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DE

M. LE BARON DE GRIMM.

PREMIÈRE LETTRE

De M. GRIMM à l'auteur du Mercure la Littérature allemande. (1)

sur

IL faut donc, Monsieur, puisque vous le voulez, entretenir vos lecteurs de la littérature allemande. Ce sujet aura sans doute pour eux le mérite de la nouveauté; mais j'ai grand'peur que leurs préjugés ne lui soient peu favorables. Plusieurs d'entr'eux ignorent qu'il y ait une littérature allemande, et peut-être ne sont-ce pas ceux-là qui en pensent le moins avantageusement. Des beaux - esprits allemands! quels termes pour des oreilles françaises! Cependant

(1) Voyez le même sujet traité, sinón avec plus d'agrément, au moins avec plus de profondeur, dans les Observations historiques sur la Littérature Allemande, par un Français (M. L.-Th. Hérissant), nouvelle édition. (Ratisbonne) 1781 ; petit in-8°. ( Note de l'Editeur.)

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l'esprit, ainsi que la sottise, est de toutes les nations. Horace et Mévius, Boileau et Cotin ont été compatriotes ; et si la Thrace a eu ses Orphées, pourquoi l'Allemagne n'aurait-elle pas ses poètes? Il n'y a pas cent ans que la patrie de Shakespear, de Milton, du comte de Rochester, passait en France pour un pays barbare, où les belles - lettres et la poésie ne pouvaient avoir d'accès; et je pense qu'une telle expérience est très - propre à nous donner de la circonspection, et à nous apprendre, une fois pour toutes, que ce n'est point le climat qui donne ou ôte le génie, et que ce don céleste vient de plus loin.

Tout ce qui porte l'empreinte du génie, de quelque part qu'il vienne, mérite l'attention et l'estime de l'homme de goût. Laissons aux républiques politiques cet esprit de prédilection pour les enfans nés dans leurs murs. Dans la république des lettres nous ne devons méconnaître pour concitoyens que ceux qui sont nés sans talens et sans goût pour les beaux-arts. Tous ceux qui les aiment et qui s'y connaissent, sont nos compatriotes; le pays n'y fait rien. Pour moi, du moins, qui fais peu de cas de la querelle des nations sur leurs avantages réciproques, je ne reconnais aucune différence entr'elles quand il

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s'agit des beaux-arts, et je suis aussi glorieux et aussi fier des talens et des ouvrages de l'auteur de Zaïre, que si j'étais né à Paris ou qu'il fût né au sein de l'Allemagne. Les génies supérieurs sont des présens que la nature fait à Thumanité qu'ils éclairent, et non pas à leur patrie qui souvent les méconnaît.

A prendre même les choses dans un autre sens, la France a encore des raisons particulières de se glorifier du progrès de la poésie et des belles-lettres en Allemagne. Ce sont les grands hommes qu'elle a produits, qui nous ont appris, sinon l'art de penser, l'art peut-être encore plus difficile de développer nos pensées, de leur donner cette forme élégante et ce tour agréable qui font toujours valoir le fond des choses, et qui souvent en tiennent lieu. Les Boileau, les Corneille, les Raciné, les Fontenelle, les Voltaire ont été nos maîtres; et cette admiration et cette reconnaissance qui leur sont dues, trop faciles peut-être à s'éteindre chez leurs descendans, ils les trouveront étérnellement parmi leurs élèves.

Je sais bien, Monsieur, et je l'avoue sans honte, que je n'aurai point de génies à célébrer qui soient dignes de figurer à côté de ces hommes célèbres. Nous n'avons point de Molière ;

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