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peuple si déprécié par les préjugés populaires, si exalté au contraire par quelques sinalogues. Mais il faudra à coup sûr encore bien du temps, pour que des relations plus précises, plus complètes et plus sûres, viennent remplacer le livre de la Vie réelle en Chine.

SCIENCES MORALES ET POLITIQUES.

La philosophie et toutes les sciences morales et politiques dont elle est le centre, n'appartiennent guère à la littérature par la gravité de leurs sujets; mais elles en deviennent souvent une partie importante par le talent des hommes qui les cultivent. Un moraliste, un psychologue, un métaphysicien, un docteur même en exégèse et en controverse religieuse, peut prendre rang parmi les premiers écrivains d'une époque. Sans remonter vers un passé lointain qui nous offrirait dans des philosophes et des théologiens les plus illustres représentants de la langue, on peut remarquer que, même de nos jours, c'est parmi les maîtres de la pensée que se sont trouvés aussi souvent les maîtres de la parole et du style. Les philosophes ont-ils tort de vouloir bannir de leur école, tout en les couronnant de roses, les artistes, les poëtes, les hommes de l'imagination et du beau langage? Nous n'oserions le soutenir; mais à coup sûr, les littérateurs, les poëtes, les artistes auraient le plus grand tort de vouloir bannir de chez eux les philosophes. Ils se décimeraient eux-mêmes, ils se fermeraient les sources de l'inspiration, où ils puisent à leur insu peut-être, en repoussant ceux qui les font jaillir jusqu'au milieu d'eux.

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Livres de théorie philosophique et morale: MM. E. Vacherot, Decorde, R. P. Taparelli d'Azeglio, Pelletan, A. Nicolas, Flourens.

Parmi les productions purement philosophiques de l'année 1858, nous n'en voyons point qui aient vivement frappé les regards par le mérite littéraire. Il y a plus: nous voyons peu d'œuvres qui aient produit une sensation un peu considérable par leur importance philosophique. Une seule nous paraît trancher sur toutes les autres par la vigueur de la pensée, l'esprit de franchise, l'élévation des principes; c'est le livre de M. Etienne Vacherot, intitulé : La Métaphysique et la science, ou Principes de métaphysique positive. Nous reviendrons plus tard sur cette publication qui date des derniers jours de l'année et dont l'analyse et l'appréciation réclament une étude approfondie.

Les livres de cette portée métaphysique sont rares et la théorie philosophique des droits et des devoirs est abordée plus facilement que la doctrine des rapports de l'homme avec le monde et avec Dieu. Nous enregistrons en passant un Exposé d'une nouvelle doctrine philosophique par M. Decorde, livre inspiré de tendances spiritualistes, mais où la nouveauté est moins dans les idées que dans le langage, et nous rencontrons parmi les ouvrages de morale l'Essai théorique du droit naturel basé sur les faits, par le révérend père Taparelli d'Azeglio de la Compagnie de Jésus. Ce livre, entrepris dans un intérêt d'orthodoxie religieuse, que l'auteur ne dissimule pas, a cependant toutes les allures d'un livre de science philosophique. Son

1. 2 vol. in-8°. Chamerot.

2. In-8°. Ladrange.

3. In-8°. Tournay, Castermann.

objet est surtout de déterminer les conditions normales de l'organisation politique et du développement moral des sociétés. Par une méthode de déduction, l'auteur veut ramener la science du droit aux premiers principes de la morale, pour en tirer ensuite avec rigueur les conséquences les plus éloignées. Il repousse la morale des idéalistes qui est, selon lui, « la morale de la raison pure et non celle de la raison humaine, [et qui] a produit le stoïcisme; il rejette également la morale sensualiste qui est la morale du corps et qui produit l'épicuréisme. «Entre ces théories extrêmes, ajoute-t-il, vient se placer la morale de l'homme; elle veut unir et non séparer les deux éléments de la nature humaine; elle accorde le premier rang à l'esprit, mais elle tient compte du corps, et ne condamne pas absolument toutes les passions. »

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Sage tempérament sans doute, mais qui doit être le résultat d'une conciliation de principes plutôt qu'un principe lui-même. L'auteur examine successivement et longuement 1° l'action individuelle, ou l'acte humain considéré dans l'individu; 2° l'acte social ou la société; 3o les lois de la formation des sociétés naturelles; 4o les lois régulatrices d'une société déjà formée; 5o le principe des lois politiques; 6° les principes du droit international; 7° le droit spécial ou droit naturel appliqué, considéré dans les relations particulières de la société. Dans toutes ces questions, terminées par une analyse raisonnée de tout l'ouvrage, l'auteur suit une méthode de discussion toute scientifique et, pour parvenir à mettre les principes théologiques au-dessus de la philosophie, il emprunte à la philosophie ses propres armes.

Sur les questions fondamentales du droit naturel et social, le R. P. Taparelli d'Azeglio est loin de s'entendre avec M. Eugène Pelletan, auteur des Droits de l'homme'. 1. In-8°. Pagnerre.

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M. Pelletan est un des plus fervents apôtres de la démocratie et de la liberté; mais il veut le triomphe de l'une et de l'autre par la justice. Il combat très-vivement les sophismes par lesquels ce qu'on appelle la raison d'État, justifie la violence et le crime. Pour lui, la démocratie, dégagée de tout alliage impur, est une sorte d'idéal, et les fautes qu'elle a pu commettre, n'atteignent pas sa nature. Il défend en son nom le suffrage universel, persuadé que chez un peuple éclairé par l'éducation, ce terrible instrument cesse d'être dangereux. M. Pelletan s'efforce d'unir dans le même culte la liberté si chère à l'Angleterre et l'égalité qui est le premier besoin de la France; il attend la conciliation de l'une et de l'autre dans la démocratie, avec une foi ardente qui se manifeste par la chaleur du style.

A un ordre d'idées plus calme se rattache la publication des Leçons de philosophie de M. l'abbé Flottes, professeur à la Faculté de lettres de Montpellier, pendant l'année scolaire 1855-1856, recueillies par M*** 1. Quoique non rédigées par le professeur lui-même, ces leçons n'en sont pas moins le résultat fidèle et accepté par lui de son enseignement. Inspirées de ce spiritualisme élevé qui règne, depuis vingt ans, sans partage dans les chaires de l'Université, elles ont pour sujet principal le sentiment religieux considéré comme élément de la constitution morale de l'homme. L'abbé Flottes l'étudie successivement dans ses rapports avec l'élément moral, avec la perfectibilité humaine, avec les conditions de l'ordre social, avec le bonheur; il en passe en revue les différentes formes, y compris le fanatisme et la superstition, et la suivant jusque dans la vie future, éclaire de sa lumière les questions religieuses.

Sur les vingt leçons qui composent ce recueil, les huit dernières sont consacrées à l'étude de quelques-uns des

1. In-8°. Montpellier.

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