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La nuit souvent me trouve encore,
Me trouve encore au cabaret.

Si, frappé de quelques alarmes,
Mon cœur éprouve du chagrin,
Soudain on voit couler mes larmes,
Mais ce sont des larmes de vin.
Je bois, je bois à longue haleine;
Du vin tel est l'heureux effet,
Le malheureux n'a plus de peine,
N'a plus de peine au cabaret.

Si j'étais maître de la terre,
Tout homme serait vigneron;
Au dieu d'amour toujours sincère,
Bacchus serait mon Cupidon.
Je ne quitterais plus sa mère,
Car de la cour un juste arrêt
Ferait du temple de Cythère,
Oui, de Cythère, un cabaret.

Auteurs qui courez vers la gloire,
Bien boire est le premier talent;
Bacchus au temple de mémoire
Obtient toujours le premier rang.
Un tonneau, voilà mon Pégase,
Ma lyre, un large robinet,
Et je trouve le mont Parnasse,
Le mont Parnasse au cabaret.

J. J. LUCET.

C'est à l'auteur, oublié, de cette jolie chanson qu'on a dû, à l'époque de l'Empire, la plaisante mystification de cette fameuse énigme qu'aucun Edipe ne devina, et dont le mot introuvable était Contraste.

LE VRAI BUVEUR

CHANSON DE MAITRE ADAM

CLEF DU CAVEAU 50.

Aussitôt que la lumière
A redoré nos coteaux,
Je commence ma carrière
Par visiter mes tonneaux.
Ravi de revoir l'aurore,
Le verre en main, je lui dis :
Vois-tu sur la rive more
Plus qu'à mon nez de rubis?

Le plus grand roi de la terre,
Quand je suis dans un repas,
S'il me déclarait la guerre,
Ne m'épouvanterait pas.
A table rien ne m'étonne,
Et je pense, quand je boi,
Si là-haut Jupiter tonne,
Que c'est qu'il a peur de moi.

Si quelque jour, étant ivre,
La mort arrêtait mes pas,
Je ne voudrais pas revivre
Pour changer ce grand trépas.
Je m'en irais dans l'Averne
Faire enivrer Alecton,
Et planter une taverne

Dans la chambre de Pluton.

Par ce nectar délectable
Les démons étant vaincus,

Je ferais chanter au diable
Les louanges de Bacchus.
J'apaiserais de Tantale
La grande altération,
Et, passant l'onde infernale,
Je ferais boire Ixion.

Au bout de ma quarantaine
Cent ivrognes m'ont promis
De venir, la tasse pleine,
Au gîte où l'on m'aura mis.
Pour me faire une hécatombe
Qui signale mon destin,
Ils arroseront ma tombe
De plus de cent brocs de vin.

De marbre ni de porphyre
Qu'on ne fasse mon tombeau ;
Pour cercueil je ne désire
Que le contour d'un tonneau ;
Et veux qu'on peigne ma trogne
Avec ces vers alentour :

Ci-git le plus grand ivrogne
Qui jamais ait vu le jour.

MAITRE ADAM.

Chanson pleine de verve et d'originalité. Maitre Adam Billaut, menuisier de Nevers, où il est mort en 1662, et surnommé le Virgile au rabol par ses contemporains, obtint jusqu'aux suffrages du grand Corneille. Il était pensionné de Richelieu.

Mais cette pièce du Vrai Buveur, telle qu'on la connait et que nous la donnons ici est, à vrai dire, un peu l'œuvre aussi du poëte Haguenier, qui l'a dégagée de son vieux style marotique et y a ajouté deux couplets. Voici le texte même de la chanson de Maitre Adam.

LE CULTE D'UN BUVEUR

(1651)

Que Phébus soit dedans l'onde

Ou dans son oblique tour,
Je bois tousiours à la ronde;
Le vin est tout mon amour;
Soldat du fils de Semelle,

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Un sot qui veut faire l'habile Dit qu'en lisant il prétend tout savoir; Un fou qui court de ville en ville, En voyageant, dit qu'il prétend tout voir;

Et mo ije dis, d'un ton plus véritable,
Que, sans sortir de table,
Et sans avoir lu,

Je sais tout et j'ai tout vu
Lorsque j'ai bien bu.

Dans Platon ni dans Épicure,
Je ne vois pas qu'il soit bien établi
S'il est du vide en la nature

Ou si l'espace est d'atomes rempli :
Dans un buveur la nature décide
Qu'elle abhorre le vide;
Car il est certain

Que j'abhorre un verre en main
Quand il n'est pas plein.

Grands philosophes, je vous blâme, Et je veux faire un système nouveau : Vous avez fait résider l'àme,

L'un dans le cœur, l'autre dans le cerveau. Savez-vous bien où la mienne s'avance

Pour tenir audience?

C'est dans mon palais

Qu'elle juge du vin frais
Qui coule à longs traits.

Un nouvelliste politique

Qui tient conseil dans la cour du Palais,
Demande au plus fat de sa clique

Si nous aurons ou la guerre ou la paix :
Moi, curieux d'une seule nouvelle,
Lorsqu'il pleut ou qu'il gèle,
Du soir au matin,

Je demande à mon voisin :
Aurons-nous du vin?

L'autre jour, à l'Observatoire,
Les ennemis du tranquille sommeil
Voulurent, par malice noire,
Me faire voir des taches au soleil :

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