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auxquels donna lieu la revendication de la propriété exclusive des Mémoires du duc par le dernier héritier de son nom, les tribunaux décidèrent que l'ancienne publication générale de ces mémoires, mutilée comme elle l'avait été, ne suffisait pas pour faire tomber l'oeuvre dans le domaine public.

Quelles que soient les lumières historiques nouvelles que puisse apporter l'édition récente des Mémoires complets et authentiques du duc de Saint-Simon sur le siècle de Louis XIV et la régence, collationnés sur le manuscrit original par M. Chéruel, elle est particulièrement précieuse au point de vue littéraire par la restitution du style même de l'auteur et de son vrai génie. Voici quelques-unes des nombreuses bévues de détail qui émaillaient les anciennes éditions. Sans s'occuper à les relever, la nouvelle édition n'a eu qu'à suivre le manuscrit, pour les faire disparaître.

On lisait dans Saint-Simon : « Chamillart se fit adorer de ses ennemis. » C'est de ses commis qu'il fallait lire. La différence est grande. On cherchait en vain un sens à cette phrase: << Il n'y eut personne qui ne le louât extrêmement, mais sans louanges. M. de Marsan fit mieux que pas un. » Mettez un point après extrêmement, et le galimatias prend le sens le plus simple. Comment comprendre la bizarrerie inintelligible suivante? « La nouvelle comtesse de Mailly avait apporté tout le gauche de sa province, et entra dessus toute la gloire de la toute puissante faveur de Mme de Maintenon. » Lisez enta, et l'image est aussi claire qu'énergique. Quel non-sens littéraire et quel contre-sens historique dans ces mots : « Le roi, tout content qu'il était toujours, riait aussi!» Une seule lettre changée, « tout contenu qu'il était toujours,» satisfait l'esprit et l'histoire.

Quant aux lacunes que présentaient les éditions préten

1. 1856-1858, 20 vol. in-8°, et 13 vol. in-12. Hachette et Cie.

dues complètes des Mémoires, les plus graves consistaient dans l'omission de toute une suite de portraits; omission singulièrement regrettable dans un écrivain que l'on s'accorde à regarder comme le plus grand peintre de son siècle. Un tableau complet des altérations et des mutilations dont l'œuvre de Saint-Simon avait été jusqu'ici victime, a été présenté aux juges de la Cour impériale par les nouveaux éditeurs, et a déterminé leur arrêt en faveur du propriétaire du manuscrit. Sans entrer dans les questions de propriété littéraire, nous avons dû signaler ici comme un des faits bibliographiques les plus importants la publication dans des conditions semblables d'un des premiers monuments de notre littérature et de notre histoire 1.

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La biographie générale. - Grandes publications antérieures.
Le Dictionnaire universel des Contemporains.

Une des branches des études historiques qui ont pris dans ce siècle-ci le plus de développement est la biographie contemporaine. Elle a la bonne ou la mauvaise fortune d'exciter un extrême intérêt, de passionner le public; elle côtoie toutes sortes d'écueils, exposée à servir volontaire ment ou à son insu, à l'attaque comme à la défense de toutes les causes, assiégée par toutes les sollicitations de la vanité, de l'esprit de parti et des sentiments les plus

1. Rappelons que l'édition de M. Chéruel contient, entre autres accessoires, une Introduction par M. Sainte-Beuve, retraçant les caractères essentiels des Mémoires et du talent de l'auteur et surtout une Table alphabétique des matières et des noms propres, qui fait de cet immense ouvrage un des plus commodes répertoires. Signalons aussi, parmi les études de Saint-Simon dont la nouvelle édition des Mémoires a été l'occasion, celle de M. Taine, dans ses Essais de critique et d'histoire. Voy. ci-dessus, chap. IV, § 2.

contraires, sans parler de ces calculs de la cupidité et de ces manœuvres de la calomnie, en dehors desquels restent toutes les plumes honnêtes. Mais malgré ces dangers, malgré les obstacles sans nombre`qui se dressent autour de l'histoire des choses du présent, rattachée à la vie des hommes qui l'ont accomplie, cette sorte d'histoire est devenue, pour le public intelligent, un besoin que de nombreuses et importantes publications ont été destinées, depuis une trentaine d'années, à satisfaire.

A la grande Biographie universelle qui a reçu et gardé leur nom, les frères Michaud1 avaient préludé par une Biographie moderne des hommes vivants, qui avait été l'objet de poursuites sous le premier Empire, et pendant que les infatigables éditeurs poursuivaient l'exécution de leur monument élevé à toutes les gloires du passé, une société d'hommes de lettres, à la tête desquels étaient Arnault, Jay, de Jouy et Norvins, en élevait un aux célébrités du présent sous le titre de Biographie nouvelle des contemporains. A peine leur travail était-il achevé, que la Biographie universelle et portative des contemporains, de Rabbe, de Boisjolin et Sainte-Preuve3 venait remplir à son tour le même cadre.

