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DES

VIEILLES CHANSONS

DE NOS PÈRES

Il y a trente ans à peine, on pouvait répéter encore, avec raison, cet éternel adage, qu'en France la chanson est une puissance, la plus grande, la plus universelle de toutes, car elle s'attache et s'en prend à tout, la chanson: plaisirs, amour, joie et tristesse, richesse et misère, folie et raison, vices et ridicules, gloire, oppression, rien n'échappe à son empire dominateur; ses grelots brillants ou légers ont tout animé, vivifié, glorifié; sa férule aiguë ou sanglante a tout ridiculisé, conspué, flétri.

La chanson est donc, par essence, essentiellement française, c'est-à-dire, l'expression la plus vraie, la plus spontanée de notre esprit national. Où trouver, notamment, les révélations inattendues d'une foule de circonstances ecrètes, d'abus ou de scandales, de peintures intimes de mœurs qui auront échappé à la sagacité de nos historiens

modernes, sinon dans les vieilles chansons des divers siècles, précieuses traditions des temps sur lesquelles le froid oubli passe et qu'il efface tous les jours? Ah! qu'une plume habile, autant qu'infatigable, devrait bien enfin les recueillir!

Oui, dussions-nous le redire à satiété : la chanson, éminemment française, est le besoin de tous les âges: de l'enfance et de la jeunesse, de l'âge mûr, de la vieillesse ellemême; - de toutes les conditions, puisque tout le monde chante le riche comme le : pauvre, le paysan aux champs, la grande damne au salon, l'ouvrière dans sa mansarde, l'artiste à l'atelier, le soldat au camp, l'artisan à l'établi, l'ivrogne au cabaret, le poëte jusque dans les fers. Boileau n'a-t-il pas dit « Le Français né malin créa le vaudeville? » Lamotte-lloudart : « Les vers sont enfants de la lyre, il faut les chanter non les lire ? » et Beaumarchais lui-même : « Tout finit par des chansons? »>

Il ne nous reste plus qu'à bien définir les types caractéristiques de la chanson, véritable reflet de la tendance et des mœurs de chaque époque qu'elle représente; ainsi, pour ne pas remonter plus haut que le commencement du dix-huitième siècle, et classant à part toutes ces vieilles traditions populaires ou complaintes curieuses dont le souvenir s'est perpétué jusqu'à nos jours, voilà ce que fut en réalité, de 1700 à 1790, la chanson en France : une fée aux mille formes diverses, affectant tous les tons, toutes les allures; se montrant tour à tour Muse chaste, mélancolique, gracieuse et douce, ou fine, railleuse et caustique; -tantôt Bacchante échevelée, délirante, mais trop souvent encore grotesque, excentrique, et même grossière; ou bien ailleurs Erato, badine, sensuelle et voluptueuse;

- enfin même humble Bergère timide, naïve, ou plutôt quelque peu niaise, au point de vue du haut goût de l'époque actuelle.

Or voilà, en résumé, le tohu-bohu, le pêle-mêle, le salmis infiniment curieux qu'offrent les Vieilles chansons de nos pères. Aussi avons-nous pris soin de les classer par séries bien distinctes, à savoir: vieilles chansons populaires, cantiques et complaintes, chansons pour rire, romances, chansons à boire, ariettes, chansons badines, chants guerriers, chansons, rondes populaires, chansonnettes. On retrouvera dans leurs mille diversités de licence ou de réserve, d'excentricité folle ou de gaieté contenue, les influences si opposées des règnes de Louis XV et de Louis XVI.

A dater de 1790, un instinct nouveau se révèle chez la chanson; c'est une aspiration ardente, soudaine de gloire et de patriotisme. Bellone fière et fougueuse, elle s'exalte alors et s'enflamme. Ses hymnes guerriers, où déborde un lyrisme révolutionnaire, brûlant et désordonné, viennent électriser toute la France, ébranler de leurs échos éclatants jusqu'à l'Europe elle-même : Plus d'oppression, s'écrientils, plus d'esclavage, plus de rois; et la chanson reste ainsi souveraine, durant six années de fièvre des événements politiques. Après quoi elle redevient calme et réservée, bien que fine et gaie, et spirituelle encore, grâce à une pléiade de jeunes chansonniers pleins de verve qui devaient plus tard se faire un nom comme auteurs dramatiques, sous la littérature froide et classique de l'Empire; car à cette époque on pouvait, au rebours du dicton de Beaumarchais, dire avec vérité que, pour les auteurs de ce temps, et même les plus illustres plus tard, tout commençait par des chansons.

C'est ce dernier point de vue-là même qui ajoute un prix infini d'attraits et de curiosité à ce premier recueil de chansons, que nous publions sous le titre spécial et tout exclusif de Vieilles chansons de nos pères, dont le complément naturel, devant paraître très-prochainement, sera un second volume intitulé: Chants d'hier, Chants d'aujourd'hui, non moins curieux lui-même et non moins attrayant pour l'extrême variété de son contenu que par les considération: littéraires et critiques que nous prendrons soin de rattacher aux phases diverses de la chanson moderne : sous l'Empire, sous la Restauration, sous la monarchie de Juillet, enfin sous l'époque actuelle.

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Il n'est pas toutefois sans intérêt de reconnaître et d'avoir même pour très-avéré, dès à présent, que ce premier recueil, appelé tout bonnement par nous les Vieilles chansons de nos pères, n'est rien de moins que l'œuvre de collaboration collective, et surtout précieuse comme tradition, d'une foule d'auteurs : - les uns anciens, comme Maître Adam, Desportes, Ducerceau, Dufresny, La Monnoye, Lamotte-Houdart, Léonard, Marigny, Martial d'Auvergne, Voiture; — les autres facétieux, comme Audinot, Collé, Gallet, Grécourt, Haguenier, Lattaignant, Panard, Piis, Pigault-Lebrun, Vadé; - ceux-ci gracieux, comme Berquin, Coupigny, Demoustier, Favart, Florian, GentilBernard, Marsollier, Monvel, Parny; - ceux-là grands seigneurs, comme le cardinal de Bernis, le comte Bonneval, les marquis de Boufflers et de Gourdon, les comtes de Laborde, de la Salle, de Ségur, le duc de Nivernais; ou grandes dames, comme madame Necker, la marquise de Travanet; de véritables célébrités enfin, telles que Beaumarchais, Campenon, Chateaubriand, Chénier, Colar

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