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du progrès insensible et de la constitution intime, celui de physique; la recherche des moyens qui permettent de donner aux corps des propriétés nouvelles, sera la magie; enfin, la mécanique apprendra comment on peut transformer les substances les unes dans les autres.

Après avoir établi le but et les divisions de la science, l'auteur aborde le véritable sujet du livre, qui est l'art d'interpréter la nature. Cet art exige trois genres de secours; pour les sens, la mémoire et la raison. Bacon s'occupe d'abord des derniers, et ne traite pas expressément des autres. Il donne les règles à suivre pour la recherche des formes; recueillir les faits et en dresser des tables; rejeter tous ceux où l'on ne découvre aucun rapport immédiat ou certain avec le sujet étudié; procéder, par cette sage exclusion, avant d'arriver à la connaissance positive de la forme ou loi, voilà les préceptes auxquels doit se conformer toute saine induction. Mais ces règles générales seraient insuffisantes, si l'on ne donnait à l'induction tous les auxiliaires dont elle peut légitimement s'entourer. Bacon en indique de neuf sortes; les premiers sont les faits privilégiés. On doit entendre, par faits privilégiés, ceux qui mettent sur la voie des découvertes, et qui sont tels, qu'un petit nombre d'entre eux sont plus instructifs qu'une foule des autres. Vingtsept espèces de faits privilégiés sont successivement expliqués, et la théorie éclaircie par des exemples.

Plusieurs espèces de ces faits sont propres à diriger l'esprit dans la pratique.

L'auteur devait s'occuper des autres auxiliaires de l'induction; l'ouvrage est ici interrompu, et n'a pas été achevé.

Tout inachevé qu'il est, le Novum Organum est un des écrits les plus solides et les plus brillants qui aient illustré l'histoire de la philosophie et honoré l'esprit humain. L'autorité et l'emploi régulier de la méthode d'induction datent de la publication du Novum Orдапит.

C'est le louer assez que de montrer quelles merveilles cette méthode a produites depuis deux siècles.

Il ne faut pas cependant que le triomphe de l'induction soit sans partage. Toutes les connaissances générales ne reposent pas sur l'observation, et dans les sciences morales, par exemple, il serait dangereux de faire un emploi exclusif de la méthode d'induction. Il est des principes certains que l'esprit humain ne doit pas à l'expérience, et auxquels il faut parfois que les faits se soumettent; toute science qui n'a pas pour fondements certains principes de ce genre ne peut porter le nom de science morale.

C'est pourquoi il est si important de rapprocher du Novum Organum le Discours de la Méthode, de l'autorité des faits l'autorité de la raison.

PRÉFACE DE BACON.

1. Ceux qui ont osé parler dogmatiquement de la nature, comme d'un sujet exploré, soit que leur esprit trop confiant, ou leur vanité et l'habitude de parler en maîtres leur ait inspiré cette audace, ont causé un très-grand dommage à la philosophie et aux sciences. Commandant la foi avec autorité, ils surent, avec non moins de puissance, s'opposer et couper court à toute recherche, et, par leurs talents, ils rendirent moins service à la vérité qu'ils n'en compromirent la cause, en étouffant et corrompant à l'avance le génie des autres. Ceux qui suivirent le parti opposé et affirmèrent que l'homme ne peut absolument rien savoir, soit qu'ils aient reçu cette opinion en haine des anciens sophistes, ou par suite des incertitudes de leur esprit, ou en vertu de quelque doctrine, ont présenté à l'appui de leur sentiment des raisons qui n'étaient nullement méprisables; mais cependant ils ne l'avaient point tiré des véritables sources; et emportés par leur zèle et une sorte d'affectation, ils tombèrent dans une exagération complète. Mais les premiers philosophes grecs (dont les écrits ont péri) se tinrent sagement entre l'arrogance du dogmatisme et le désespoir de l'acatalepsie, et se répandant souvent en plaintes amères sur les difficultés des recherches et l'obscurité des choses, et comme mordant leur frein,

ils n'en poursuivirent pas moins leur entreprise, et ne renoncèrent point au commerce qu'ils avaient lié avec la nature. Ils pensaient sans doute que pour savoir si l'homme peut arriver ou non à connaître la vérité, il est plus raisonnable d'en faire l'expérience que de discuter; et cependant eux-mêmes, s'abandonnant aux mouvements de leur pensée, ne s'imposèrent aucune règle, et firent tout reposer sur la profondeur de leurs méditations, l'agitation et les évolutions de leur esprit.

2. Quant à notre méthode, il est aussi facile de l'indiquer que difficile de la pratiquer. Elle consiste à établir divers degrés de certitude, à secourir les sens en les restreignant, à proscrire le plus souvent le travail de la pensée qui suit l'expérience sensible, enfin à ouvrir et garantir à l'esprit une route nouvelle et certaine qui ait son point de départ dans cette expérience même. Sans aucun doute, ces idées avaient frappé ceux qui firent jouer un si grand rôle à la dialectique; ils prouvaient par là qu'ils cherchaient des secours pour l'intelligence et qu'ils se défiaient du mouvement naturel et spontané de la pensée. Mais c'est là un remède tardif à un mal désespéré, lorsque l'esprit a été corrompu par les usages de la vie commune, la conversation des hommes et les fausses doctrines, et assiégé des plus vaines idoles. C'est pourquoi l'art de la dialectique, apportant (comme nous l'avons dit) un secours tardif à l'intelligence, sans la remettre dans un meilleur état, fut plus propre à créer de nouvelles erreurs qu'à découvrir la vérité. La seule voie de salut qui nous reste est de recommencer de

fond en comble tout le travail de l'intelligence; d'empêcher, dès le principe, que l'esprit ne soit abandonné à lui-même, de le régler perpétuellement, et d'accomplir enfin toute l'œuvre de connaissance comme avec des machines. Certes, si les hommes avaient appliqué aux travaux mécaniques le seul effort de leurs mains, sans emprunter le secours et la force des instruments, ainsi qu'ils n'ont pas craint d'aborder les œuvres de l'esprit presque avec les seules forces de leur intelligence, le nombre des choses qu'ils auraient pu pouvoir ou transformer, serait infiniment petit, quand bien même ils eussent déployé et réuni les plus grands efforts. Arrêtons-nous à cette considération, et jetons les yeux sur cet exemple comme sur un miroir; supposons qu'il soit question de transporter un obélisque, de grandeur imposante, pour l'ornement d'un triomphe ou de quelqu'autre cérémonie magnifique, et que des hommes entreprennent ce transport sans instruments, un spectateur de bon sens ne déclarera-t-il pas que c'est là un grand acte de démence? Que si l'on augmente le nombre des bras, en espérant ainsi triompher de la difficulté, ne verra-t-il pas là plus de démence encore? Mais si l'on veut faire un choix, éloigner les faibles, employer seulement les forts, et si l'on se flatte par du succès, ne dira-t-il pas que c'est un redoublement de délire? Mais si, peu satisfait de ces premières tentatives, on recourt à l'art des athlètes, et si l'on ne veut employer que des bras et des muscles oints et préparés suivant les préceptes, notre homme de sens ne criera-t-il pas que l'on fait beaucoup d'efforts pour être fou avec méthode et dans les règles? Et cependant

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