79 DU CONTRACT SOCIAL; OU PRINCIPES DU DROIT POLITIQUE. LIVRE III. VANT de parler des diverfes A formes de Gouvernement, tâchons de fixer le fens précis de ce mot, qui n'a pas encore été fort bien expliqué. JAV CHAPITRE I Du Gouvernement en général. 'AVERTIS le Lecteur que ce chapitre doit être lu pofément, & que je ne fais pas l'art d'être clair pour qui ne veut pas être attentif. TOUTE action libre a deux caufes qui concourent à la produire : l'une morale, favoir la volonté qui détermine l'acte; l'autre phyfique, favoir la puiffance qui l'exécute. Quand je marche vers un objet, il faut premiérement que j'y veuille aller; en fecond lieu, que mes pieds m'y portent. Qu'un paralytique veuille courir, qu'un homme agile ne le veuille pas, tous deux refteront en place. Le corps politique a les mêmes mobiles: on y diftingue de même la force & la volonté; celle-ci fous le nom de puiffance législative, l'autre fous le nom de puiffance exécutive. Rien ne s'y fait ou ne s'y doit faire fans leur concours. Nous avons vu que la puiffance légiflative appartient au Peuple, & ne peut appartenir qu'à lui. Il est aifé de voir au contraire, par les principes ci-devant établis, que la puiffance exécutive ne peut appartenir à la généralité comme Législatrice ou Souveraine; parce que cette puiffance ne consiste qu'en des actes particuliers qui ne font point du reffort de la loi, ni par conféquent de celui du. Souverain, dont tous les actes ne peuvent être que des loix. Il faut donc à la force publique un agent propre qui la réuniffe & la mette en œuvre felon les directions de la volonté générale, qui ferve à la communication de l'Etat & du Souverain, qui faffe en quelque forte dans la perfonne publique ce que fait dans l'homme l'union de l'ame & du corps. Voilà quelle eft dans l'Etat la raison du Gouvernement, confondu mal à propos avec le Souverain, dont il n'eft que le Miniftre. QU'EST-CE donc que le Gouvernement? Un Corps intermédiaire établi entre les Sujets & le Souverain pour leur mutuelle correfpondance, chargé de l'exécution des loix, & du maintien de la liberté, tant civile que politique. LES Membres de ce Corps s'appellent Magiftrats ou Rois, c'est-à-dire, Gouverneurs, & le Corps entier le nom de Prince.* Ainfi ceux qui prétendent que l'acte par lequel un Peuple fe foumet à des Chefs n'eft point un contract, ont grande raison. Ce n'eft abfolument qu'une commission, un emploi, dans lequel, fimples Officiers du Souverain, ils exercent en fon nom le pouvoir dont il les a fait dépofitaires, & qu'il peut limiter, modifier & reprendre quand il lui plaît, l'aliénation d'un tel droit étant incompatible avec la nature du Corps focial, & contraire au but de l'affociation. J'APPELLE donc Gouvernement ou fu * C'eft ainfi qu'à Venife on donne au Collége le nom de Séréniffime Prince, même quand le Doge n'y affifte pas. CONTRACT prême administration, l'exercice légitime de la puiffance exécutive; & Prince ou Magiftrat, l'Homme ou le Corps chargé de cette administration. C'EST dans le Gouvernement que fe trouvent les forces intermédiaires, dont les rap-. ports compofent celui du tout au tout ou du Souverain à l'Etat. On peut représenter ce dernier rapport par celui des extrêmes. d'une proportion continue, dont la moyenne proportionnelle eft le Gouvernement. Le Gouvernement reçoit du Souverain les ordres qu'il donne au Peuple, & pour que l'Etat foit dans un bon équilibre, il faut, tout compenfé, qu'il y ait égalité entre le produit ou la puiffance du Gouvernement pris en lui-même, & le produit ou la puissance des Citoyens, qui font fouverains d'un côté & fujets de l'autre. De plus, on ne fauroit altérer aucun des trois termes fans rompre à l'inftant la proportion. Si le Souverain veut gouverner, ou file Magiftrat veut donner des loix, ou files Sujets refusent d'obéir, le défordre fuccede à la regle, la force & la volonté n'agiffent plus de concert, & l'Etat diffous. tombe ainfi dans le defpotifme ou dans l'anarchie. Enfin, comme il n'y a qu'une moyenne proportionnelle entre chaque rapport, il n'y a non plus qu'un bon gouvernement poffi ble dans un Etat. Mais comme mille événements peuvent changer les rapports d'un Peuple, non-feulement différents Gouvernements peuvent être bons à divers Peuples, mais au même Peuple en différents temps, POUR tâcher de donner une idée des divers rapports qui peuvent regner entre ces deux extrêmes, je prendrai pour exemple le nombre du Peuple, comme un rapport plus facile à exprimer. SUPPOSONS que l'Etat foit compofé de dix mille Citoyens. Le Souverain ne peut être confidéréque collectivement & en corps; mais chaque Particulier en qualité de Sujet eft confidéré comme individu: ainfi le Souverain eft au Sujet comme dix mille eft à un; c'eft-à-dire que chaque membre de l'Etat n'a pour fa part que la dix-millienne partie de l'autorité fouveraine, quoiqu'il lui föit foumis tout entier. Que le Peuple foit compofé de cent mille hommes, l'état des Sujets ne change pas, & chacun porte également tout l'empire des loix, tandis que fon fuffrage, réduit à un cent-millieme, a dix fois moins d'influence dans leur rédaction. Alors le Sujet reftant toujours un, le rapport du Souverain augmente en raison du nombre des Citoyens. D'où il fuit que plus l'Etat s'agrandit, plus la liberté diminue. QUAND je dis que le rapport augmente, |