Plus près de nous, de nombreuses galeries biographiques ont été ouvertes aux contemporains, parmi lesquelles trois méritent d'être citées : la Biographie des hommes du jour, par MM. Germain Sarrut et Saint-Edme, immense arsenal ouvert aux passions et aux intérêts politiques de l'opposition républicaine et bonapartiste, sous le dernier règne; la Galerie des contemporains illustres, par un Homme de rien, suite de portraits d'une valeur littéraire remarquée;

1. Voir la Nécrologie. Chronique littéraire, chap. XI.

2. 1820-25, 20 vol. in-8°.

3. 1826 et suiv., 5 vol. in-8° à 2 col.

4. 1835-1842, 12 parties in-4°.

5. 1840-1847, 10 vol. in-18.

la Biographie du clergé contemporain, par un Solitaire 1, revue spirituelle et mordante de toutes les notabilités ecclésiastiques. Pendant ce temps-là, à l'exemple du Conversations-Lexicon, allemand, qui a eu tant d'imitations dans toutes les langues, la Biographie des vivants prenait sa place dans la première édition, et surtout dans les Supplėments du Dictionnaire de la conversation et de la lecture, dirigé par M. Duckett2. Quelques grandes publications d'un ordre plus spécial, comme le Dictionnaire d'économie politique de M. Guillaumin3 ont aussi admis les noms contemporains dans une proportion considérable.

Dans les années présentes, l'œuvre de l'Homme de rien a été recommencée, Dieu sait avec quel bruit, par M. de Mirecourt, et presque en même temps, dans un cercle plus spécial, par M. Hippolyte Castille. Puis, tandis que la Biographie universelle de Michaud est reprise et refondue dans une seconde édition, une publication rivale, la Nouvelle biographie générale, dirigée, chez MM. Didot, par M. F. Hofer 7, ouvrait ses colonnes aux hommes du jour. Ces deux publications, qui se sont augmentées dans l'année 1858, l'une de trois et l'autre de six volumes, ne sauraient être ici l'objet d'un compte rendu. Nous nous bornons à signaler la partie de leur cadre qu'elles viennent de remplir, nous réservant de faire connaître plus tard le cadre entier de ces œuvres et leur caractère.

Cette même année 1858 a vu paraître sur la biographie contemporaine un travail d'ensemble dont voici le titre complet: Dictionnaire universel des Contemporains, contenant toutes

1. 1841 et suiv., 10 vol. in-18.

2. 1827 et suiv., 52 vol.

3. 2 vol. in-8°.

4. Les Contemporains, in-32, 100 livraisons. Chez l'auteur. 5. Portraits historiques au XIXe sicéle. In-32, 48 livraisons 6. 1858, t. XIX-XXI. Gr. in-8°. Veuve Desplaces.

7. 1858, t. XXI-XXVI, in-8°.

les personnes notables de la France et des pays étrangers, avec leurs noms, prénoms et pseudonymes, le lieu et la date de leur naissance, leur famille, leurs débuts, leur profession, leurs fonctions successives, leurs grades et titres, leurs actes publics, leurs œuvres, leurs écrits et les indications bibliographiques qui s'y rapportent, les traits caractéristiques de leur talent, etc., et destiné: 1o à enregistrer avec exactitude et impartialité les éléments de l'histoire; 2° à faire connaître les hommes qui jouent un rôle sur la scène actuelle du monde ou qui se sont signalés à l'attention publique; 3° à fournir des documents indispensables aux lecteurs de toutes les classes, aux écrivains, aux hommes politiques, aux voyageurs, etc., ouvrage rédigé et continuellement tenu à jour, avec le concours d'écrivains et de savants de tous les pays, par M. Gustave Vapereau, ancien élève de l'Ecole normale, ancien professeur de philosophie, avocat à la Cour impériale de Paris1.

Il n'appartient pas ici à l'auteur de rendre compte luimême de son œuvre. Il doit se borner à constater l'accueil qui lui a été fait par la critique et par le public. Considéré partout comme une des principales nouveautés littéraires de l'année, ce livre a été, dans la presse française et étrangère, l'objet de préoccupations prolongées. Un certain nombre de journaux ont fait faire à leurs lecteurs une suite de promenades à travers le gros volume, reproduisant, analysant ou commentant tel ou tel ordre de notices, selon l'intérêt politique, littéraire, artistique ou scientifique, national ou local qu'ils représentent. Quant aux articles d'appréciation qui ont été consacrés au Dictionnaire des Contemporains, il y a eu, comme on devait s'y attendre, des critiques peu bienveillantes, des éloges exagérés et bien des jugements contradictoires. Les uns y ont vu un véritable monument de l'histoire universelle du pré

1. Grand in-8° à 2 col., 1800 p. Lib. Hachette et Cie.

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