Page images
PDF
EPUB

les diverses maladies qui ont affligé les hommes depuis tant de siècles. L'ambition a produit les fièvres aiguës et frénétiques; l'envie a produit la jaunisse et l'insomnie; c'est de la paresse que viennent les léthargies, les paralysies et les langueurs; la colère a fait les étouffements, les ébullitions de sang, et les inflammations de poitrine; la peur a fait les battements de cœur et les syncopes; la vanité a fait les folies; l'avarice, la teigne et la gale; la tristesse a fait le scorbut; la cruauté, la pierre; la calomnie et les faux rapports ont répandu la rougeole, la petite vérole, et le pourpre, et on doit à la jalousie la cangrène1, la peste, et la rage. Les disgrâces imprévues ont fait l'apoplexie; les procès ont fait la migraine et le transport au cerveau; les dettes ont fait les fièvres étiques; l'ennui du mariage a produit la fièvre quarte, et la lassitude des amants qui n'osent se quitter a causé les vapeurs. L'amour, lui seul3, a fait plus de maux que tout le reste ensemble, et personne ne doit entreprendre de les exprimer; mais comme il fait aussi les plus grands biens de la vie, au lieu de médire de lui, on doit se taire : on doit le craindre et le respecter toujours.

[blocks in formation]

On est faux en différentes manières : il y a des hommes faux qui veulent toujours paroître ce qu'ils ne sont pas";

1. On disait alors cangrène et gangrène. Furetière donne les deux

formes.

2. Et les lassitudes des amants.... a causé (sic) les vapeurs. > (Édition de M. de Barthélemy.)

3. « L'amour à lui seul. » (Ibidem.)

4. Le plus grand bien de la vie. » (Ibidem.)

5. Voyez la maxime 256, et les 2o et 3° Réflexions diverses.

il y en a d'autres, de meilleure foi, qui sont nés faux, qui se trompent eux-mêmes, et qui ne voient jamais les choses comme elles sont. Il y en a dont l'esprit est droit, et le goût faux; d'autres ont l'esprit faux, et ont1 quelque droiture dans le goût'; il y en a enfin qui n'ont rien de faux dans le goût, ni dans l'esprit. Ceux-ci sont trèsrares, puisque, à parler généralement, il n'y a presque 3 personne qui n'ait de la fausseté dans quelque endroit de l'esprit ou du goût.

Ce qui fait cette fausseté si universelle, c'est que nos qualités sont incertaines et confuses, et que nos vues * le sont aussi on ne voit point les choses précisément comme elles sont; on les estime plus ou moins qu'elles ne valent, et on ne les fait point rapporter à nous en la manière qui leur convient, et qui convient à notre état et à nos qualités. Ce mécompte met un nombre infini de faussetés dans le goût et dans l'esprit; notre amourpropre est flatté de tout ce qui se présente à nous sous les apparences du bien; mais comme il y a plusieurs sortes de bien qui touchent notre vanité ou notre tempérament, on les suit souvent par coutume, ou par commodité; on les suit parce que les autres les suivent, sans considérer qu'un même sentiment ne doit pas être également embrassé par toute sorte de personnes, et qu'on s'y doit attacher plus ou moins fortement, selon qu'il convient plus ou moins à ceux qui le suivent".

I. Les éditions antérieures ne répètent pas ce verbe.

2.

Rapprochez de la maxime 258, et de la 10o des Réflexions

diverses.

3. Brotier et les éditeurs suivants ne donnent pas ce correctif. 4. Gouts, au lieu de vues, dans toutes les éditions.

5. Voyez la maxime 244, et les 10o et 16o Réflexions diverses. 6. Les éditions antérieures ont biens au pluriel, et, quatre lignes plus loin: toutes sortes de personnes.

7. Cette idée, qui reviendra plusieurs fois encore dans ce morceau

par le goût

On craint encore plus de se montrer faux que par l'esprit. Les honnêtes gens doivent approuver sans prévention ce qui mérite d'être approuvé, suivre ce qui mérite d'être suivi, et ne se piquer de rien 1; mais il y faut une grande proportion et une grande justesse : il faut savoir discerner ce qui est bon en général, et ce qui nous est propre, et suivre alors avec raison la pente naturelle qui nous porte vers les choses qui nous plaisent. Si les hommes ne vouloient exceller que par leurs propres talents, et en suivant leurs devoirs, il n'y auroit rien de faux dans leur goût et dans leur conduite; ils se montreroient tels qu'ils sont; ils jugeroient des choses par leurs lumières, et s'y attacheroient par leur raison2; il y auroit de la proportion dans leurs vues et dans leurs sentiments; leur goût seroit vrai, il viendroit d'eux et non pas des autres, et ils le suivroient par choix, et non pas par coutume ou par hasard.

