Tous les livres d'économie politique ne font pas le même bruit et quelques-uns, malgré le nombre de leurs volumes, ne peuvent recevoir de nous qu'une rapide mention. Nous voyons paraître sous le nom d'un des contradicteurs du dernier ouvrage de M. Proudhon, M. Colins, près d'une dizaine de volumes: De la souveraineté1, Science sociale, Société nouvelle, sa nécessité. Tous sont inspirés d'un sentiment profond de spiritualisme et contiennent des polémiques très-vives contre les économistes ou les philosophes, dont les opinions peuvent ébranler les principes de « l'ordre « moral qui doit dominer complétement la matière et qui « constitue l'ordre social réel. » Mais la réfutation de toutes les doctrines subversives tient plus de place ici que l'exposition des doctrines personnelles de l'auteur, et ce qu'il appelle l'ordre social réel tarde bien à s'élever au-dessus des ruines qu'entassent tant de réfutations. M. Colins nous dit bien que « la société nouvelle est la société basée sur la vérité, rendue rationnellement incontestable vis-à-vis « de tous et de chacun; la société exempte de paupé«risme soit moral relatif aux connaissances; soit matériel, relatif aux richesses. » Mais c'est là un but marqué à la science; on attend la science des moyens de l'atteindre.

Nous devons signaler comme une des productions de la science économique les plus heureusement empreintes d'un esprit philosophique et littéraire, les Études de philosophie morale et d'économie politique, par MM. Baudrillart. Élévation des sentiments et des idées, science précise, clarté et élégance du style, telles sont les qualités que l'auteur doit à la fois à la nature de son talent, à l'exercice de l'enseignement et à l'habitude d'écrire dans les revues et pour les

2. In-8°, t. V. Ibid.

3. In-8°, 2 vol.; ibid. - 4. 2 vol. in-12. Guillaumin et Cie.

concours académiques. Les études économiques n'envahissent pas tout le livre; ainsi Voltaire y est considéré comme philosophe et comme historien; la Révolution française est l'objet de considérations très-générales, et à côté d'articles sérieux sur le principe de la propriété, la solidarité économique, les rapports du travail et du capital, on retrouve avec plaisir de remarquables essais littéraires : l'Éloge de Mme de Staël et l'Éloge de Turgot, couronnés l'un et l'autre par l'Académie française.

Un grand succès académique recommande aussi le Manuel de morale et d'économie politique à l'usage des classes ouvrières, de M. J. J. Rapet1. Ce livre a obtenu de l'Académie des sciences morales et politiques le prix extraordinaire de 10 000 francs. Malgré d'estimables qualités de composition, on doute que ce livre, destiné à la classe ouvrière, arrive à son adresse; les matières qu'il traite, la multitude des questions qu'il aborde, discute et résout, supposent des lecteurs instruits et qui ont des loisirs. L'homme du monde trouvera du moins dans ce manuel les principes les plus irréprochables groupés dans un cadre très-intéressant.

Le même esprit moral règne dans le livre de M. Victor Modeste, intitulé: du Pauperisme en France, Etat actuel, causes, remèdes possibles. Convaincu que le paupérisme est inséparable de toutes les sociétés humaines, et que la civilisation ne peut qu'en varier les formes sans le détruire, l'auteur attend surtout de l'effort individuel, de la patience, de la force de la volonté, de la tempérance, du travail, du respect de soi même, la victoire de chacun, pour lui-même et pour sa famille, sur la misère qui peut l'atteindre. Il enseigne à lutter, à combattre contre un mal qu'on ne

1. In-12. Guillaumin et Cie. 2. Fort in-8°; même librairie.

peut supprimer. Qu'on juge du souffle qui anime tout ce livre, par ces quelques lignes:

Le monde est une vicissitude sans fin.... Oui, il est bien vrai, tout se fait, tout se conquiert, toute conquête se maintient, mais à la condition de la perpétuité de l'effort. Agissons donc. L'action, puis l'action et l'action encore, voilà le grand recours, suivant le mot de l'orateur antique : « Nous savons maintenant la route; aidons-nous pour que le ciel nous aide.»

