Page images
PDF
EPUB

le droit de le faire esclave ne vient donc pas du droit de le tuer : c'est donc un échange inique, de lui faire acheter au prix de fa liberté fa vie fur laquelle on n'a aucun droit. En établiffant le droit de vie & de mort fur le droit d'esclavage, & le droit d'efclavage fur le droit de vie & de mort, n'eft-il pas clair qu'on tombe dans le cercle vicieux?

EN fuppofant même ce terrible droit de tout tuer, je dis qu'un efclave fait à la guerre, ou un Peuple conquis, n'est tenu à rien du tout envers fon maître, qu'à lui obéir autant qu'il y eft forcé. En prenant un équivalent à fa vie, le vainqueur ne lui en a point fait grace: au lieu de le tuer fans fruit, il l'a tué utilement. Loin donc qu'il ait acquis fur lui nulle autorité jointe à la force, l'état de guerre fubfifte entre eux comme auparavant, leur relation même en eft l'effet, & l'ufage du droit de la guerre ne fuppofe aucun Traité de paix. Ils ont fait une convention; foit mais cette convention, loin de détruire l'état de guerre, en fuppofe la continuité.

AINSI, de quelque fens qu'on envisage les chofes, le droit d'esclave eft nul, nonfeulement parce qu'il eft illégitime, mais parce qu'il eft abfurde & ne fignifie rien. Ces mots esclavage & droit font contradictoires; ils s'excluent mutuellement. Soit d'un homme à un homme, foit d'un homme

à un Peuple, ce difcours fera toujours également infenfé: Je fais avec toi une convention toute à ta charge & toute à mon profit, que j'obferverai tant qu'il me plaira, &que tu obferveras tant qu'il me plaira.

CHAPITRE V.

Qu'il faut toujours remonter à une premiere convention.

QUA

UAND j'accorderois tout ce que j'ai réfuté jufqu'ici, les fauteurs du defpotifme n'en feroient pas plus avancés. Il y aura toujours une grande différence entre foumettre une multitude & régir une fociété. Que des hommes épars foient fucceffivement affervis à un feul, en quelque nombre qu'ils puiffent être; je ne vois là qu'un maître & des efclaves, je n'y vois point un Peuple & fon Chef: c'eft fi l'on veut une aggrégation, mais non pas une af fociation; il n'y a là, ni bien public, ni corps politique. Cet homme, eût-il affervi la moitié du monde, n'eft toujours qu'un particulier; fon intérêt, féparé de celui des autres, n'eft toujours qu'un intérêt privé. Si ce même homme vient à périr, fon empire après lui refte épars & fans liaison, comme un

[ocr errors]

chêne fe diffout & tombe en un tas de cendres, après que le feu l'a confumé.

UN Peuple, dit Grotius, peut fe donner à un Roi. Selon Grotius un Peuple eft donc un Peuple avant de se donner à un Roi. Ce don même est un acte civil, il suppose une délibération publique. Avant donc que d'examiner l'acte par lequel un Peuple élit un Roi, il feroit bon d'examiner l'acte par lequel un Peuple est un Peuple; car cet acte étant néceffairement antérieur à l'autre, eft le vrai fondement de la fociété.

En effet, s'il n'y avoit point de convention antérieure, où feroit, à moins que l'élection ne fût unanime, l'obligation pour le petit nombre de fe foumettre au choix du grand; & d'où cent qui veulent un maître ont-ils le droit de voter pour dix qui n'en veulent point? La loi de la pluralité des fuffrages eft elle-même un établissement de convention, & fuppofe au moins une fois l'unanimité.

J

CHAPITRE VI.

Du Pacte focial.

E SUPPOSE les hommes parvenus à ce point où les obftacles qui nuifent à leur confervation dans l'état de nature, l'empor

tent par leur réfiftance fur les forces que chaque individu peut employer pour se maintenir dans cet état. Alors cet état primitif ne peut plus fubfifter, & le genre humain périroit s'il ne changeoit fa maniere d'être.

OR comme les hommes ne peuvent engendrer de nouvelles forces, mais feulement unir & diriger celles qui exiftent, ils n'ont plus d'autre moyen pour se conferver, que de former par aggrégation une fomme de forces qui puiffe l'emporter fur la résistance, de les mettre en jeu par un feul mobile, & de les faire agir de concert.

CETTE fomme de forces ne peut naître que du concours de plufieurs: mais la force & la liberté de chaque homme étant les premiers inftruments de fa conservation, comment les engagera-t-il fans fe nuire, & fans négliger les foins qu'il fe doit? Cette difficulté ramenée à mon fujet peut s'énon

cer en ces termes.

[ocr errors]
[ocr errors]

وو

[ocr errors]

TROUVER une forme d'affociation qui défende & protege de toute la force commune la perfonne & les biens de chaque affocié, & par laquelle chacun s'uniffant à tous n'obéiffe pourtant qu'à lui-même & refte auffi libre qu'auparavant?,, Tel est le problême fondamental dont le Contract focial donne la folution.

[ocr errors]
[ocr errors]

LES claufes de ce Contract font tellement

déterminées par la nature de l'acte, que la moindre modification les rendroit vaines & de nul effet; en forte que, bien qu'elles n'ayent peut-être jamais été formellement énoncées, elles font par-tout les mêmes, par-tout tacitement admifes & reconnues; jufqu'à ce que, le pacte focial étant violé, chacun rentre alors dans fes premiers droits, & reprenne fa liberté naturelle en perdant la liberté conventionnelle pour laquelle il y

renonça.

CES claufes bien entendues fe réduisent toutes à une feule, favoir l'aliénation totale de chaque affocié avec tous fes droits à toute la communauté : car premiérement, chacun se donnant tout entier, la condition est égale pour tous, & la condition étant égale pour nul n'a intérêt de la rendre onéreuse aux autres.

tous,

DE PLUS, l'aliénation fe faifant fans réferve, l'union eft auffi parfaite qu'elle peut l'être, & nul affocié n'a plus rien à réclamer: car s'il reftoit quelques droits aux particuliers, comme il n'y auroit aucun fupérieur commun qui pût prononcer entre eux & le Public, chacun, étant en quelque point fon propre juge, prétendroit bientôt l'être en tous; l'état de nature fubfifteroit, & l'affociation deviendroit néceffairement tyrannique ou vaine.

3

« PreviousContinue »