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NOTICE

SUR

PLUTARQUE

Plutarque naquit à Chéronée, dans la Béotie, vers le milieu du premier siècle de notre ère. On ignore l'année précise de sa naissance; mais on sait, par son propre témoignage, qu'à l'époque du voyage de Néron en Grèce, c'est-à-dire à la date de l'an 66, il suivait, à Delphes, les leçons du philosophe Ammonius. Il sortait, autant qu'on en peut juger, d'une famille honorable, et qui ne négligea rien pour développer ses heureuses dispositions naturelles. Il fut élevé, dans son enfance, sous les yeux de son père, de son aïeul et de son bisaïeul. Son bisaïeul se nommait Nicarchus. C'était un vieillard aimable et conteur, et dont les souvenirs personnels remontaient jusqu'au temps des dernières luttes d'Antoine et d'Octave. Plutarque nous peint Lamprias, son aïeul, comme un homme éloquent, plein d'imagination et d'une douce gaieté. Il vante les vertus de son père, son instruction, ses talents, et il ne parle jamais de lui qu'avec une extrême tendresse ; mais il ne nous a point conservé son nom. Il eut deux frères, Timon et Lamprias, et une sœur, qui fut la mère du philosophe Sextus, l'un des maîtres de l'empereur Marc-Aurèle.

Plutarque étudia, dans l'école d'Ammonius, les mathématiques et la philosophie; et il s'y lia avec un jeune Athénien, descendant de Thémistocle. A son retour dans Chéronée, il fut employé, quoique fort jeune, à quelques négociations avec les villes voisines. Il se maria bientôt, et il fut heureux dans son choix. Sa femme se nommait Timoxène. Elle était d'une des

meilleures familles de Chéronée; et elle se montra, par ses vertus, la digne épouse d'un homme excellent.

Plutarque vint à Rome plusieurs fois, et il y donna, sur divers sujets de philosophie, de littérature et d'érudition, des leçons publiques, qui furent la première origine et la première occasion des nombreux traités qui composent ce qu'on appelle les Morales. Tout ce qu'il y avait d'illustres personnages dans Rome assistait à ces leçons. Plutarque parlait en grec, comme faisaient d'ordinaire les rhéteurs et les sophistes venus de Grèce c'était une langue qu'entendaient alors parfaitement les gens lettrés de Rome. D'ailleurs, Plutarque n'a jamais su le latin assez bien pour le parler. Il nous dit lui-même, dans la Vie de Démosthène, qu'il n'avait pas eu le temps, durant son séjour en Italie, de se livrer à une étude approfondie de cette langue, à cause des affaires publiques dont il était chargé, et de la quantité de gens qui venaient tous les jours s'entretenir avec lui de philosophie. Il ne commença à étudier fructueusement les auteurs latins qu'un peu tard, quand il mit à écrire ses Vies comparées des hommes illustres de la Grèce et de Rome.

Mais il ne paraît pas que Plutarque ait fait de bien longs séjours hors de sa ville natale; et il était assez jeune encore, quand il s'y fixa pour n'en plus sortir. Chéronée n'avait pourtant rien, par elle-même, qui méritât le grand amour que lui portait Plutarque. C'était une ville petite, sans aucune importance dans la Grèce, et dont le nom n'y rappelait même que de tristes souvenirs : c'est sous les murs de Chéronée, que la liberté avait subi son premier et décisif échec, et que Philippe avait fait accepter, les armes à la main, l'intervention, désormais toute-puissante, de la pensée macédonienne dans les affaires de la Grèce; c'est à Chéronée aussi, que Sylla avait anéanti les dernières illusions des peuples grecs, et leur avait prouvé qu'on ne se soulevait pas impunément contre Rome. Mais Plutarque mit sa gloire et son patriotisme à empêcher, par sa présence, comme il le dit naïvement lui-même, que Chéronée ne s'amoindrît davantage, et à faire jouir ses concitoyens de l'es

time et de la faveur qui s'attachaient à son nom. Il accepta d'eux tous les emplois dont ils jugèrent à propos de le charger. Archonte, prêtre d'Apollon, inspecteur des travaux de la ville, quelles que fussent les fonctions dont il était investi, les plus humbles comme les plus relevées, il y porta le même amour du bien, le même zèle, un dévouement à toute épreuve. Il vécut ainsi de longues années, heureux de son propre bonheur et du bonheur de ceux qui l'entouraient, tranquille, s'occupant peu de sa renommée, qui était immense, et écrivant sans effort ces livres qui faisaient les délices de ses contemporains, et qui donnent de son caractère une si haute et si aimable 'idée.

