité n'est souvent qu'une fine dissimulation.

des Réflexions diverses.

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Voyez la 50

1. VAR. La vérité, qui fait les hommes véritables, est souvent. (Manuscrit.) Souvent ne se trouve pas dans la première édition (1665); la seconde (1666), au lieu de souvent, a d'ordinaire.

2. VAR.: .... ambition qu'ils ont de rendre leurs témoignages considérables, et d'attirer à leurs paroles.... (Manuscrit.)

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3. J. Esprit (tome I, p. 104 et 105): « La disposition de ceux qui sont véritables dans leurs paroles est en quelques-uns une secrète ambition qu'ils ont que tout le monde ajoute foi à tout ce qu'ils disent. » Cette pensée de la Rochefoucauld répète à peu près la précédente. — « L'aversion du mensonge, dit Vauvenargues (p. 79), est encore plus souvent, à mon avis, l'aversion d'être trompé, » et il ajoute (maxime 523, OEuvres, p. 449): « L'aversion contre les trompeurs ne vient ordinairement que de la crainte d'être dupe; c'est par cette raison que ceux qui manquent de sagacité s'irritent nonseulement contre les artifices de la séduction, mais encore contre la discrétion et la prudence des habiles. » — Dans sa maxime 350, la Rochefoucauld se rencontre mieux avec Vauvenargues.

4. VAR. que les apparences de la vérité font de mal. (1665.) — Le vrai ne fait pas tant de bien dans le monde que le vraisemblable y fait de mal. (Manuscrit.)

cependant elle ne sauroit nous assurer du moindre événement'. (ED. I*.)

LXVI

Un habile homme doit régler le rang de ses intérêts, et les conduire chacun dans son ordre; notre avidité le

Au ma

1. Cette pensée est une de celles que l'auteur a le plus heureusement remaniées et réduites. - VAR.: On élève la prudence jusqu'au ciel, et il n'est sorte d'éloge qu'on ne lui aorne; elle est la règle de nos actions et de notre conduite; elle est la maîtresse de la fortune; elle fait le destin des empires; sans elle, on a tous les maux; avec elle, on a tous les biens; et comme disoit autrefois un poëte, quand nous avons la prudence, il ne nous manque aucune divinité (a), pour dire que nous trouvons dans la prudence tout le secours que nous demandons aux Dieux. Cependant la prudence la plus consommée ne sauroit nous assurer du plus petit effet du monde, parce que, travaillant sur une matière aussi changeante et aussi inconnue qu'est l'homme, elle ne peut exécuter sûrement aucun de ses projets; d'où il faut conclure que toutes les louanges dont nous flattons notre prudence ne sont que des effets de notre amour-propre, qui s'applaudit en toutes choses et en toutes rencontres. (1665.) nuscrit, qui est, du reste, conforme à l'édition de 1665, la fin de la dernière phrase est ainsi rédigée: « ........ elle ne peut exécuter sûrement aucun de ses projets; Dieu seul, qui tient tous les cœurs des hommes entre ses mains, et qui, quand il veut, en accorde tous les mouvements, fait aussi réussir les choses qui en dépendent: d'où il faut conclure que toutes les louanges dont notre ignorance et notre vanité flattent notre prudence sont autant d'injures que nous faisons à la Providence. - Il n'y a point d'éloges qu'on ne donne à la prudence; cependant, quelque grande qu'elle soit, elle ne sauroit nous assurer du moindre événement, parce qu'elle travaille sur l'homme, qui est le sujet du monde le plus changeant. (1666, 1671 et 1675.) — J. Esprit (tome I, p. 11): « La prudence ne peut s'assurer de rien, parce que l'homme, qui est le sujet qu'elle considère, n'est jamais dans une même assiette, et qu'il en prend de différentes en peu de temps, par un nombre infini de causes intérieures et étrangères. » Montaigne avait dit avant la Rochefoucauld et J. Esprit : « La fortune surpasse en reglement les regles de l'humaine prudence. » (Essais, livre I, chapitre xxx, tome I, p. 317.)

2. VAR.: doit savoir régler. (1665.)

(a)

Nullum numen abest, si sit prudentia....

(Juvénal, satire x, vers 365 var.)

trouble souvent, en nous faisant courir à tant de choses à la fois, que pour desirer trop les moins importantes, on manque les plus considérables1. (ÉD. 1*.)

LXVII

• La bonne grâce est au corps ce que le bon sens est à l'esprit. (ÉD. 2.)

LXVIII

Il est difficile de définir l'amour ce qu'on en peut

I. VAR.... les moins importantes, nous ne les faisons pas assez servir à obtenir les plus considérables. (1665.) Sénèque (épitre XL): Nihil.... ordinatum est, quod præcipitatur et properat. « Rien de ce qu'on hâte et précipite ne saurait être bien ordonné.

