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CLXXIV

Il vaut mieux employer notre esprit à supporter les infortunes qui nous arrivent qu'à prévoir celles qui nous peuvent arriver1. (ÉD. 1*.)

CLXXV

La constance en amour est une inconstance perpétuelle, qui fait que notre cœur s'attache successivement à toutes les qualités de la personne que nous aimons', donnant tantôt la préférence à l'une, tantôt à l'autre : de sorte que cette constance n'est qu'une inconstance arrêtée et renfermée dans un même sujet. (ÉD. I*.)

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1. VAR. : .... son esprit à supporter les infortunes qui arrivent qu'à pénétrer celles qui peuvent arriver. (1665.)—Voyez la maxime 168. -Cicéron (de Natura Deorum, livre III, chapitre vi): Ne utile quidem est scire quid futurum sit; miserum est enim nihil proficientem angi. « On ne gagne rien à savoir ce qui doit arriver; car c'est une misère de se tourmenter en vain. » — Sénèque (épitre xcvin): Calamitosus est animus futuri anxius. « Malheureux est l'esprit qui se tourmente de l'avenir. Le même (ibidem): Plus dolet quam necesse est, qui ante dolet quam necesse sit. « Qui s'afflige d'avance, s'afflige trop. 41 -Quintilien (de Institutione oratoria, livre I, chapitre XII, 11): Minus afficit sensus fatigatio quam cogitatio. « La souffrance même nous accable moins que la pensée de la souffrance. » — J. J. Rousseau (Émile, livre II): « La prévoyance qui nous porte sans cesse au delà de nous, et souvent nous place où nous n'arriverons point, voilà la véritable source de nos misères. >

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2. Pascal (Pensées, article V, 17): « On n'aime jamais personne, mais seulement des qualités. »

3. VAR.: n'est que notre inconstance arrêtée. (Manuscrit.) — L'abbé de la Roche estime avec raison que cette réflexion est un peu tirée, et la Harpe (tome VII, p. 264) la déclare bonne « pour une chanson ou un madrigal. » Vauvenargues dit avec plus de décision (maxime 755, OEuvres, p. 477): « La constance est la chimère de

l'amour.

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CLXXVI

Il y a deux sortes de constance en amour : l'une vient' de ce que l'on trouve sans cesse dans la personne que l'on aime' de nouveaux sujets d'aimer3, et l'autre vient de ce que l'on se fait un honneur d'être constant '. (ÉD. I*.)

CLXXVII

La persévérance n'est digne ni de blâme, ni de louange, parce qu'elle n'est que la durée des goûts et des sentiments, qu'on ne s'ôte et qu'on ne se donne point *. (ÉD. 1.)

CLXXVIII

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Ce qui nous fait aimer les nouvelles connoissances n'est pas tant la lassitude que nous avons des vieilles, ou le plaisir de changer, que le dégoût de n'être pas assez admirés de ceux qui nous connoissent trop, et l'espérance de l'être davantage de ceux qui ne nous connoissent pas tant. (ÉD. I*.)

1. VAR.: La durée de l'amour, et ce qu'on appelle ordinairement la constance, sont deux sortes de choses bien différentes : la première vient.... (Manuscrit.)

2. Le manuscrit et l'édition de 1665 ajoutent ici : « comme dans une source inépuisable. »

3. Le commencement de cette réflexion n'est que la répétition de la précédente.

4. VAR.: de ce qu'on se fait. (1666, 1671 et 1675.)

5. VAR..... de ce qu'on se fait un honneur de tenir sa parole. (Manuscrit et 1665.)

6. Voyez la maxime 577, et la note.

7. VAR.: les connoissances nouvelles. (1665.)

8. VAR. que le dégoût que nous avons de n'être pas. (1665.)

9. VAR. et l'espérance que nous avons de l'être davantage de

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ceux qui ne nous connoissent guère. (1665.)

CLXXIX

Nous nous plaignons quelquefois légèrement de nos amis pour justifier par avance notre légèreté1. (ÉD. 1*.)

CLXXX

Notre repentir n'est pas tant un regret du mal que nous avons fait, qu'une crainte de celui qui nous en peut arriver'. (ED. 1*.)

CLXXXI

Il y a une inconstance qui vient de la légèreté de l'esprit' ou de sa foiblesse, qui lui fait recevoir toutes les opinions d'autrui, et il y en a une autre, qui est plus excusable, qui vient du dégoût des choses'. (ÉD. 1*.)

CLXXXII

Les vices entrent dans la composition des vertus,

1. VAR.: On se plaint de ses amis pour justifier sa légèreté. (Manuscrit.) — Voyez la 18o des Réflexions diverses.

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2. VAR. Notre repentir n'est pas une douleur du mal que nous avons fait ; c'est une crainte de celui qui nous en peut arriver. (1665.) Notre repentir ne vient point du regret de nos actions, mais du dommage qu'elles nous causent. (Manuscrit.)