Peut-être ne respire-t-on pas assez de cette morale : « aide-toi, le ciel t'aidera, » dans le livre de M. J. Lepelletier de la Sarthe, intitulé: Illusions et réalités ou Régénération des peuples'. On y trouve du moins les plus saines doctrines, résumées très-nettement par ces deux devises: Illusion incrédulité, indifférence, égoïsme, décadence; Réalité: foi, espérance, charité, progrès. C'est par le triomphe de toutes ces vertus sur les sentiments contraires, que se réalisera le seul perfectionnement possible de l'homme et le bonheur de la société.

Nous ne pouvons indiquer ici les ouvrages d'économie politique qui traitent de questions tout à fait spéciales, des faits de la statistique, des questions de circonstances, touchant l'ordre moral ou matériel. Quelques-uns pourtant ont de l'importance ou de l'intérêt; tel est, par exemple, le livre de M. Audiganne intitulé les Chemins de fer aujourd'hui et dans cent ans chez tous les peuples, économie financière et industrielle, politique et morale des voies ferrées"; telles sont les Études sur la propriété littéraire en France et en Angleterre, par M. Édouard Laboulaye, suivies des trois discours prononcés au parlement par sir T. N. Talfourd3, l'une des publications les plus sérieuses auxquelles ait donné lieu une question, mise cette année avec tant d'éclat,

1. In-8°. Guillaumin et Cie. 2. In-8°, t. I. Capelle. 3. In-8°. Aug. Durand.

à l'ordre du jour; telle serait enfin, pour la singularité du contraste entre son début et ses conclusions, le livre intitulé Le Messianisme, Organisation générale, par M. Jean Brunet'. Le début, le voici : « Dieu m'a dit : « Jean, tu es mon

élu parmi les hommes ; je t'ai pris au cœur de la France, << dans la nombreuse famille d'un bon soldat, et je t'ai sou« mis à de rudes épreuves, pour étendre tes facultés de « dévouement. C'est que je te destinais à remplir une grande mission. Le temps d'agir est venu. Écoute-moi.» La conclusion est un projet d'embellissement des rues de Paris!

1. In-8°. Cherbuliez. Du même auteur, sept autres publications dont la plus volumineuse est intitulée: Organisation vitale de la terre, Vie minérale.

CRITIQUE D'ART.

ESTHÉTIQUE.

1

Un premier fascicule d'une œuvre collective: le Dictionnaire de l'Académie des beaux-arts.

La littérature artistique, ou, comme on dit plus ordinairement, la critique d'art, en attendant que nous ayons entièrement naturalisé le nom, toujours un peu allemand, d'Esthétique, est représentée en France par des publications de plus en plus nombreuses. La plus importante qu'ait produite ou plutôt inaugurée l'année 1858, est encore un dictionnaire; car nulle autre année n'a mieux marqué la tendance de notre époque à tout ramener, arts, sciences, histoire, à la forme analytique et commode des répertoires alphabétiques. L'Académie française a posé enfin les premières assises de son Dictionnaire historique. A lui seul, M. B. Lafaye a élevé à la philosophie de la langue, un monument complet dans son Dictionnaire des synonymes. Nous-même nous avons, dans le Dictionnaire des Contemporains, essayé de ramener à la même forme, toute l'histoire contemporaine. Le nouveau dictionnaire consacré à l'art est encore un dictionnaire d'Académie; seulement il s'agit ici de l'Académie des beaux-arts.

Le Dictionnaire de l'Académie des beaux-arts1 est ou plutôt sera l'œuvre de toutes les sections réunies de ce grand corps.

1. 1658, t. I, grand in-8°, 192 pages. Didot.