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CHAPITRE XVIII.

Moyen de prévenir les ufurpations du Gouvernement.

DE

E ces éclairciffements il réfulte en confirmation du Chapitre XVI. que l'acte qui inftitue le Gouvernement n'eft point un contract, mais une Loi; que les dépofitaires de la puiffance exécutive ne font point les maîtres du Peuple, mais fes Officiers; qu'il peut les établir & les deftituer quand il lui plaît; qu'il n'est point question pour eux de contracter, mais d'obéir; & qu'en fe char geant des fonctions que l'Etat leur impose, ils ne font que remplir leur devoir de Citoyens, fans avoir en aucune forte le droit de difputer fur les conditions.

QUAND donc il arrive que le Peuple inftitue un Gouvernement héréditaire, foit monarchique dans une famille, foit ariftocratique dans un ordre de Citoyens, ce n'eft point un engagement qu'il prend; c'est une forme provifionnelle qu'il donne à l'administration, jufqu'à ce qu'il lui plaife d'en ordonner autrement.

IL eft vrai que ces changements font toujours dangereux, & qu'il ne faut jamais tou

cher au Gouvernement établi que lorsqu'il devient incompatible avec le bien public : mais cette circonspection eft une maxime de politique, & non pas une regle de droit; & l'Etat n'eft pas plus tenu de laiffer l'autorité civile à fes Chefs, que l'autorité militaire à fes Généraux.

IL eft vrai encore qu'on ne fauroit en pareil cas obferver avec trop de foin toutes les formalités requifes pour diftinguer un acte régulier & légitime, d'un tumulte féditieux, & la volonté de tout un Peuple, des clameurs d'une faction. C'est ici furtout qu'il ne faut donner au cas odieux que ce qu'on ne peut lui refufer dans toute la rigueur du droit, & c'eft auffi de cette obligation que le Prince tire un grand avantage pour conferver fa puiffance malgré le Peuple, fans qu'on puiffe dire qu'il l'ait ufurpée car en paroiffant n'ufer que de fes droits, il lui eft fort aifé de les étendre, & d'empêcher, fous le prétexte du repos public, les affemblées deftinées à rétablir le bon ordre; de forte qu'il fe prévaut d'un filence qu'il empêche de rompre, ou des irrégularités qu'il fait commettre, pour suppofer en fa faveur l'aveu de ceux que la crainte fait taire, & pour punir ceux qui ofent parler. C'est ainsi que les Décemvirs ayant été d'abord élus pour un an, puis

continués pour une autre année, tenterent de retenir à perpétuité leur pouvoir, en ne permettant plus aux Comices de s'affembler; & c'est par ce facile moyen que tous les Gouvernements du monde, une fois revêtus de la force publique, ufurpent tôt ou tard l'autorité fouveraine.

LES Affemblées périodiques dont j'ai parlé ci-devant, font propres à prévenir ou différer ce malheur, fur-tout quand elles n'ont pas befoin de convocation formelle: car alors le Prince ne fauroit les empêcher, fans fe déclarer ouvertement infracteur des Loix & ennemi de l'Etat.

L'OUVERTURE de ces affemblées, qui n'ont pour objet que le maintien du Traité focial, doit toujours fe faire par deux propofitions qu'on ne puiffe jamais fupprimer, & qui paffent féparément par les fuffrages. LA PREMIERE; s'il platt au Souverain de conferver la préfente forme de Gouvernement.

LA SECONDE; s'il platt au Peuple d'en laiffer l'administration à ceux qui en font actuellement chargés.

Je fuppofe ici ce que je crois avoir démontré, favoir qu'il n'y a dans l'Etat aucune Loi fondamentale qui ne fe puiffe révoquer, non pas même le pacte focial; car fi tous les Citoyens s'affembloient pour

rompre ce pacte d'un commun accord, on ne peut douter qu'il ne fût très-légitime ment rompu. Grotius pense même que chacun peut renoncer à l'Etat dont il eft membre, & reprendre fa liberté naturelle & fes biens en fortant du Pays. * Or il fe roit abfurde que tous les Citoyens réunis ne puffent pas ce que peut féparement cha cun d'eux.

*Bien entendu qu'on ne quitte pas pour élu der fon devoir & fe difpenfer de fervir fa Patrie au moment qu'elle a befoin de nous. La fuite alors feroit criminelle & puniffable; ce ne feroit plus retraite, mais défertion.

Fin du Livre troisieme.

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CHAPITRE I

Que la volonté générale eft indestructible.

ANT que plufieurs hommes réu

CT nis fe confiderent comme un seul )

corps, ils n'ont qu'une feule volonté, qui fe rapporte à la commune confervation & au bien-être général. Alors tous les refforts de l'Etat font vigoureux & fimples, fes maximes font claires

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