commencer par leur enseigner l'art d'obéir. Les plus grands Rois qu'ait célébré l'histoire n'ont point été élevés pour regner; c'est une science qu'on ne possede jamais moins qu'après l'avoir trop apprisfe, & qu'on acquiert mieux en obéifslant qu'en commandant. Nàm utilissimus idem ac brevissimus bonarum malarumque rerum delectus, cogitare quid aut nolueris fub alio Principe aut volueris. * UNE fuite de ce défaut de cohérence est l'inconstance du Gouvernement royal, qui fe réglant tantôt sur un plan & tantôt fur un autre, felon le caractere du Prince qui regne ou des gens qui regnent pour lui, ne peut avoir long-temps un objet fixe ni une conduite conféquente: variation, qui rend toujours l'Etat flottant de maxime en maxime, de projet en projet, & qui n'a pas lieu dans les autres Gouvernements où le Prince est toujours le même. Aussi voit-on qu'en général, s'il y a plus de ruse dans une Cour, il y a plus de fageffe dans un Sénat, & que les Républiques vont à leurs fins par des vues plus constantes & mieux suivies, au lieu que chaque révolution dans le Miniftere en produit une dans l'Etat; la maxime commune à tous les Ministres, & prefqu'à tous les Rois, étant de prendre en toute * Tacit: hist. L. I. き chose le contre-pied de leur prédécesseur. DE cette même incohérence se tire encore la solution d'un sophisme très-familier aux politiques royaux; c'eft, non-feulement de comparer le Gouvernement civil au Gouvernement domestique & le Prince au pere de famille, erreur déja réfutée, mais encore de donner libéralement à ce Magistrat toutes les vertus dont il auroit besoin, & de suppofer toujours que le Prince est ce qu'il devroit être: supposition à l'aide de laquelle le Gouvernement royal est évidemment préférable à tout autre, parce qu'il est inconteftablement le plus fort, & que pour être aussi le meilleur il ne lui manque qu'une volonté de corps plus conforme à la volonté générale. MAISsi, selon Platon, * le Roi par nature est un personnage fi rare, combien de fois la nature & la fortune concourront-elles à le couronner; & fi l'éducation royale corrompt nécessairement ceux qui la reçoivent, que doit-on espérer d'une suite d'hommes élevés pour regner? C'est donc bien vouloir s'abufer, que de confondre le Gouvernement royal avec celui d'un bon Roi. Pour voir ce qu'est ce Gouvernement en lui-même, il faut le considérer sous des Princes bornés ou méchants; car ils arriveront tels au Trône, ou le Trône les rendra tels. * In civili. : CES difficultés n'ont pas échappé à nos Auteurs, mais ils n'en sont point embarrafsés. Le remede est, disent-ils, d'obéir sans murmure. Dieu donne les mauvais Rois dans sa colere, & il les faut supporter comme des châtiments du Ciel. Ce discours est édifiant, sans doute; mais je ne sais s'il ne conviendroit pas mieux en chaire que dans un livre de politique. Que dire d'un Médecin qui promet des miracles, & dont tout l'art est d'exhorter fon malade à la patience? On fait bien qu'il faut souffrir un mauvais Gouvernement quand on l'a; la question feroit d'en trouver un bon. A CHAPITRE VII. Des Gouvernements mixtes. PROPREMENT parler il n'y a point de Gouvernement fimple. Il faut qu'un Chef unique ait des Magistrats subalternes; il faut qu'un Gouvernement populaire ait un Chef. Ainsi dans le partage de la puissance exécutive il y a toujours gradation du grand nombre au moindre, avec cette différence que tantôt le grand nombre dépend du petit, & tantôt le petit du grand. QUELQUEFOIS il y a partage égal: foit quand les parties constitutives font dans une dépendance mutuelle, comme dans le Gouvernement d'Angleterre; soit quand l'autorité de chaque partie est indépendante, mais imparfaite, comme en Pologne. Cette derniere forme est mauvaise, parce qu'il n'y a point d'unité dans le Gouvernement, & que l'Etat manque de liaison. LEQUEL vaut le mieux, d'un Gouvernement simple ou d'un Gouvernement mixte? Question fort agitée chez les politiques, & à laquelle il faut faire la même réponse que j'ai faite ci-devant sur toute forme de Gouvernement. LE Gouvernement simple est le meilleur en foi, par cela seul qu'il est simple. Mais quand la Puissance exécutive ne dépend pas assez de la législative, c'est-à-dire, quand il y a plus de rapport du Prince au Souverain que du Peuple au Prince, il faut remédier à ce défaut de proportion en divisfant le Gouvernement; car alors toutes ses parties n'ont pas moins d'autorité sur les Sujets, & leur division les rend toutes ensemble moins fortes contre le Souverain. On prévient encore le même inconvénient en établissant des Magistrats intermédiaires, qui, laissant le Gouvernement en son entier, servent seulement à balancer les deux Puissances & à maintenir leurs droits respectifs. Alors le Gouvernement n'est pas mixte, il est tempéré. On peut remédier par des moyens semblables à l'inconvénient oppofé, & quand le Gouvernement est trop lâche, ériger des Tribunaux pour le concentrer. Cela se pratique dans toutes les Démocraties. Dans le premier cas on divise le Gouvernement pour l'affoiblir, & dans le second pour le renforcer; car les maximum de force & de foiblesse se trouvent également dans les Gouvernements fimples, au lieu que les formes mixtes donnent une force moyenne. CHAPITRE VIII. Que toute forme de Gouvernement n'est pas propre à tout Pays. LA A LIBERTÉ n'étant pas un fruit de tous les climats, n'est pas à la portée de tous les Peuples. Plus on médite ce principe établi par Montesquieu, plus on en sent la vérité. Plus on le conteste, plus on donne occafion de l'établir par de nouvelles preuves. DANS tous les Gouvernements du monde la personne publique consomme & ne produit rien. D'où lui vient donc la substance confommée? Du travail de ses membres. |