XIX RÉPONSE A L'AMOUR-PROPRE, ODE DE M. DE LA MOTTE', par le marquis de Saint-Aulaire". J'entends murmurer la Nature: · Quoi? dit-elle, un ingrat, comblé de mes bienfaits, Des forêts un hôte sauvage D'un ennemi trop foible épargnera le sang! Dans sa cruelle attente un grand peuple déçu Céder au souvenir d'un service reçu ! Nuit et jour une tourterelle Plaindra de sa moitié l'absence ou le trépas, Tendre, reconnoissant, magnanime, fidèle! » Mortels favorisés des plus riches trésors 1. En insérant cette réponse de Saint-Aulaire à la Motte, les rédacteurs des Memoires de Trévoux (juin 1709, 2o partie, p. 974 et suivantes) la font précéder des réflexions suivantes: «Nous mettons rarement des vers dans notre Journal; mais ceux-ci sont assurément de notre ressort, La question importante agitée entre M. le marquis de Saint-Aulaire et M. de la Motte appartient à la philosophie et à l'histoire plus qu'à la poésie. La manière dont M. de Saint-Aulaire la traite la relève encore. Il a trouvé dans son cœur de quoi se convaincre de la fausseté du système de l'amour-propre dominant, et dans son esprit de quoi en convaincre tout le monde. Les grands hommes qu'il venge n'auroient pas choisi un autre défenseur, s'il leur eût été libre d'en choisir un. » François-Joseph de Beaupoil, marquis de Saint-Aulaire, mort à Paris, le 17 décembre 1742, dans sa quatre-vingt-dix-huitième année, fut nommé membre de l'Académie française en 1706; il avait composé un assez grand nombre de vers, surtout pour la petite cour de la duchesse du Maine, à Sceaux; mais il y en a peu d'imprimés, et l'auteur lui-même ne prit jamais le soin de les recueillir. 2. Nous écrivons ce nom comme l'écrivait l'auteur lui-même. La famille signe maintenant Sainte-Aulaire. 3. Le pélican. Pour la croyance fabuleuse auquel ce passage fait allusion. et ce qui a pu y donner lieu, voyez le Dictionnaire universel d'histoire naturelle de Ch. d'Orbigny, tome IX, p. 553. 4. Le lion d'Androcles. De cette mère qu'on offense, Venez me tenir lieu des savantes pucelles'. Que des noms inventés, que des fantômes vains? Dont un cœur attendri du sort des malheureux, Que mille nobles faits dérobés aux regards Soient rendus à la Renommée ! Que vos adorateurs lèvent vos étendards; Que des enfants de Mars, des soutiens de Thémis, Chercher vos fidèles amis Au delà de cette onde noire! Je vois déjà Plutarque et Laërce 2 irrités Des sages Grecs, des fiers Romains « Ah! disent ces héros, quelle postérité De nos conseils, de nos exemples? Ne connoissent en eux que foiblesse et que vice, Chacun de nous fut un Narcisse 3 De l'amour de lui-même uniquement épris! 1. Les Muses. 2. Diogène de Laërte, auteur des Vies des philosophes. 3. Voyez plus haut, p. 399, la fable de la Fontaine intitulée l'Homme et sun Image. Ah! si notre seule espérance Étoit l'honneur de plaire à ces hommes nouveaux, Quelle seroit la récompense Fait revoir ce deuil plein de charmes Qui fléchit autrefois la rigueur de ces lieux': En arrache encore à ses yeux. Du roi des Cariens la veuve 2 désolée Soupire au pied du mausolée. « N'aimé-je point Pollux? — N'aimé-je point Castor? » D'Andromaque les yeux humides Se tournent tendrement sur ceux de son Hector'. Fut-il moins cher que celui de sa vie? Ne peut voir avilir les sincères vertus; Ainsi, quand d'un trouble nouveau 1. Alceste, femme d'Admète, roi de Thessalie, l'héroïne d'une des plus touchantes tragédies d'Euripide. Elle se dévoua à la mort pour sauver son époux, et fut ensuite ramenée des enfers par Hercule. 2. Artémise, veuve du roi de Carie, Mausole, d'où vient le nom de mausolée, au vers suivant. 3. Castor et Pollux eux-mêmes. 4. Voyez la fin du livre VI de l'Iliade d'Homère. 5. Codrus, dernier roi d'Athènes, ayant appris de l'oracle que, dans la guerre des Ioniens contre les Athéniens, la victoire demeurerait à celui des deux peuples dont le chef serait tué, se dévoua volontairement, en se jetant dans la mêlée, a travesti sous l'habit d'un soldat. >> 6. On sait que ce jeune Romain, pour combler un gouffre qui s'était ouvert au milieu du Forum, s'y précipita à cheval et tout armé. 7. Voyez le traité des Devoirs de Cicéron, livre III, chapitre XXVII. 8. Ceci répond particulièrement à la septième strophe de la Motte. Le héros G La sage abeille inquiétée Le tumultueux mouvement Quel attentat, dit-il, a pu de ces héros Respecte-t-on si peu leur gloire et leur repas? En vain on vous dispute un rang Quand les foibles mortels entendent raconter Est l'unique présent qui soit digne des Dieux; La lumière seroit funeste. Qu'elles ne craignent rien de cet aimable auteur Est désavoué de son cœur ; Nous l'avons appris de lui-même. Ne suivoient-elles pas l'appareil de son deuil, De tant de rares fleurs il orna le cercueil? modeste » de Pline, c'est l'empereur Trajan, dont il a exalté les vertus dans un pompeux discours. Voyez ce qui est dit de la modestie de ce prince au chapitre Iv de ce Panégyrique. : 1. « M. de Roquelaure, disent en note les Mémoires de Trévoux; on trouve en effet, au tome I des OEuvres de la Motte (p. 376-380), une ode intitulée l'Ombre du marquis de Roquelaure. Le titre de marquis indique assez qu'il ne s'agit pas du dernier duc de Roquelaure (Gaston-Jean-BaptisteAntoine), qui ne mourut d'ailleurs qu'en 1732, sept ans après la Motte luimême, mais probablement de son oncle Jean-Louis comte de Beaumont, puis marquis de Roquelaure, lorsque Gaston, son neveu, devint duc. Le P. Anselme et Moréri ne sont pas clairs en ce qui concerne la généalogie des derniers Roquelaure; il est vrai qu'il était assez difficile de s'y reconnaître, car le premier maréchal de ce nom, père de Jean-Louis dont nous parlons, avait laissé dix-huit enfants, dont neuf fils, Quand un auditeur qui le loue D'un modeste incarnat voit colorer sa joue, Y voit-il l'amour-propre, y connoît-il l'orgueil? Ah! mortel, si ta seule affaire Est de t'aimer et de te plaire, A remplir bien ou mal cet injuste devoir |