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dynastiques. Elle préside à tous les massacres qui élèvent les princes et les tribuns; aucune foi ne la captive, aucun dogme ne l'arrête, elle dédaigne également les grands prêtres et le suffrage universel, et quoique les modernes lui dédient la philosophie de l'histoire, elle ne veut ni le culte ni la fidélité de personne. Qui pourrait lui être infidèle? Quel OEdipe résisterait à ses arrêts? Quel peuple méconnaîtrait cette force qu'on appelle l'imprévu? Quel parti pourrait se soustraire à la nécessité de dire, de penser, d'agir au rebours du gouvernement qui l'opprime, et de tomber ainsi sous l'aveugle loi des contradictions politiques.

Amère consolation dans la défaite qu'une doctrine qui, en vous appelant éternellement à la lutte, n'en fait dépendre l'issue ni de votre prudence ni de votre courage. Il y a pourtant dans ce tableau si complet des agitations passées de l'Italie un intérêt douloureux qui tient moins à ces sombres idées qu'au patriotisme de l'écrivain.

L'histoire d'Espagne est représentée dans les nouveautés littéraires de 1858 par une étude de M. Combes: la Princesse des Ursins, Essai sur sa vie et son caractère politique, d'après de nombreux documents inédits1. L'auteur a pris pour point de départ ce mot de Saint-Simon sur la princesse des Ursins : « Elle régna en Espagne, et son histoire mériterait d'être écrite.» Seulement, tandis que l'auteur des Mémoires dit tout le mal possible de cette reine à qui il souhaite un historien, M. Combes prend la défense de la princesse, et à une satire oppose un panégyrique. Cet essai historique est encore une de ces réhabilitations si en vogue depuis quelques années qui tendent à modifier les traits convenus d'une figure historique. Le panégyriste de la princesse des Ursins ne peut tout à fait dissimuler l'humeur intrigante et ambitieuse de son héroïne. Mais il fait ressortir avec éclat ses talents et les services qu'elle a

1 In-8° Didier et Cie.

rendus. Il loue en elle de grandes vues politiques, la préoccupation exclusive du bien de l'État, la volonté ferme de concilier les intérêts de la France avec ceux de l'Espagne, et d'unir sous son influence personnelle ces deux pays par une alliance honorable et utile à l'un et à l'autre. Toute-puissante à la cour d'Espagne, jouissant du plus grand crédit auprès de Louis XIV, elle semblait admirablement placée pour réaliser de tels desseins. Mais il faut la voir à l'œuvre la mesquinerie des querelles où elle se mêle, les petits intérêts qu'elle s'attache à servir, des rivalités puériles d'influence, répondent mal à la tâche qu'on lui prête. Dans le malheur, elle paraît inférieure à elle-même. « Mme des Ursins, alors, dit M. Combes luimême, eut plutôt l'air d'une intrigante, comme on le disait, que d'une femme sérieuse. »

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Cette monographie, malgré la contradiction qui y règne, est un tableau intéressant et instructif de toutes les intrigues politiques dont la guerre de la succession fut l'occasion dans les cours de France et d'Espagne, et les nombreux documents inédits consultés par l'auteur, jettent sur ce point une lumière nouvelle..

Pour être plus loin de nous que l'Espagne, la Russie paraît très-familière avec notre langue et notre littérature, et ce sont les Russes eux-mêmes qui écrivent à notre usage l'histoire de leur pays. C'est ainsi que M. Nicolas de Gerebtzoff vient de publier à Paris un Essai sur l'histoire de la civilisation en Russie'. C'est un tableau complet que l'auteur veut tracer du pays et de la nation depuis les temps les plus reculés jusqu'à nos jours, en marquant les progrès de la civilisation et l'influence de ce qu'il appelle les trois éléments civilisateurs, qui sont le savoir, le raisonnement et le désir du bien public. Au lieu de s'en

1. 2 vol. in-8°. Amyot.

fermer, comme on l'a fait le plus souvent, dans la peinture des mœurs des hautes classes, où l'esprit national est dénaturé ou du moins dissimulé par le cosmopolitisme, l'auteur cherche à nous montrer le génie du peuple russe, dans les campagnes et au sein de la vie communale, plus développé, dit-on, chez lui que chez tout autre peuple. Là se trouvent les véritables traits du caractère national, là. sont les appuis ou les obstacles sérieux que peut rencontrer la civilisation. M. de Gerebtzoff nous montre une divergence extrême entre les idées de la noblesse qui, jusqu'ici, a donné l'impulsion, et le peuple qui se refuse ou résiste à le suivre. Chez celui-ci, un sentiment profond des doctrines chrétiennes; chez celle-là, une indépendance d'esprit toute voltairienne. Il s'agit donc d'instruire le peuple sans blesser ses sentiments intimes, et sans mettre le progrès intellectuel en lutte ouverte avec la direction du génie national. M. de Gerebtzoff pense que tel est le but vers lequel, après Alexandre Ier et Nicolas, le czar actuel marche avec fermeté et intelligence. Les opinions de l'historien russe se développent au milieu de détails sur les mœurs, la religion, l'enseignement public, la littérature, la science, les arts, en un mot, sur tout l'état social et intellectuel de sa nation, qui ont pour le lecteur français un intérêt des plus vifs.

