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flatte pas assez. Il y a apparence que l'intention du peintre n'a jamais été de faire paroître cet ouvrage, et qu'il seroit encore renfermé dans son cabinet, si une méchante copie qui en a couru, et qui a passé même, depuis quelque temps, en Hollande', n'avoit obligé un de ses amis de m'en donner une autre, qu'il dit être tout à fait conforme à l'original; mais toute correcte qu'elle est, possible n'évitera-t-elle pas la censure de certaines personnes qui ne peuvent souffrir que l'on se mêle de pénétrer dans le fond de leur cœur, et qui croient être en droit d'empêcher que les autres les connoissent, parce qu'elles ne veulent pas se connoître elles-mêmes 2. Il est vrai que, comme ces Maximes sont remplies de ces sortes de vérités dont l'orgueil humain ne se peut accommoder, il est presque impossible qu'il ne se soulève contre elles, et qu'elles ne s'attirent des censeurs'. Aussi, est-ce pour eux que je mets ici une Lettre que l'on m'a donnée, qui a été faite depuis que le manuscrit a paru3,

chacun ses idées, le duc de la Rochefoucauld a très-bien fait de faire connoître cette variété d'idées et de jugements. Le public a prononcé en faveur des Maximes. » (Observations sur les Maximes, p. 207 et 208.)

1. L'histoire de cette copie infidèle n'a jamais pu être éclaircie, et il y a tout lieu de croire que c'était un simple prétexte dont un grand seigneur comme la Rochefoucauld avait besoin pour donner au public un livre même anonyme. Si une copie avait couru jusqu'en Hollande, on n'eût pas manqué de l'y imprimer immédiatement, comme on s'était hâté de faire, en 1662, pour les Mémoires de notre auteur; or il ne reste pas trace d'une édition hollandaise antérieure à la première édition française.

2. Voyez la maxime 119.

3. Voyez, à l'Appendice de ce volume, les Jugements des contemporains sur les Maximes.

4. C'est le Discours faussement attribué, selon nous, à Segrais. Voyez la notice de ce Discours à l'Appendice de ce volume.

5. C'est-à-dire depuis que le manuscrit a été communiqué à diverses personnes. Voyez la Notice biographique.

et dans le temps que chacun se mêloit d'en dire son avis. Elle m'a semblé assez propre pour répondre aux principales difficultés que l'on peut opposer aux Réflexions, et pour expliquer les sentiments de leur auteur; elle suffit pour faire voir que ce qu'elles contiennent n'est autre chose que l'abrégé d'une morale conforme aux pensées de plusieurs Pères de l'Église, et que celui qui les a écrites a eu beaucoup de raison de croire qu'il ne pouvoit s'égarer en suivant de si bons guides, et qu'il lui étoit permis de parler de l'homme comme les Pères en ont parlé. Mais si le respect qui leur est dû n'est pas capable de retenir le chagrin des critiques, s'ils ne font point de scrupule de condamner l'opinion de ces grands hommes en condamnant ce livre, je prie le lecteur de ne les pas imiter, de ne laisser point entraîner son esprit au premier mouvement de son cœur, et de donner ordre, s'il est possible, que l'amour-propre ne se mêle point dans le jugement qu'il en fera; car s'il le consulte, il ne faut pas s'attendre qu'il puisse être favorable à ces Maximes comme elles traitent l'amour-propre de corrupteur de la raison, il ne manquera pas de prévenir l'esprit contre elles. Il faut donc prendre garde que cette prévention ne les justifie, et se persuader qu'il n'y a rien de plus propre à établir la vérité de ces Réflexions que la chaleur et la subtilité que l'on témoignera pour les combattre en effet il sera difficile de faire croire à tout homme de bon sens que l'on les condamne par d'autre motif que par que par celui de l'intérêt caché, de l'orgueil et de l'amour-propre. En un mot, le meilleur parti que le lecteur ait à prendre est de se mettre d'abord dans l'esprit qu'il n'y a aucune de ces Maximes qui le regarde en particulier, et qu'il en est seul excepté, bien qu'elles

:

1. Voyez les maximes 517 et 524.

paroissent générales'; après cela, je lui réponds qu'il sera le premier à y souscrire, et qu'il croira qu'elles font encore grâce au cœur humain. Voilà ce que j'avois à dire sur cet écrit en général; pour ce qui est de la méthode que l'on y eût pu observer, je crois qu'il eût été à desirer que chaque maxime eût eu un titre du sujet qu'elle traite, et qu'elles eussent été mises dans un plus grand ordre; mais je ne l'ai pu faire sans renverser entièrement celui de la copie qu'on m'a donnée ; et comme il y a plusieurs maximes sur une même matière, ceux à qui j'en ai demandé avis ont jugé qu'il étoit plus expédient de faire une Table, à laquelle on aura recours pour trouver celles qui traitent d'une même chose.