3. L'édition de 1665 ajoute ici : « qui change à tout moment d'opi

nion. »

4. L'édition de 1665 n'a pas cette conjonction.

5. VAR.: qui vient de la fin du gout des choses. (1665.) — Il y a deux sortes d'inconstance : l'une qui vient de la légèreté de l'esprit, qui à tout moment change d'opinion, ou plutôt de la pauvreté de l'esprit, qui reçoit toutes les opinions des autres; l'autre, qui est plus excusable, qui vient de la fin du goût des choses. (Manuscrit.)

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comme les poisons entrent dans la composition des remèdes1 la prudence les assemble et les tempère, et elle s'en sert utilement contre les maux de la vie. (ÉD. 1*.)

CLXXXIII

Il faut 'demeurer d'accord, à l'honneur de la vertu, que les plus grands malheurs des hommes sont ceux où ils tombent par les crimes. (ÉD. 5*.)

CLXXXIV

Nous avouons nos défauts, pour réparer par notre sincérité le tort qu'ils nous font dans l'esprit des autres3. (ÉD. I*.)

1. L'édition de 1665 ajoutait ici : « de la médecine. » Pascal (Pensées, article XII, 12): « Nous ne nous soutenons pas dans la vertu par notre propre force, mais par le contre-poids de deux vices opposés, comme nous demeurons debout entre deux vents contraires. » - Selon Vauvenargues (Introduction à la Connoissance de l'esprit humain, livre III, 43, et 1er Discours sur la Gloire, OEuvres, p. 53 et p. 128), dans ce mélange, c'est la vertu qui domine, et le vice n'obtient point d'hommage réel; si les vices vont au bien, c'est qu'ils sont mêlés de vertus, de patience, de tempérance, de courage, etc. 2. VAR. Il faut demeurer d'accord, pour l'honneur de la vertu.... leurs crimes. (Manuscrit.) — Selon Vigneul-Marville, c'est-à-dire par le chartreux dom Bonaventure d'Argonne (Mélanges d'histoire et de littérature, 1725, tome I, p. 325), « cette maxime a été faite pour le chevalier de Rohan, qui, après une vie d'aventures et de désordres, fut décapité en 1674. » — Il nous paraît douteux que la Rochefoucauld ait eu particulièrement en vue le chevalier de Rohan; sa pensée a une application plus générale, et par conséquent une portée plus grande.

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3. VAR.: Nous avouons nos défauts, pour réparer le préjudice qu'ils nous font dans l'esprit des autres, par l'impression que nous donnons de la justice du nôtre. (Manuscrit.) Nous avouons nos défauts, afin qu'en donnant bonne opinion de la justice de notre esprit, nous répa

CLXXXV

Il y a des héros en mal comme en bien1. (ÉD. 1.)

CLXXXVI

On ne méprise pas tous ceux qui ont des vices, mais on méprise tous ceux qui n'ont aucune vertu2. (ÉD. 1*.)

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rions le tort qu'ils nous ont fait dans l'esprit des autres. (1665.) - Mme de Sablé (maxime 16): « Il n'y a pas plus de raison de trop s'accuser de ses défauts que de s'en trop excuser: ceux qui s'accusent par excès, le font souvent pour ne pouvoir souffrir qu'on les accuse, ou par vanité de faire croire qu'ils savent confesser leurs défauts. > Mme de Sablé dit encore (maxime 6): « Être trop mécontent de soi est une foiblesse; être trop content de soi est une sottise. » — Voyez les maximes 149, 327, 383, 554, 609, la note de la maxime 315, et la 5o des Réflexions diverses.

1. Selon l'annotateur contemporain, le nom de héros ne s'emploie jamais à mal. — Duplessis (p. 167) fait observer que l'auteur « a voulu dire simplement que le crime donne la célébrité comme la vertu. »

Peut-être la Rochefoucauld pensait-il, comme J. J. Rousseau (Discours sur la vertu la plus nécessaire aux héros), que la force d'âme est ce qui constitue le héros; or cette force d'âme peut s'employer au mal comme au bien. J. Esprit (tome II, p. 52): « Ne pourroit-on pas.... dire qu'il y a des héros en mal comme il y a des héros en bien, puisqu'on voit des gens avoir dessein de rendre leurs crimes et leurs forfaits illustres? >>

2. Comme ce Crispinus dont parle Juvénal (satire Iv, vers 2):

A vitiis monstrum nulla virtute redemptum.

VAR.: « On

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« Monstre que nulle vertu ne rachetait de ses vices. › peut hair et mépriser les vices, sans hair ni mépriser les vicieux; mais on a toujours du mépris pour ceux qui manquent de vertu. (1665.) éditions de 1666 et de 1671, qui commencent comme celle de 1665, finissent ainsi : « mais on ne sauroit ne point mépriser ceux qui n'ont aucune vertu. » — Le manuscrit disait plus vivement : « On hait souvent les vices; mais on méprise toujours le manque de vertu. » — La rédaction définitive ne date que de la 4o édition (1675).

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