Rapprochons-nous de nos frontières, et mentionnons, avant de quitter la littérature étrangère, la publication de la dernière partie d'un ouvrage important sur la Suisse, le Précis de l'histoire politique de la Suisse depuis l'origine de la confédération jusqu'à nos jours, par M. A. Morin'. Le nouveau volume de cette histoire, conduit le lecteur jusqu'aux événements les plus récents, et expose d'une manière aussi claire que complète les phases de la fameuse

1. In-12, t. III. Genève et Paris, Cherbuliez.

question de Neufchâtel. Toutes les négociations relatives à cette affaire, ainsi que des détails curieux, puisés aux sources officielles, sont réunies ici au tableau du mouvement national qui arma un instaut la Suisse pour son indépendance. L'auteur s'attache à concilier le sentiment enthousiaste de la nationalité suisse avec la résistance aux efforts du parti de la propagande révolutionnaire.

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Mémoires; publications et réimpressions. — D'Argenson, Lauzun, Richelieu, Saint-Simon.

Les principales publications historiques de notre époque ne sont pas toujours les travaux originaux. Certaines réimpressions de mémoires déjà anciens, empruntent aux circonstances de leur apparition un caractère de nouveauté, ou par l'importance même des œuvres, ont une grande valeur historique. Nous en indiquerons quelques-unes

Peu de monuments de notre ancienne histoire sont plus connus et ont été plus souvent mis en œuvre par les écrivains modernes que les Mémoires de Jean sire de Joinville ou Histoire et Chronique du très-chrétien roi saint Louis. Pourtant la publication qui vient d'en être faite par M. Francisque Michel1, mérite d'ètre signalée, non-seulement pour la correction du texte et le soin de l'exécution typographique, mais pour les études historiques, littéraires ou philologiques et les documents de toute sorte qui y sont joints. En tête figurent onze dissertations de M. Ambroise-Firmin Didot, qui, formant une introduction aussi intéressante que complète, traitent successivement de la vie et des écrits du sire de Joinville, de la part du fidèle serviteur de saint 1. In-12 avec 6 gravures. Firmin Didot frères.

Louis dans les événements contemporains, de la valeur historique de ses Mémoires, de leur mérite littéraire, des opinions diverses dont ils ont été l'objet, de leurs manuscrits et de leurs éditions, des sources à consulter, etc. Ces dissertations se complètent par la reproduction d'une étude devenue très-rare, de M. Paulin Paris. Le texte des Mémoires est ensuite accompagné de notes philologiques, sorte de commentaire perpétuel très-propre à rendre accessible à tous cette importante source historique. Avec un tel ensemble de documents, cette réimpression est à la fois toute une monographie du sire de Joinville et comme une restauration de son œuvre.

Il y a des hommes qui, dans le haut rang qu'ils ont occupé, après avoir beaucoup vu ou beaucoup agi, ont aussi voulu beaucoup écrire; mais dégagés de toute prétention littéraire, ils ont accumulé le papier noirci sur le papier noirci, sans se préoccuper aucunement de la composition. Ils se retrouvent là tout entiers, avec les qualités et les défauts de leur esprit. Quelquefois, il se rencontre en l'un d'eux l'étoffe d'un grand écrivain, qui ne sera qu'un grand écrivain posthume. Tel fut le cas du duc de Saint-Simon. Plus souvent leurs écritures journalières ne seront qu'un énorme amas de notes dans lesquelles l'historien pourra retrouver de précieux matériaux, mais dont la publication complète ne constituerait pas plus une œuvre historique qu'une œuvre littéraire. Tel fut le marquis d'Argenson, ministre des affaires étrangères sous Louis XV, dont on vient de publier les Mémoires et Journal inédit1.

Un premier recueil de Mémoires du même personnage avait été publié en 1825 et avait été peu apprécié. Celui qu'un intelligent éditeur produit aujourd'hui, est loin d'être complet. Les manuscrits du marquis forment à la biblio

1. 5 vol. in-18. P. Jannet.

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