Page images
PDF
EPUB

M. Feugère a consacré des études non moins sérieuses, sont ceux d'Étienne La Boétie et d'Agrippa d'Aubigné. L'auteur a représenté habilement le contraste que présentent ces deux hommes et leurs ceuvres, leurs principes opposés, leurs tendances contraires. Il fait connaître leur vie et leurs écrits, expliquant ceux-ci par celle-là, et réciproquement, et replaçant les écrits et la vie tout ensemble dans le grand jour de l'époque elle-même. M. Feugère traite avec une assez grande indulgence Agrippa d'Aubigné; mais on sent, quand il parle de La Boétie, qu'il cède à une sympathie vive pour ce penseur mélancolique et indépendant, dont les aspirations pour la liberté sont si ardentes et tous les autres sentiments si délicats, ce tribun indigné, dont Lamennais éditait le Contre un à la suite de ses plus véhéments pamphlets, ce poëte ému et sympathique qui se montre tout entier dans ce beau vers:

Je dis ce que mon cœur, ce que mon mal me dit.

Les divers ouvrages d'histoire et de critique littéraire dont nous venons de rendre compte, suffisent pour faire comprendre toute l'activité que portent tant d'esprits différents vers ce genre d'exercice. Après une aussi rapide revue, Dieu nous garde de dire :

Le reste ne vaut pas l'honneur d'être nommé.

Non-seulement nous avons pu faire des omissions involontaires, commettre des oublis; nous avons dû aussi négliger certains ouvrages importants à plusieurs égards, mais qui n'appartiennent qu'en partie à l'année écoulée. Tels sont deux ouvrages d'un genre bien différent, dont l'un s'achève et dont l'autre à peine commence : l'Histoire de la littérature dramatique, de M. Jules Janin 1, et la Tribune Moderne, de M. Villemain. La première de ces deux

1. In-12, t. V, VI. Michel Lévy frères.

2. In-8°. Même librairie.

publications se compose d'une longue suite d'anciens feuilletons de l'auteur; la seconde, qui ne comprend encore qu'une étude sur Chateaubriand, sera suivie d'autres études qui nous fourniront l'occasion de revenir sur cette œuvre, accomplie comme tout ce qui sort de la même plume.

HISTOIRE ET ÉTUDES ACCESSOIRES

1

La science et l'art dans les autres genres littéraires.
Les diverses branches de l'histoire.

Nous n'avons plus devant nous que des genres littéraires où le fond l'emporte sur la forme, où la justesse de l'idée, l'exactitude du fait sont plus intéressants que le mérite du style. Dans ces genres, ce qu'on est convenu d'appeler la littérature cède le pas à la science. On dit les Sciences historiques, pour l'histoire et les études qui s'y rapportent; les Sciences morales et politiques, pour la philosophie, la théologie, l'économie politique, etc.; la Science philologique, pour la grammaire, l'érudition, l'étude comparée des langues, etc. Et bien que nous comptions souvent nos meilleurs écrivains parmi nos historiens, nos philosophes, nos grammairiens mêmes, leur mérite littéraire est étranger à l'autorité que leurs ouvrages donnent à leur nom. M. Renan est entré si jeune à l'Académie des inscriptions et belleslettres, pour sa précoce érudition et non pour son talent de style. M. Cousin a vu contester son importance comme métaphysicien, à cause même de l'excellence de ses facultés oratoires.

L'histoire en particulier a été, en France, un objet préféré d'études pour les hommes les mieux doués sous le rapport des qualités littéraires; mais leur gloire, comme historiens, est distincte de celle qu'ils ont acquise par le style.

MM. Thiers et Guizot auraient pu ne pas mériter d'entrer à l'Académie française, sans que leurs grands travaux eussent moins de valeur historique. D'autre part, quelle que soit l'exactitude des recherches ou des intuitions dont le moyen âge a été l'objet pour M. Victor Hugo, Notre-Dame de Paris reste un roman, et compte avant tout, parmi les œuvres d'art on conçoit que la même époque puisse donner lieu à des investigations plus savantes, plus profondes, d'où sortiraient des monuments historiques d'une haute valeur, mais dont la critique littéraire aurait à peine à enregistrer la naissance.

Ce désaccord entre l'histoire et la littérature, entre la science et l'art, si commun chez nous dans les siècles derniers, l'est encore de nos jours dans des pays voisins où l'érudition pure est en grand honneur; il est devenu chez nous, de nos jours, assez rare, et le soin de la composition et du style tient une grande place dans la plupart de nos belles-œuvres historiques. Ce serait donc une fin de non recevoir tout à fait inacceptable, que de vouloir écarter de l'histoire de la littérature proprement dite les œuvres dont l'érudition et les recherches savantes forment la base. Nous avons beau mettre, au point de vue de la vérité et de la science, Niebuhr au-dessus de Tite Live et Heeren audessus d'Hérodote, - grand scandale pour M. de Sacy1,nous voulons que la science allemande nous soit présentée avec un art tout français, et la condition du succès pour nos historiens n'est pas seulement de beaucoup savoir, mais de savoir écrire. Nous imposons la même condition à nos géographes et à nos voyageurs; il ne suffit pas, pour nous intéresser, d'avoir beaucoup vu et bien vu, il faut encore raconter et décrire avec art.

Dans l'énumération des ouvrages historiques que

1. Voy. ci-dessus le compte rendu de ses Variétés littéraires, morales et politiques. Chap. IV.

chaque année voit éclore, nous observerons l'ordre suivant :

1° L'histoire de la France, en passant des ouvrages généraux qui ont pour objet l'ensemble de notre histoire aux ouvrages particuliers qui en considèrent seulement quelques points ou une époque déterminée;

2o L'histoire des pays étrangers;

3o La réimpression des mémoires et des monuments historiques anciens, souvent plus importante que de récentes publications;

4o La biographie, considérée dans les ouvrages généraux, dans les monographies et dans les mémoires autobiographiques;

5o La géographie et les voyages.

2

L'histoire de France, avant et depuis la Révolution. MM. Michelet, Roget de Belloguet, Dansin, L. Blanc, Thiers.

L'Histoire générale de France a été l'objet, dans ce siècle, de travaux considérables, aussi remarquables par le talent littéraire que par la science toute nouvelle dont ils popularisaient les résultats. Parmi ces travaux une trèshonorable place a été assurée de tout temps à l'Histoire de France de M. Michelet1, en cours de publication depuis vingt-cinq ans. L'auteur en a publié cette année le XII® volume, sous le titre particulier de Richelieu et la Fronde. Les deux derniers sont sous presse: ils compléteront le monument et le relieront à une autre publication que M. Michelet mène de front avec la précédente, l'Histoire de la Révolution française. Nous ne nous arrêterons pas à ce volume

1. In-8°. Hachette et Cie et Chamerot,

« PreviousContinue »