On ne sait pas l'année de sa mort; et même, sur ce point, l'incertitude est plus grande encore que sur la date de sa naissance. L'opinion la plus vraisemblable, c'est qu'il mourut quelque temps avant la fin du règne d'Adrien, à l'âge de soixante-douze ou soixante-quinze ans.

Je n'ai pas parlé de ce que conte Suidas, que Plutarque aurait été honoré par Trajan de la dignité consulaire, et qu'un ordre de cet empereur aurait soumis à son autorité tous les magistrats de l'Illyrie. Plutarque, qui a dédié à Trajan un de ses ou vrages, n'y dit rien, ni dans sa dédicace ni ailleurs, qui ait trait à une particularité si remarquable. On a prétendu aussi, sur la foi d'une lettre qu'on attribue à Plutarque, et qui est adressée à Trajan, que Plutarque avait été le précepteur de ce prince. Mais d'abord, cette lettre n'existe qu'en latin, et elle n'a par elle-même aucun caractère d'authenticité. Ensuite, Trajan n'avait que trois ou quatre années de moins que celui qui aurait été chargé, dit-on, de l'éducation de son enfance. Tout ce qu'on peut admettre avec quelque vraisemblance, c'est que Trajan compta au nombre des auditeurs de Plutarque, quand Plutarque faisait à Rome des leçons publiques de philosophie.

Plutarque avait eu, de sa femme Timoxène, cinq enfants, quatre fils et une fille. La fille, nommée Timoxène, comme sa mère, mourut en bas âge. L'un des fils se nommait Plutarque, comme son père; les trois autres étaient Autobule, Charon et

Lamprias. Ce dernier ne nous est connu que par cette note de Suidas : « Lamprias, fils de Plutarque de Chéronée, rédigea une table générale de tout ce que son père avait écrit sur l'histoire grecque et romaine. » Les autres fils de Plutarque figu rent assez souvent comme interlocuteurs dans ses dialogues, surtout Autobule, qui était l'aîné. Les traditions de science et de vertu se perpétuèrent pendant longtemps, dans cette noble famille. Six générations après Plutarque, un de ses descendants, Sextus Claudius Autobule, était cité comme un homme de bien et un philosophe distingué, à en juger par une inscription qui se lisait jadis à Chéronée, et qu'a transcrite un ancien géographe.

Tout a été dit, sur les mérites de toute sorte qui se rencontrent dans Plutarque, comme aussi sur les défauts qu'on peut lui reprocher, et qui sont nombreux. On a relevé, dans ses écrits, beaucoup d'erreurs matérielles, sur ce qui concerne Rome et ses institutions ; des interprétations de textes latins ou fausses ou hasardées; des contradictions manifestes. Il est certain, d'ailleurs, que son attachement trop exclusif pour le platonisme l'a rendu injuste envers les stoïciens, comme son amour tout filial pour Chéronée lui a fait voir, dans le livre d'Hérodote, des énor mités qu'on n'y soupçonnait guère, et un parti pris de dénigrer quand même la Béotie et les Béotiens. Tout cela est avéré, et bien d'autres péchés encore; mais ce qui n'est pas moins incontestable, c'est qu'il n'est pas un des écrits de Plutarque, même le plus insignifiant et le plus futile, qui ne se lise avec plaisir et profit; que quelques-uns sont d'une rare éloquence; que toujours et partout, on y sent cet amour du bien, cette parfaite sincérité, qui-captivent le cœur, et qui font passer sur les plus criantes imperfections. Plutarque est un écrivain sans fard et sans apprêt, heureusement doué par la nature, et qui répand à pleine main tous les trésors de sa science et de son âme. Qu'importe, après cela, ce qu'il peut y avoir de choquant jusque dans la conception de ses ouvrages? Qu'importe que l'idée même des Parallèles, comme il nomme ses Vies, ne soit, au fond, qu'une subtilité, et qu'elle rappelle les thèses factices

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