1. Sans parler de divers passages de cette préface qui répètent plusieurs maximes, Duplessis fait remarquer avec raison (p. 237) que cette phrase, « ingénieusement ironique, suffirait seule pour prouver que la Rochefoucauld lui-même est l'auteur de cet Avis au lecteur. »

2. Cette raison ne paraît guère satisfaisante. Voyez ce que nous disons à ce sujet, en appréciant le livre des Maximes, dans la Notice biographique.

PRÉFACE

DE LA CINQUIÈME ÉDITION (1678)'.

LE LIBRAIRE AU LECTEUR.

CETTE cinquième édition des Réflexions morales est augmentée de plus de cent nouvelles maximes, et plus exacte que les quatre premières. L'approbation que le

1. Cette préface est presque entièrement conforme à celle de la 4° édition (1675), et elle diffère peu de celles des 2° et 3o (1666 et 1671).

2. Il y en avait 317 dans la 1re édition (a); 302 seulement dans la 2o, en y comprenant la réflexion sur la mort, non numérotée dans la re; 341 dans la 3e; 413 dans la 4o; 504 dans la 5o.

3. VAR.: Cette quatrième édition des Réflexions morales est encore beaucoup plus ample et plus exacte que les trois premières. (1675.) Voici une troisième édition des Réflexions morales, que vous trouverez plus ample et plus exacte que les deux premières. Vous pouvez en faire tel jugement que vous voudrez, je ne me mettrai point en peine de vous prévenir en leur faveur (b). Si elles sont telles que je les crois, on ne pourroit leur faire plus de tort que de se persuader qu'elles eussent besoin d'apologie. (1671.) — Mon cher lecteur, voici une seconde édition des Réflexions morales, que vous trouverez sans doute plus correcte et plus exacte en toutes façons que n'a été la première. Ainsi vous pouvez maintenant en faire tel jugement que vous voudrez, sans que je me mette en peine de tâcher à vous prévenir en leur faveur, puisque si elles sont telles que je le crois, on ne pourroit leur faire plus de tort que de se persuader qu'elles eussent besoin d'apologie. (1666.)

(a) La dernière, il est vrai, est numérotée 316; mais il y a deux maximes portant le numéro 302. Si l'on tenait compte de la réflexion sur la mort, qui se trouve, sans numéro, à la fin du volume, la première édition comprendrait en réalité 318 maximes.

(b) L'auteur lui-même a fait justice, en la supprimant, de cette boutade à la Scudéry.

public leur a donnée est au-dessus de ce que je puis dire en leur faveur, et si elles sont telles que je les crois, comme j'ai sujet d'en être persuadé, on ne pourroit leur faire plus de tort que de s'imaginer qu'elles eussent besoin d'apologie1. Je me contenterai de vous avertir de deux choses: l'une, que par le mot d'intérêt, on n'entend pas toujours un intérêt de bien, mais le plus souvent un intérêt d'honneur ou de gloire; et l'autre (qui est comme le fondement de toutes ces Réflexions), que celui qui les a faites n'a considéré les hommes que dans cet état déplorable de la nature corrompue par le péché, et qu'ainsi la manière dont il parle de ce nombre infini de défauts qui se rencontrent dans leurs vertus apparentes, ne regarde point ceux que Dieu en préserve par une grâce particulière3.

Pour ce qui est de l'ordre de ces Réflexions, on n'aura pas de peine à juger* que, comme elles sont toutes sur des matières différentes, il étoit difficile d'y' en observer; et bien qu'il y en ait plusieurs sur un même sujet, on n'a pas cru les devoir toujours mettre de suite, de crainte d'ennuyer le lecteur; mais on les trouvera dans la Table.

1. Aussi la Rochefoucauld a-t-il supprimé, dès la 2o édition, le long Discours apologétique (voyez ci-dessus, p. 26, note 4); mais il n'en reste pas moins que, pour la 1re édition, il avait accepté, et sans doute sollicité, cette apologie, comme il avait sollicité de Mme de Sablé, et retouché de sa main, un article pour le Journal des Savants (voyez à l'Appendice de ce volume).

2. VAR. : et l'autre, qui est la principale et comme le fondement de toutes ces Réflexions, est que celui.... (1666.)

3. On l'a vu dans la préface qui précède, l'auteur, dès sa première édition, s'était mis en règle avec l'Église, mais sous une autre forme. 4. VAR.: vous n'aurez pas de peine à juger, mon cher lecteur.... (1666.)

5. Le mot toujours n'est pas dans la 2o édition (1666), non plus que dans la 3e (1671).

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