[ocr errors]

5

Si on est faux en approuvant ce qui ne doit pas être approuvé, on ne l'est pas moins, le plus souvent, par l'envie de se faire valoir en des qualités qui sont bonnes de soi, mais qui ne nous conviennent pas : un magistrat est faux quand il se pique d'être brave, bien qu'il puisse être hardi dans de certaines rencontres; il doit paroître ferme et assuré dans une sédition qu'il a droit d'apaiser',

même, se retrouve dans les maximes 134, 256, 457, 493, et dans les 3e et 4o Réflexions diverses.

1. C'est la maxime 203.

2. Les éditions précédentes donnent : « par raison; › puis, à la fin de l'alinéa : « et par hasard. »

3. Les diverses éditions omettent cette conjonction.

4. Voyez la 10 des Réflexions diverses.

5. Voyez encore les maximes 134, 256, 457, 493, et les 3o et 4o Réflexions diverses.

6. Dans le texte de Brotier et des éditeurs suivants : « il doit étre. » 7. Ce passage fait penser à la conduite de, Matthieu Molé dans

MODERN LANGUAGES
FACULTY LIBRARY

OXFORD.

sans craindre d'être faux, et il seroit faux et ridicule de se battre en duel. Une femme peut aimer les sciences', mais toutes les sciences ne lui conviennent pas toujours', et l'entêtement de certaines sciences ne lui convient jamais, et est toujours faux.

Il faut que la raison et le bon sens mettent le prix aux choses3, et déterminent notre goût à leur donner le rang qu'elles méritent et qu'il nous convient de leur donner; mais tous les hommes presque' se trompent dans ce prix et dans ce rang, et il y a toujours de la fausseté dans ce mécompte.

Les plus grands rois sont ceux qui s'y méprennent le plus souvent ils veulent surpasser les autres hommes en valeur, en savoir, en galanterie, et dans mille autres qualités où tout le monde a droit de prétendre; mais ce goût d'y surpasser les autres peut être faux en eux, quand il va trop loin. Leur émulation doit avoir un

la journée des barricades, et l'auteur, sans doute, y a pensé lui

même.

1. Ce compliment était vraisemblablement à l'adresse de Mmes de Sablé et de la Fayette.

2. Toujours est omis dans l'édition de Brotier et dans les suivantes. Quatre lignes plus loin, toutes les éditions mettent qu'elles devant déterminent.

3. Voyez la maxime 244, et les 10e et 16° Réflexions diverses. 4. « Mais presque tous les hommes. » (Édition de Duplessis.)

5. Le remarquable morceau qui suit, et qui termine cette Réflexion, n'avait pas paru dans les éditions précédentes, si ce n'est dans celle de M. de Barthélemy; nous le donnons d'après le manuscrit de la Rocheguyon. L'allusion à Louis XIV ne semble pas douteuse; elle est plus évidente que dans le fameux passage, si souvent cité, de Britannicus (acte IV, scène iv, vers 1472):

Il excelle à conduire un char dans la carrière...,

où l'on peut croire que les commentateurs ont prêté à Racine plus de hardiesse qu'il n'avait prétendu en montrer, quoiqu'il ne fût pas aussi timoré qu'on a bien voulu le dire.

autre objet ils doivent imiter Alexandre, qui ne vouloit' disputer le prix de la course que contre des rois, et se souvenir que ce n'est que des qualités particulières à la royauté qu'ils doivent disputer. Quelque vaillant que puisse être un roi, quelque savant et agréable qu'il puisse être, il trouvera un nombre infini de gens qui auront ces mêmes qualités aussi avantageusement que lui, et le desir de les surpasser paroîtra toujours faux, et souvent même il lui sera impossible3 d'y réussir; mais s'il s'attache à ses devoirs véritables, s'il est magnanime, s'il est grand capitaine et grand politique, s'il est juste, clément et libéral, s'il soulage ses sujets; s'il aime la gloire et le repos de son État, il ne trouvera que des rois à vaincre dans une si noble carrière; il n'y aura rien que de vrai et de grand dans un si juste dessein, et le desir d'y surpasser les autres n'aura rien de faux. Cette émulation est digne d'un roi, et c'est la véritable gloire où il doit prétendre.

XIV.

LA NATURE

DES MODÈLES DE
ET DE LA FOrtune *.

Il semble que la fortune, toute changeante et capricieuse qu'elle est, renonce à ses changements et à ses caprices pour agir de concert avec la nature, et que l'une et l'autre concourent de temps en temps à faire des hommes extraordinaires et singuliers, pour servir de modèles à la postérité. Le soin de la nature est de four

1. « Qui ne voulut. » (Édition de M. de Barthélemy.)

2. A leur royauté. » (Ibidem.)

3. Il nous sera impossible. » (Ibidem.)

4. Conjonction omise par M. de Barthélemy. 5. Rapprochez de la maxime 53.

« PreviousContinue »