2. L'annotateur contemporain fait observer, non sans raison, que le corrélatif de la bonne grâce du corps serait plutôt la délicatesse de l'esprit; mais il est juste d'ajouter qu'au temps de la Rochefoucauld, l'expression bon sens avait une signification plus étendue que du nôtre; elle signifiait parfois le bon biais, la bonne et délicate façon de prendre les choses, et c'est apparemment dans cette dernière acception que l'auteur l'a employée. Quoi qu'il en soit, Corbinelli, qui avait fait des remarques sur une centaine de maximes de la Rochefoucauld, n'entendait pas celle-ci (Lettres de Mme de Sévigné, tome V, p. 509); il ne voyait pas quel rapport il peut y avoir « entre bonne grace et bon sens; par contre, Bussy Rabutin la défendait (ibidem, p. 512). Quant à Vauvenargues, dans une première rédaction de sa Critique des Maximes de la Rochefoucauld, il qualifiait cette pensée de juste et lumineuse comparaison; mais, en y regardant de plus près, il arriva bientôt à cette conclusion tout opposée (OEuvres, p. 80): « Cette comparaison ne me paroît ni claire, ni juste. Un esprit sage peut manquer de grâce, comme il est possible qu'un homme, bien fait d'ailleurs, n'ait pas un maintien agréable, ou une démarche légère. » Vient enfin la Harpe; mais ce n'est pas sa remarque (tome VII, p. 268) qui éclaircira la question. « Cela ne serait-il pas plus vrai, dit-il, du goût que du bon sens ? Ce n'est pas que le premier ne suppose l'autre ; mais le bon sens tout seul ne donne point l'idée de la grâce, et le goût donne au bon sens une délicatesse d'expression, qui est pour l'esprit ce qu'est pour le corps l'aisance et la justesse des mouvements. »

1

dire est que, dans l'âme, c'est une passion de régner; dans les esprits, c'est une sympathie; et dans le corps, ce n'est qu'une envie cachée et délicate de posséder ce que l'on aime après beaucoup de mystères. (ÉD. 1*.)

I. VAR.: Il est malaisé de définir l'amour : tout ce qu'on peut dire. (1665.)

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2. VAR. de jouir de ce que l'on aime. (1665.) — La passion de l'amour paraît à Cicéron si légère, qu'il ne voit pas à quoi la comparer : Totus.... iste qui vulgo appellatur amor.... tantæ levitatis est, ut nihil videam quod putem conferendum. (Tusculanes, livre IV, chapitre xxxII.) « Pour ce qui s'appelle communément amour, c'est chose si légère que je ne vois rien à quoi je le puisse comparer. >> Dans sa maxime 638, la Rochefoucauld sera moins embarrassé que Cicéron, et comparera l'amour à la fièvre. Vauvenargues (p. 80): « Si l'âme est distincte du corps, si c'est, non pas le corps, comme le suppose ici l'auteur, mais l'âme, qui sent (a), on ne peut pas dire que l'amour est, dans le corps, une envie cachée et délicate de posséder ce que l'on aime. Et d'ailleurs, quel est cet amour qui ne veut posséder qu'après beaucoup de mystères? Le duc de la Rochefoucauld avoit pris cela dans nos romans, ou parmi les Femmes savantes de Molière. » Il serait peutêtre plus juste de dire que, dans cette maxime, le noble duc avait gardé le ton de l'hôtel de Rambouillet. La Harpe répond à la Rochefoucauld (tome VII, p. 265 et 266): « Je crois qu'on en peut dire (de l'amour) tout autre chose, et je doute que beaucoup de gens goûtent cette définition. On est souvent tenté de dire aux moralistes qui parlent de l'amour, comme à Burrhus :

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-

Mais, croyez-moi, l'amour est une autre science (b).

D'abord, ce n'est point une passion de régner, car celui des deux qui aime le plus est toujours le plus gouverné. Ce n'est pas toujours une sympathie; car il y a des amants qui n'ont entre eux aucune conformité de caractère, d'esprit, ni d'humeur, et qui ne peuvent s'accorder sur rien, si ce n'est à s'aimer.... Au reste, je pense, comme la Rochefoucauld, qu'il (l'amour) est très-difficile à définir : aussi ne le définirai-je point, d'abord parce qu'il me convient d'être plus réservé que lui, et puis parce que chacun ne définit que le sien. >

(a) Vauvenargues dit dans sa maxime 545° (OEuvres, p. 451): « Les plus vifs plaisirs de l'âme sont ceux qu'on attribue au corps; car le corps ne doit point sentir, ou il est âme, »

(b) Racine, Britannicus, acte III, scène 1, vers 796.

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